Il y a un an jour pour jour, les birmans se dirigeaient vers les bureaux de vote pour participer aux élections législatives du 8 novembre 2015, qui ont mené le parti d’Aung San Suu Kyi au pouvoir. Contre toute attente, ces élections ont été les premières élections générales libres depuis plus de 50 ans et se sont relativement bien passées. La Ligue Nationale pour la Démocratie a remporté 77% des sièges en jeu et donc une majorité au parlement. Suite à ces élections, l’ancien président Thein Sein, héritier de la junte, a cédé sa place aux nouveaux membres du gouvernement en avril 2016.
Considérée comme une étape cruciale de la transition démocratique birmane, la victoire écrasante du parti de l’opposition a suscité de nombreux espoirs pour le peuple, notamment autour des réformes constitutionnelles, des perspectives de paix et d’une amélioration de la situation des droits de l’Homme. Un an après les élections, il est clair que la transition démocratique est en cours et certaines avancées doivent être soulignées telles que les libertés de rassemblement ou la libération de prisonniers politiques mais globalement, les évolutions ne sont pas évidentes.
Des problèmes majeurs ralentissent la transition démocratique malgré l’arrivée au pouvoir de la LND qui s’est donné comme priorité la réconciliation nationale dans le but de parvenir à de réels changements. Pour le bien-être du peuple birman et des avancées démocratiques, il est indispensable que le nouveau gouvernement affronte un certain nombre de problématiques majeures.
Les militaires toujours au sein du gouvernement
Le gouvernement doit composer avec l’armée qui détient 25% des sièges au Parlement et dispose donc de fait d’un droit de veto pour tout amendement de la constitution de 2008. L’armée conserve également le contrôle des ministères clés de l’Intérieur, de la Défense et de la Gestion des frontières. Si une partie des militaires s’est montrée prête à accompagner la transition démocratique lors des dernières élections, ils ne semblent pas prêts à renoncer au contrôle qu’ils exercent encore. L’équilibre est difficile à trouver et la marge de manœuvre du nouveau gouvernement se voit largement restreinte.
Le manque de compétence et d’expérience des parlementaires élus et des membres du gouvernement
Les activistes birmans redoutaient que le manque de compétence et d’expérience des parlementaires LND ralentisse la transition démocratique. Un an après les élections, Info Birmanie a rencontré des parlementaires et la situation n’a que peu évolué : les parlementaires affichent toujours clairement leur dépendance aux leaders du parti et leur volonté d’éviter les sujets délicats afin de ne pas mettre le parti dans l’embarras. Une vision sur le long-terme et plus globale apparaît encore complexe, tant pour les parlementaires que pour les membres du gouvernement.
Un espace insuffisant pour la société civile birmane
De nombreuses organisations de la société civile birmane qu’Info Birmanie a rencontré récemment estiment que l’espace qui leur est laissé par le gouvernement est largement insuffisant, malgré les propositions concrètes de ces acteurs qui ont acquis une expertise technique sur certains sujets spécifiques qui pourraient être utiles au gouvernement.
Les conflits entre l’armée birmane et les groupes ethniques armés s’intensifient
Les offensives de l’armée birmane à l’égard des groupes ethniques armés s’intensifient depuis la conférence de paix. Il y a rarement eu autant de combats simultanés qu’au mois d’octobre 2016 et les populations déplacées se font de plus en plus nombreuses. Les événements récents montrent que l’armée domine toutes les décisions au niveau sécuritaire, alors que les négociations de paix relancées à travers la Conférence de Panglong sont déjà dans l’impasse.
Une dangereuse escalade des violences dans l’État d’Arakan
À la suite des récentes violences dans l’État d’Arakan, les marges de manœuvre du gouvernement civil semblent insignifiantes et celui-ci est loin de dénoncer la situation dans l’Arakan afin de ne pas froisser les militaires, dans un objectif de réconciliation nationale avec les anciens dirigeants. En refusant d’admettre et de condamner les exactions de l’armée, le gouvernement met pourtant en danger la vie de centaines de milliers de personnes et permet à l’armée de profiter de cette crise pour légitimer sa présence dans l’État d’Arakan, ce qui fragilise la transition démocratique en cours.
Développement économique
Face à l’immense défi du développement de son pays, le nouveau gouvernement souhaite au plus vite attirer de nombreux investisseurs étrangers. Cependant, la direction libérale que prend la LND est dangereuse alors que le cadre légal doit être redéfini pour faire de la transparence financière et de la protection des populations locales et de l’environnement des normes. La venue de nouveaux investisseurs dans de telles conditions pourrait aggraver les conditions des populations locales, par exemple en provoquant de nouvelles confiscations de terres.
Des évolutions inquiétantes quant à la liberté de presse
Plusieurs journalistes se sont récemment vus condamnés pour diffamation. Il semble que le régime de censure opéré pendant la dictature et levé pendant la transition démocratique se maintienne sous une forme différente. En effet, les journalistes birmans sont aujourd’hui incités à s’autocensurer.
Les concessions accordées aux militaires par la LND ont certainement un but précis, celui de la réconciliation nationale. Cependant, il est aujourd’hui impossible d’apercevoir de véritables avancées sur des réformes de fond, et la centralisation des pouvoirs par Aung San Suu Kyi, de facto leader du pays, ralenti les transformations. La stratégie du nouveau gouvernement est troublante : avec l’absence d’implication sur la situation des droits de l’Homme, il semble admettre le pouvoir des militaires et ainsi leur donner une certaine légitimité.