Le gouvernement birman s’appuie sur les extrémistes bouddhistes et sur le climat actuel de tension pour conserver son emprise sur le peuple birman et préparer les élections de 2015. Il continue d’instrumentaliser les relations entre les différents groupes ethniques et ne compte pas arranger la situation qui lui profite pleinement.
Cette stratégie du gouvernement lui permet de diviser la population birmane, d’accentuer les tensions entre les birmans « bamars » et les minorités ethniques, de renforcer le sentiment d’insécurité, de légitimer le pouvoir de l’armée et de se positionner comme le défenseur du peuple contre une « menace musulmane ».
Les autorités n’ont en effet montré aucune volonté d’apaiser les tensions ni de juger les responsables des violences. Au contraire, elles défendent ceux qui incitent à la violence et soutiennent les lois discriminantes qu’ils proposent : limitation des mariages inter-religieux et du nombre d’enfants des musulmans. Elles légitiment ainsi les propos des groupes extrémistes bouddhistes et contribuent à la multiplication des discours de haine à l’encontre des musulmans.
Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme en Birmanie s’en inquiète dans son dernier rapport de Mars 2014: « Le Rapporteur spécial craint que le gouvernement ne s’acquitte pas de son obligation internationale relative aux droits de l’homme pour lutter contre l’incitation à la violence fondée sur la haine nationale, raciale ou religieuse. Des groupes politiques, religieux et communautaires ont mené, en toute impunité, des campagnes extrêmement bien organisées et coordonnées d’incitation à la discrimination, à l’hostilité et à la violence contre les Rohingyas et les autres minorités musulmanes. »
Les événements du début de l’année 2014 montrent une escalade des tensions et confirme l’attention particulière que le gouvernement porte aux extrémistes bouddhistes au détriment des musulmans :
- Les violences du mois de janvier à Du Chee Yar Tan, responsables de la mort d’au moins 48 Rohingyas et d’un officiel arakanais, n’ont donné lieu à aucune arrestation de bouddhistes alors qu’une chasse à l’homme a été lancée contre tous les hommes et les garçons musulmans âgés de plus de 10 ans. Plusieurs centaines de Rohingyas ont été arrêtés et plusieurs milliers ont du fuir. La Commission des droits de l’homme birmane a enquêté sur les violences et conclu qu’aucune preuve ne permettait de confirmer les meurtres des Rohingyas.
- Depuis janvier 2014, des manifestations dans l’État d’Arakan demandent le départ des organisations humanitaires qui sont accusées d’aider « en priorité les musulmans ». Le gouvernement a réagi très rapidement en expulsant Médecins sans frontières de l’État d’Arakan.
- Le 13 mars, le Parlement de l’État d’Arakan, a approuvé à l’unanimité un projet de loi visant à interdire dans l’État toutes les « ONGs et organisations internationales non enregistrées » car celles-ci alimenteraient les tensions.
- Le Sénat a approuvé un projet d’amendement de la loi sur les partis politiques. Il propose de retirer aux détenteurs de cartes d’identités provisoires, souvent des Rohingyas, le droit de former des partis politiques. Le projet doit maintenant passer devant l’Assemblée Nationale.
- Le 28 mars des manifestants bouddhistes ont attaqués les locaux de plusieurs organisations humanitaires. Une douzaine de bureaux d’ONG et de l’ONU ont été détruits et plus de 100 travailleurs humanitaires ont été forcés de fuir la région. Parmi ceux-ci OXFAM, UNICEF, Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (UNOCHA), Solidarité Internationale, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) , l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, le Programme Alimentaire Mondial, Malteser International
- Malgré les contestations des minorités ethniques et les organisations de la société civile birmanes et internationales le recensement a débuté le 30 mars dernier. Une semaine avant, les extrémistes bouddhistes ont appelé à son boycott de crainte qu’il ne soit utilisé par les Rohingyas pour revendiquer leurs droits. Pour les rassurer, le gouvernement a annoncé que la minorité devrait se déclarer comme « bengalis », reniant ses origines et les qualifiant de migrants illégaux venus du Bangladesh.
- L’article 18 de la loi sur les manifestations et les rassemblements pacifiques est souvent utilisé par les autorités pour arrêter les militants qui manifestent sans autorisation mais jamais lorsqu’il s’agit des leaders extrémistes.
