Alors que la Birmanie est un de ces pays où l’astrologie et la numérologie jouent un rôle important, le 8 août 1988, soit le 8888, est aujourd’hui, au-delà d’une date, un numéro gravé dans la mémoire de tous les birmans.
Il y a 30 ans, jour pour jour, culminait la répression de la plus grande révolte pro-démocratique qu’ait connue ce pays. À l’occasion de cet anniversaire, Info Birmanie rappelle qu’il est crucial que le gouvernement birman reconnaisse les atrocités commises durant des décennies de dictature militaire et qu’il mette en place une enquête indépendante qui permettrait d’avancer vers l’accès à la justice.
En mars 1988, de nombreux étudiants descendent dans les rues de Rangoun pour manifester contre le régime mené par le Général Ne Win. La réponse des militaires au pouvoir ne se fait pas attendre : de nombreux manifestants sont tués – certains sont même noyés dans le lac Inya. En une semaine, le mouvement était éteint.
Mais la démission, le 23 juillet 1988, du général Ne Win, dictateur au pouvoir depuis 1962, rouvre la voie à des manifestations pro-démocratiques. Ce dernier fut en effet immédiatement remplacé par le Général Sein Lwin, responsable de la répression de mars et de juin de la même année. Le 8 août 1988, une grande manifestation fut organisée. Universitaires, hommes d’affaires, paysans et moines s’unissent pacifiquement en faveur de la démocratie et pour réclamer de meilleures conditions de vie. Mais là encore, la répression fut cruelle. Les soldats n’ont pas hésité à tirer sur les enfants ou les volontaires de la Croix Rouge qui portaient secours aux blessés et ont ouvert le feu devant l’hôpital de Rangoun, tuant médecins et infirmières. En quatre jours, pas moins de 3 000 personnes perdaient la vie et des milliers d’autres furent arrêtées et emmenés à la prison d’Insein.
C’est alors qu’Aung San Suu Kyi est entrée en scène. En Birmanie pour visiter sa mère, la fille du général Aung San (père de l’indépendance) est témoin de ces horreurs et décide de s’engager pour libérer le peuple de la dictature militaire. Le 26 août, elle fit son premier discours à la pagode Shwedagon devant 500 000 personnes. Elle représente alors l’espoir.
Le 18 septembre 1988, c’est le Conseil d’État pour la Restauration de la Loi et de l’Ordre (SLORC) qui s’installe alors au pouvoir, avec le général Than Shwe à sa tête. Une junte remplace une junte. La nouvelle junte annonce la tenue d’élections, mais bannit du même coup les rassemblements politiques. Six jours plus tard, Aung San Suu Kyi crée néanmoins la Ligue nationale pour la démocratie (LND), dont elle prend la tête. Le 20 juillet 1989, elle est finalement assignée à résidence, sans être accusée de quoi que ce soit et sans procès. Elle y passera 14 ans. Le 27 mai 1990, la LND remporte haut la main les élections avec plus de 82 % des sièges au Parlement, mais la junte refuse de reconnaître le résultat.
Les commémorations ont longtemps été tabou et interdites dans la presse, mais le gouvernement de Thein Sein – symbole des premiers pas de la transition démocratique avec un gouvernement dont le président est un héritier de la junte militaire – les autorise. Il y a cinq ans, un ancien ministre de la junte s’était rendu aux cérémonies en indiquant qu’il fallait « tirer les leçons des erreurs du passé ». Sans parler de responsabilité, c’est à demi-mot qu’avait été reconnu la cruauté de l’armée birmane.
Du côté de la Ligue nationale de la démocratie (LND), on ne demande pas de compte aux anciens généraux actuellement au pouvoir. Cette revendication n’est plus dans les discours d’Aung San Su Kyi. S’il a été un jour question de « justice tempérée par la pitié », soit de commissions vérité afin d’amener les responsables de la répression à avouer leurs crimes sans les condamner à la prison ; pour l’heure on ose à peine parler d’État de droit. Il ne faut pas froisser les généraux.
L’année dernière, le comité organisateur de la commémoration a proposé au gouvernement et au parlement de marquer le 8 août comme la «Journée de la démocratie en Birmanie», mais rien n’a encore été fait dans ce sens.
Il est aujourd’hui indispensable que la communauté internationale exhorte le gouvernement birman à reconnaître la culpabilité de la junte militaire, et à mettre fin au rôle prédominant de l’armée, notamment en entamant une réforme constitutionnelle.
Enfin, la communauté internationale doit reconnaître que de sérieuses violations des droits de l’homme continuent d’être perpétrées en Birmanie depuis l’auto-dissolution de la junte militaire et doit agir en conséquences.
P.A.