20 ans ou 240 mois ou 7 300 jours, c’est l’espérance de vie d’une perruche ou d’un chat. C’est aussi la plus longue peine connue à ce jour pour un prisonnier politique en Birmanie. L’homme qui en a écopé pour sa plume et ses pensées indomptables c’est U Win Tin, un journaliste birman. Le 21 avril, on célèbre l’anniversaire de sa mort et son engagement pour la démocratie. Portrait.
Né en 1929, dans la région de Bago, l’homme a tout connu de la seconde guerre mondiale à la dictature en Birmanie. Témoin qui ne voulait pas se résigner au silence, Win Tin a été rédacteur du journal Hanthawati, vice-président de l’Association des écrivains birmans et co-fondateur de la ligue nationale pour la démocratie.
Quand on prononce le nom de Win Tin, on se remémore facilement des cheveux d’un blanc lumineux, une monture de lunette rectangulaire noir, un engagement politique sans faille, mais surtout on associe l’homme à une couleur : le bleu.
En 1988, Win Tin participe avec Aung San Suu Kyi à la création de la Ligue nationale pour la démocratie. L’année suivante, il est emprisonné par le régime militaire. Son crime ? La diffusion de documents qui dénonçaient l’ineptie et l’autoritarisme borné des militaires au pouvoir. Accusé de «propagande contre le régime», on le condamne à 14 ans de prison.
En 1996, sa peine a été rallongée de 5 ans pour violation des normes de la prison sur la possession de matériel d’écriture (possession d’un stylo et feuilles de papier). A sa libération en 2008, Win Tin ne cessera jamais de porter son uniforme de prisonnier : une chemise bleue. Par ce geste, l’homme se voulait solidaire avec les prisonniers politiques toujours en cellules.
« Si il n’y a plus de prisonniers politiques, j’enlèverais ma chemise mais jusqu’à présent je n’ai rien vu indiquant cela » avait-il déclaré.
En détention l’homme a connu l’isolement, les cellules voisines étant volontairement vacantes pour ne pas qu’il échange avec ses codétenus. A sa sortie, il avait déclaré avoir du dormir pendant des années sur un tapis de bambou posé sur un sol en béton. Privé de stylo, il avait réussi à broyer des morceaux de briques pour en extraire une pâte qui lui permettait d’écrire sur les parois de sa cellule.
Décédé le 21 avril 2014 à l’âge de 84 ans sans jamais abandonner sa lutte pour la démocratie, l’homme avait reçu en 2001 le Prix mondial de la liberté de la presse décerné par l’UNESCO, ainsi que la plume d’or de la liberté.
Depuis, l’anniversaire de sa mort est l’occasion pour les organisations de la société civile internationale d’appelé les citoyens à travers le monde, à porter une chemise ou un vêtement bleu en soutien aux prisonniers politiques toujours enfermés en Birmanie. L’idée est ensuite de poster la photo sur les réseaux sociaux avec le #BlueShirt4Burma pour sensibiliser un maximum de personne sur le sujet.
Des prisonniers politiques toujours derrière les barreaux
Info Birmanie se joint à l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP) en Birmanie et dénonce les 90 prisonniers politiques qui purgent encore des peines d’emprisonnement ou sont jugées en raison de leurs activités «politiques».
Le 17 avril 2018, le président birman a décidé de gracié 8 490 prisonniers pour la nouvelle année birmane. Parmi eux, 36 sont des prisonniers politiques. Cette décision est une bonne nouvelle pour les prisonniers et leurs familles, mais elle représente également le choix de ne pas libérer 90 autres prisonniers politiques.
La plupart de ceux qui sont détenus sont en attente de jugement et n’ont donc même pas été condamnés. Cela inclut Wa Lone et Kyaw Soe Oo, deux journalistes de Reuters actuellement en procès.
Plus inquiétant encore, il semble que ce soit un retour à l’approche de l’ère militaire consistant à utiliser la libération sélective des prisonniers politiques à des dates clés pour les relations publiques, plutôt que le gouvernement dirigé par la NLD tente sérieusement de mettre fin aux décennies. long problème des prisonniers politiques en Birmanie.
La conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi, en tant que chef de facto du gouvernement dirigé par la NLD, a le pouvoir d’ordonner la libération de tous les prisonniers politiques et de mettre fin aux poursuites contre les militants politiques. Sa majorité au Parlement lui donne le pouvoir d’abroger toutes les lois répressives.
Pasteurs, enfants, fermiers, tous prisonniers
Parmi les prisonniers qui ont été libérés on trouve : Lahpai Gam, un agriculteur de l’État de Kachin, a été arrêté en juin 2012 et accusé d’être membre de l’armée de l’indépendance du Kachin (KIA), un groupe armé d’opposition gouvernementale. Il purgeait une peine de 21 ans de prison à Myitkyina.
Un enfant de 14 ans, Mai Cho Min Htwe, a été torturé et condamné sans procès le 30 octobre 2017 pour appartenance à un groupe armé ethnique, l’Armée de libération nationale de Ta’ang (TNLA). Le TNLA est un groupe armé ethnique basé dans le nord de l’État Shan qui est engagé dans un conflit armé avec l’armée birmane. Il a été condamné à deux ans de prison. Ses droit humains ont été violés à deux reprises. D’abord il a été utilisé comme enfant soldat, puis emprisonné pour cela.
Deux pasteurs Kachin, Dumdaw Nawng Latt et Langjaw Gam Seng, ont été arrêtés en décembre 2016 pour avoir aidé des journalistes de Rangoon à rendre compte de la situation à Mong Ko, soit, des combats acharnés entre l’armée birmane et une coalition d’organisations ethniques. En octobre 2017, Dumdaw Nawng a été condamné à quatre ans de prison et Langjaw Gam Seng a été condamné à deux ans et trois mois de prison.
« Il y a de la joie pour certaines familles aujourd’hui, mais beaucoup plus de familles vont ressentir de la tristesse qu’Aung San Suu Kyi ait décidé de garder leur proche en prison », a déclaré Mark Farmaner, directeur de Burma Campaign UK.
Le samedi 21 avril, partout dans le monde, des personnes appuieront la Journée du t-shirt bleu pour les prisonniers politiques en Birmanie. Participez au Blue Shirt Day. Portez du bleu, postez des photos sur les réseaux sociaux et rappelez au monde qu’il y a encore des prisonniers politiques dans les prisons birmanes et qu’ils doivent être libérés. #blueshirt4burma
P.A.