Le président Thein Sein a besoin de cette scission entre religions pour garder le contrôle du peuple birman et gagner en popularité au détriment de la leader de l’opposition Aung San Suu Kyi. En effet, en évitant de se positionner sur les discriminations et les violences anti-musulmanes, elle est en train de perdre le soutien de ceux qui s’opposent aux musulmans, mais aussi des minorités ethniques qu’elle ne défend pas.
Enfin, le gouvernement utilise le conflit de l’État d’Arakan pour récupérer les terres abandonnées par les populations en fuite afin de les réattribuer aux entreprises en lien avec le gouvernement ou aux entreprises étrangères. Les violences anti-rohingyas et anti-musulmans ont eu lieu dans les zones destinés à accueillir des projets industriels stratégiques comme : le développement du port de Sittwe, les zones industrielles de Kyaukpyu et de Ranmbree et le carrefour routier de Thandwe (Sandoway).
D’OÙ VIENT LA HAINE A L’ÉGARD DES MUSULMANS ?
Des tensions latentes entre les communautés musulmanes et bouddhistes en Birmanie existent depuis de nombreuses années. Ces tensions ont été exploitées par les régimes successifs afin de créer une situation où l’armée est nécessaire. Beaucoup de birmans de la majorité « bamar » voient l’identité birmane et l’identité bouddhiste comme une seule et même chose.
Le nationalisme et le bouddhisme ont aussi constamment été repris par les dictatures successives pour tenter de justifier leur domination et obtenir un soutien du public. Cela a créé un environnement volatile, qui est actuellement exploité par divers organisations et individus.
DES PREJUGES ANCRES ET UN RACISME ACCEPTE PAR LA SOCIÉTÉ
Les préjugés contre les musulmans sont assez répandus en Birmanie. La population doit accepter que la Birmanie soit un pays multi-ethnique et pluri-religieux, et se rendre compte que les différentes religions peuvent coexister de façon juste.
Si l’histoire prouve que les populations de Birmanie sont capables de vivre ensemble, la question est de savoir pourquoi il n’y arrive plus aujourd’hui ?
Le peuple birman a perdu le respect mutuel et la confiance notamment à cause de rumeurs lancées par des groupes obscurs liés aux autorités. Avant le regain des violences contre les musulmans en juin 2012, beaucoup de discours et de documents antimusulmans ont été propagés sur les réseaux sociaux. Le chef du cabinet du Président Thein Sein, Mu Zaw, a été dénoncé comme l’un des responsables de la diffusion de cette haine à l’égard des musulmans. Bien qu’il occupe un poste de haute responsabilité, il n’a pas été inquiété et a pu garder son poste. Un signal était donné : n’ayez pas peur de tenir des discours racistes publiquement, y compris si vous occupez un poste gouvernemental ou de haute responsabilité.
Dès lors, les activistes étaient arrêtés pour leurs activités pacifiques alors que moines et les extrémistes qui se sont mis à diffuser des discours de haine, sont restés libres de leur mouvement et de leur parole.
Cette propagande a créé une atmosphère de panique et une hystérie dans le pays : les bouddhistes sont persuadés qu’ils vont être massacrés par les musulmans, ils anticipent donc en tuant les musulmans en premier. Ils n’hésitent aujourd’hui pas à dire qu’il est nécessaire de tuer tous les musulmans avant que ceux-ci ne se retournent contre eux. Même les bouddhistes qui aident les musulmans sont considérés comme des traitres. Ils sont violentés et assassinés. Il suffit donc d’une étincelle, d’une rumeur ou d’un fait divers pour mener à la catastrophe et aux pires violences. Cette tactique d’intimidation est une stratégie qui fait penser à celle des Nazis sous Hitler.
La montée des tensions religieuses constitue la plus grande menace pour la paix et une future transition vers la démocratie en Birmanie. Les violences se répandant à travers le pays, la situation pourrait bien s’empirer durant les mois à venir si des mesures urgentes ne sont pas prises.
En savoir plus:
– Un an après les violences anti-musulmanes de Meitkila : les discours haineux inspirent des lois discriminatoires lire ici
-Focus sur la situation des Rohingyas : lire ici