On estime à 650 000 le nombre de déplacés internes en Birmanie (Internally-displaced people, IDPs). A l’est, ce sont les minorités Karen, Karenni et Shan qui composent l’écrasante majorité des centaines de milliers de réfugiés massés dans des camps à la frontière avec la Thaïlande.
A l’ouest, ce sont principalement les Rohingyas, ethnie musulmane dont le droit de citoyenneté a été renié par la Junte, et dont beaucoup ont fui les violences de 2012 qui avaient fait des centaines de morts. Environ 140 000 personnes vivent dans des camps de fortune dans l’Etat de Rakhine Sittwe.
Les Rohingyas composent aussi la majorité des 250 000 réfugiés qui ont fuis au Bangladesh.
DES ATTEINTES AUX DROITS ÉLÉMENTAIRES
Dans le catalogue des horreurs auxquelles sont soumises les minorités, il est possible de distinguer les atteintes les plus directes aux droits les plus élémentaires (destructions des villages et des récoltes, tueries systématiques, usage du viol comme arme de guerre et du déminage humain, travail forcé, etc.) et les politiques visant à empêcher les minorités d’exercer leur citoyenneté sur le moyen et long terme (privation de l’accès aux soins et à l’éducation, limitation du nombre d’enfants, interdiction du mariage interconfessionnel, destruction culturelle, encouragement au trafic de stupéfiants etc.).
De longue date, le régime a appliqué la stratégie des « quatre privations » pour vaincre ces rébellions : il s’agit de priver ces dernières d’accès à la nourriture, aux financements, à l’information et aux possibilités de recrutement. Une stratégie qui entraîne une étroite surveillance des populations civiles et les soumet à l’arbitraire des militaires. Ceux-ci n’hésitent dès lors pas à se « servir sur la bête », agissant comme une véritable armée d’occupation : terres et nourriture sont souvent confisquées. Les soldats birmans se rendent en outre coupables de viol.
Les zones de l’Est et celles bordant le Bengladesh à l’Ouest sont les plus touchées, même si aucune n’est épargnée. Plus de 3000 villages ont ainsi été détruits dans l’Est du pays, notamment en zone karen. L’usage du travail forcé, répandu sous la junte, n’a toujours pas pris fin, et le recours au déminage humain est désormais bien documenté.
Plus généralement, la junte a toujours été accusée par l’ensemble des minorités de mener une politique de « birmanisation » : destruction des cultures des différents groupes, d’églises chez les Karens, ou de mosquées chez les ethnies musulmanes, encouragement par le régime à l’installation de colons bamars dans les zones des minorités, l’usage du viol comme arme de guerre n’était pas étranger à cette visée. Ces actes, conjugués à la birmanisation de l’éducation, participaient à ce que certains analystes n’hésitent pas à appeler une « guerre d’annihilation culturelle » contre les minorités.
Les dernières années de la junte au pouvoir, ont été marquées par les tensions et les conflits armés entre les forces armées birmanes et les minorités ethniques. Cela a généré une situation humanitaire dramatique dans les zones peuplées par les minorités.
Si la répression a d’abord été le fait de l’armée birmane, force est de reconnaître que le régime a connu certains succès dans ses tentatives d’instrumentalisation de certains groupes ethniques contre les autres. Pour ne prendre que deux exemples, une partie des Karens bouddhistes, regroupés au sein de l’armée bouddhiste et démocratique Karen (Democratic Karen Buddhist Army, DKBA) a appuyé l’armée dans sa lutte contre la KNU, de même qu’une partie des Mongs emmenés par le « seigneur de la drogue » Khun Sa a été enrôlé du côté de l’armée gouvernementale.
LES CONFLITS ETHNIQUES DEPUIS LA DISSOLUTION DE LA JUNTE
En 2011, la junte a été dissoute, et le Président Thein s’est engagé à reprendre le dialogue avec les minorités. Il a reconduit la plupart des cessez-le-feu conclus sous la dictature, notamment avec les minorités karen, shan, chin et karennie.
Ces initiatives, ont été saluées comme l’un des plus grands succès de Thein Sein. Pourtant, depuis qu’il est devenu président, les conflits se sont intensifiés ; notamment dans les états Shan et Kachin où des trêves ont été rompues. L’armée birmane y cible des civils et commet des violations des droits de l’homme qui ont déjà entrainé le déplacement de près de 150 000 personnes uniquement pour ces deux conflits.
- Le conflit Kachin s’enlise, l’Armée de l’Indépendance Kachin (KIA) a repris les armes, en juin 2011. En décembre 2012, des hélicoptères et avions militaires survolaient, à basse altitude, des camps de personnes déplacées dans les zones contrôlées par la KIA, provoquant une peur intense parmi la population. En janvier 2013, des bombardements aériens ont causé la mort de plusieurs civils.
- Les accrochages entre rebelles shans et bataillons de l’armée birmane sont toujours fréquents. Les exactions commises dans l’Etat Shan comme dans l’Etat Kachin, sont nombreuses : viols, tortures, exécutions et détentions arbitraires, incendies criminels, tirs de mortiers sur des villages, pillages, travail forcé, passages à tabac, utilisation d’enfants soldats etc.
- Le conflit Karen, apaisé depuis quelques mois, n’est toujours pas résolu et les scissions au sein de la communauté karen se multiplient à propos de la poursuite du dialogue.
- La situation des Rohingyas s’est nettement aggravée depuis l’arrivée de Thein Sein au pouvoir. En avril 2013, Human Right Watch, dénonçait le nettoyage ethnique en cours contre la minorité. Trois mois après, le Président birman déclarait : « Ce sont des informations fabriquées de toute pièce, il s’agit d’une opération de dénigrement menée contre le gouvernement, », « Contrairement à ce qui est dit, le gouvernement a été en mesure de contenir ces violences et la situation est revenue à la normale dans le pays » (Interview pour France 24, 19 juillet 2013).
Pourtant, les Rohingyas font face aux mauvais traitements récurrents, à l’exclusion et à un racisme de plus en plus admis en Birmanie. Les représentants du gouvernement et des forces de sécurité contribuent directement aux violences et à l’incitation à la haine contre la minorité. Ils ont notamment mis en place des lois et pratiques discriminatoires à leur égard.
Plus généralement, les droits civils et politiques des minorités de Birmanie ne sont pas assurés, leurs langues n’ont pas été intégrées au système éducatif, les monuments religieux non bouddhistes sont encore les cibles d’attaques, et les discriminations sont monnaies courantes. Cette politique contre les minorités ethniques qui durent depuis 1962, n’est pourtant pas parvenue à écraser ces populations qui représentent un tiers de la peuple birman.
Les enjeux économiques liés à l’ouverture de la Birmanie aux investisseurs étrangers, ne doivent pas faire oublier à la communauté internationale qu’un Etat birman démocratique et en paix devra passer par la reconnaissance des minorités ethniques, leur protection, et leur intégration au processus politique national.