« Nous avons décidé de prendre part aux élections », a déclaré le 11 juillet, l’opposante birmane Aung San Suu Kyi, « nous allons participer pour continuer à mettre en œuvre la transition démocratique qui doit être opérée ». Cette annonce, met fin au doute que son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), laissait planer quant à son possible boycott du scrutin. La LND a annoncé qu’elle présenterait des candidats dans 1158 circonscriptions sur les 1,171 mises en jeu à travers le pays.
Lors des élections générales de 1990, la LND a obtenu 80% des sièges, mais la junte militaire a invalidé le scrutin et n’a jamais reconnu sa victoire. Aung San Suu Kyi avait alors été assignée à résidence.
En 2010, Aung San Suu Kyi, toujours assignée à résidence, était inéligible. Son parti, jugeant les lois électorales – émises par le parti de la junte – « injustes », avait alors décidé de boycotter les élections générales.
En 2012, la LND a décidé de participer aux élections partielles et a remporté 40 des 44 sièges qu’elle présentait. Cette victoire écrasante a également permis à Aung San Suu Kyi d’être élue pour la première fois députée à Kawhmu, une circonscription rurale proche de Rangoun.
Les élections législatives de novembre 2015 seront les premières élections générales organisées depuis la sortie de la dictature et les premières élections libres depuis des décennies. Seul 75% des sièges du Parlement seront pourvus au suffrage universel direct car la Constitution attribue obligatoirement 25% des sièges aux militaires. Le président sera élu par le Parlement, quelques semaines plus tard.
Le gouvernement birman s’est engagé à organiser des élections justes et équitables et à en respecter l’issue. « Quel que soit le gagnant, je respecterai le résultat, s’ils l’emportent de façon honnête » , a déclaré le général Min Aung Hlaing, chef de l’armée birmane.
Malgré ces déclarations, le Parlement birman a rejeté, la réforme de la Constitution qui aurait réduit le poids de l’armée en son sein et qui aurait permis à Aung San Suu Kyi de briguer le poste de Présidente. De plus, la mauvaise gestion des listes électorales et les modalités de scrutin très strictes risquent d’exclure une grande partie de la population. Par ailleurs, le droit de vote de 850 000 détenteurs de documents d’identité temporaires (« white cards ») a déjà été retiré début 2015. Enfin, la population manque d’information et le vote s’annonce biaisé par les nombreuses restrictions concernant les campagnes électorales des partis politiques et les candidats.
Bien que la LND soit donnée grande favorite du scrutin, beaucoup d’incertitudes demeurent quant aux intentions de vote de la population birmane. La LND pourrait ne pas obtenir la victoire écrasante que certains prédisent.
D’une part, parmi les sympathisants du parti, nombreux sont ceux qui estiment que la leader historique de l’opposition s’est éloignée des préoccupations du peuple et serait rentrée dans le jeu des manœuvres et des stratégies politiques. Son parti a donc perdu en popularité. Il n’a par ailleurs toujours pas mis en avant un candidat qui pourrait briguer le poste de président à la place d’Aung San Suu Kyi si la LND venait à remporter un nombre important de sièges au Parlement.
D’autre part, les leaders religieux n’ont pas le droit de voter en Birmanie mais bénéficient d’une influence certaine. Les moines extrémistes de l’organisation Ma Ba Tha ont d’ores et déjà appelé le peuple à voter « avec un esprit nationaliste » en faveur de l’USDP, le parti gouvernemental au pouvoir. Ils jugent le parti de l’opposition incapable de « protéger la race et la religion birmane » et estiment que le parti de l’ancienne junte militaire pourrait être en mesure de lutter contre « l’islamisation du pays ».
Alors que les campagnes de haine à l’encontre de l’islam et de la minorité des Rohingyas se sont multipliées et que le nationalisme bouddhiste a pris une place centrale sur la scène politique birmane, le climat est explosif. Malgré la mauvaise image du parti de l’ancienne junte militaire, il est possible que son instrumentalisation des tensions religieuses, le soutien que lui témoignent les moines et sa proximité avec la Commission Électorale lui permettent de récupérer une partie non négligeable des électeurs historiquement favorables à la LND.
Enfin, les minorités ethniques représentent près de 40% de la population en Birmanie. Depuis la fin de la dictature, un grand nombre de nouveaux partis politiques ethniques ont vu le jour ou ont gagné en influence. Ils représentent actuellement la majorité des 80 partis politiques enregistrés pour les élections.
Le 15 juillet, un représentant politique kachin a déclaré que les minorités ethniques s’attendaient à remporter un nombre important de sièges en novembre. « Les minorités ethniques et religieuses ont aujourd’hui une bien meilleure compréhension des enjeux qui les concernent », elles souhaitent être davantage représentées au Parlement pour « accélérer les réformes et mettre fin aux conflits armés avec le gouvernement central », a-t-il déclaré pour justifier ses prévisions.
Au mois de juillet, Aung San Suu Kyi a annoncé que son parti se retirerait des circonscriptions dans lesquelles les partis ethniques alliés se présentaient, pour ne pas risquer de diviser les voix du peuple birman. Toutefois, à moins de 4 mois des élections, la LND est toujours très discrète sur les accords passés avec les partis politiques ethniques et semble s’être éloignée d’un certain nombre d’entre eux.
Les élections du 8 novembre seront donc imprévisibles. La question qui se pose aujourd’hui est finalement de savoir, si l’armée a réellement l’intention de transférer le pouvoir et si « l’après élections 2015 » constituera effectivement un tournant pour l’avenir du pays.
Pour en savoir plus :
Le système politique birman – lire l’aticle