4 février 2020 – Même si la situation politique et les violations des droits humains en Birmanie bénéficient d’une certaine couverture médiatique, l’image d’Epinal de ce pays persiste. Le marketing de l’exotisme, à rebours d’une démarche de connaissance d’un pays et de sa complexité, est habilement développé par les autorités actuelles. Comme il le fut en son temps sous la junte lorsque celle-ci décida d’ouvrir la manne financière du tourisme tout en dissimulant ses crimes. Pays longtemps fermé au monde teinté d’une indéfinissable « authenticité », paysages aux mille pagodes scintillant d’or, diversité culturelle extraordinaire… Voilà la « belle image » dont les autorités du pays se servent aujourd’hui encore. Car pour l’Etat birman, le tourisme n’est pas qu’une affaire de rentrée de devises, qui profite au passage pour partie à l’armée, présente dans plusieurs secteurs clés de l’économie. Il s’agit aussi de communication. Véhiculer la « belle image » est une préoccupation majeure pour un Etat accusé des crimes les plus graves contre une partie de sa population et qui reste dans le déni de ces crimes. Ainsi, les autorités birmanes savent mettre en avant la diversité ethnique et culturelle du pays dans leurs brochures officielles donnant l’illusion d’une contrée en paix, marginalement affectée par quelques différends mineurs. Dans un pays où le commandant en chef de l’armée, Min Aung Hlaing, est mis en cause pour génocide sur la scène internationale mais proclame qu’il est pour « la justice et la paix éternelle », cela n’a rien de surprenant.
Plus troublant, la Chambre de commerce France-Birmanie a organisé un concours pour promouvoir le tourisme dans le pays et a décerné ses prix à l’occasion d’une cérémonie qui s’est tenue le 11 décembre dernier au Novotel de Rangoun. Ce concours pourrait sembler anecdotique, mais il nous semble au contraire tout à fait symptomatique d’une époque où les mots ont perdu leur sens et où le « business as usual» mène le monde, quand bien même il s’agirait juste de vouloir remplir des chambres d’hôtel désertées ou de relancer un secteur économique en berne. Ce concours a été lancé le 16 septembre, le jour même où les enquêteurs de l’ONU concluaient à l’intention génocidaire de l’Etat birman et lançaient un cri d’alarme pour nous dire que les quelque 600 000 Rohingya demeurant en Birmanie restaient exposés à un risque persistant de génocide.
Dans un contexte où la parole de la France se fait rare et où notre pays se refuse – pour des raisons que chacun appréciera – à prendre publiquement et officiellement position sur la situation catastrophique des droits humains en Birmanie en dehors des instances internationales, ce concours nous interpelle. « Bienvenue en Birmanie ! » , « C’est unique ! », « Quoi de neuf ? »… Le sentiment diffus que ce concours participe, qu’il le veuille ou non, à la communication officielle d’un Etat mis en cause pour génocide ne peut nous échapper. Car n’est-ce pas là, indirectement, la voix de la France qui s’exprime ? Même si l’on nous dira que la Chambre de commerce n’est rattachée ni à l’Ambassade, ni au Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères.
En novembre dernier, M. Le Drian a reçu Thaung Tun, Ministre de l’investissement et des relations économiques extérieures et Conseiller à la sécurité nationale d’Aung San Suu Kyi. Il est connu pour avoir, à plusieurs reprises, rejeté les accusations de nettoyage ethnique et de génocide contre la minorité Rohingya et a récemment qualifié la requête de la Gambie devant la Cour Internationale de Justice de tactique d’intimidation. Il n’en a pas moins profité de sa visite en France pour rencontrer des entreprises françaises. Pendant ce temps, l’Ambassade de France organisait des défilés de mode à Naypyidaw et à Rangoun.
A l’heure où il est question de l’intention génocidaire de l’État birman, ce concours, cette visite au sommet et ces défilés nous semblent révélateurs d’un véritable écueil. D’un côté, un silence qui tire officiellement sa justification d’un soutien à une « transition démocratique » sérieusement ébréchée, de l’autre la défense de nos intérêts économiques. Au milieu, un génocide ? Cela nous évoque tristement le constat formulé par Véronique Nahoum-Grappe au sujet de nos démocraties abîmées par le drame syrien. En Birmanie aussi, la culture du réalisme – teintée de « soutien à la transition démocratique en cours » – coûte cher à nos valeurs.
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Contact : Sophie Brondel : sophie@info-birmanie.org / 07 62 80 61 33