Opprimés depuis une dizaine d’années par l’État birman mais également par une partie de la population, la minorité ethnique des Rohingyas est reconnue par l’ONU comme l’une des minorités ethniques les plus persécutées au monde. Les élections législatives du mois de novembre, considérée comme les premières élections libres depuis 50 ans en Birmanie, ne semblent pas avoir permis d’améliorer la situation de la minorité musulmane, qui s’est retrouvée au cœur du débat électoral sans avoir le droit d’y participer.
Pour l’organisation extrémiste Ma Ba Tha, la préparation des élections a été une nouvelle occasion d’accuser les Rohingyas de vouloir « islamiser la Birmanie » et de fédérer le peuple birman autour de la « protection de la race et de la religion birmane ». Face au succès populaire des campagnes de haine de Ma Ba Tha, le gouvernement birman n’a cessé de prendre des mesures pour restreindre les droits des minorités musulmanes. Dans le contexte électoral, il s’agissait pour le parti au pouvoir, l’USDP, de s’assurer du soutien de Ma Ba Tha, de gagner en popularité et de contrer l’opposition politique menée par le parti d’Aung San Suu Kyi.
Un nouvel ensemble de lois discriminantes, rédigé par ces groupes extrémistes et visant directement les libertés familiales et religieuses des minorités musulmanes a été adopté en 2015 par le Parlement. Plus de 500 000 musulmans de l’État d’Arakan se sont retrouvés déchus de leur document d’identité et de leur droit de vote. Sur les 124 candidats disqualifiés des élections par la Commission Électorale birmane, plus d’un tiers étaient musulmans et ont été exclus principalement pour des raisons de « citoyenneté ». La minorité musulmane qui représente entre 4 et 10% de la population birmane n’était donc représentée que par 0,5% des candidats. Aucun des 28 candidats musulmans en lice n’a par ailleurs remporté de siège.
La stratégie du parti au pouvoir s’est révélée payante puisque les moines extrémistes de Ma Ba Tha ont appelé le peuple à voter « avec un esprit nationaliste » pour l’USDP, jugeant qu’une majorité accordée à la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) serait synonyme de la « fin du bouddhisme ». De son côté, la LND n’a pas parlé des rohingyas pendant sa campagne électorale.
Que penser du résultat des élections pour les minorités musulmanes ?
Les résultats des élections du 8 novembre, donnant une très large majorité à la LND, ont montré que le peuple birman n’a pas suivi l’appel de Ma Ba Tha de voter pour l’USDP. Le rejet du gouvernement en place fut finalement plus fort que tout sentiment anti-musulman.
Ma Ba Tha et son leader Wirathu sont restés très silencieux après les élections. L’organisation a prudemment salué la victoire écrasante de la LND, mais a mis en garde contre toute tentative de modification des lois controversées pour la « protection de la race et de la religion ».
La campagne électorale du parti arakanais (l’ANP – Arakan National Party) ouvertement anti musulman a toutefois fonctionné à merveille : l’ANP est le parti ethnique qui a obtenu le plus de sièges (45 en tout). Il a surtout remporté 23 des 47 sièges de l’assemblée régionale, échouant de peu à en obtenir la majorité. Le président de la Birmanie nommera les premiers ministres de chaque région et ceux-ci formeront ensuite leur gouvernement régional. Le parti arakanais a déclaré que si la LND souhaite bénéficier du soutien de l’ANP pour ses prochaines réformes, le parti d’Aung San Suu Kyi devra nommer un membre de l’ANP à la tête de la Région de l’Arakan, permettant à ce dernier de former son propre gouvernement.
Les défenseurs des droits des minorités musulmanes craignent que ces élections n’aggravent la situation des Rohingyas de l’Arakan. En effet, les responsables de l’ANP ont répété pendant toute la période électorale que s’ils parvenaient à obtenir le pouvoir, ils « les mettraient sur des bateaux pour les expulser loin de l’État d’Arakan ». En pratique les parlementaires de l’ANP n’auront pas ce pouvoir car ces décisions dépendent des autorités centrales mais sur le terrain, celles-ci ne pourront pas forcément contrôler ce que la police, la justice et les autorités locales feront.
Les responsables de la LND ont confié à l’équipe d’Info Birmanie que s’ils bénéficiaient du soutien populaire, ils amenderaient la loi sur la citoyenneté – à l’origine d’un grand nombre de discriminations à l’encontre des rohingyas – mais ont rajouté qu’il ne s’agirait pas d’une priorité du nouveau gouvernement. Le peuple birman étant largement xénophobe, cet amendement parait donc encore bien incertain. Aung San Suu Kyi, très attendue par la communauté internationale sur ce sujet, a déclaré que son gouvernement souhaitait protéger les musulmans et garantir l’égalité de traitement pour tous. Il est cependant encore difficile de savoir si la LND mettra en place de réelles mesures pour améliorer le sort des Rohingyas et surtout quand et comment elle s’y prendra.
Le nouveau gouvernement n’entrera au Parlement qu’en février ou mars 2016, en attendant et malgré la défaite de l’USDP, le nationalisme bouddhiste semble toujours de mise.
Les dernières lois préparées par Ma Ba Tha et étudiées par le gouvernement encore au pouvoir, concernent l’abattage des animaux. Ils souhaitent qu’il soit réservé aux bouddhistes car ils n’apprécient pas les méthodes des musulmans. Deux semaines après les élections, la Cour de Pazundaung a condamné cinq personnes à une amende de 800 dollars pour avoir publié un calendrier sur les Rohingyas. À l’origine de cette dénonciation, un moine extrémiste du mouvement Ma Ba Tha. Ces 5 personnes risquent aujourd’hui une peine de prison de plusieurs années. Enfin, le 8 décembre, un rohingya qui transportait des denrées alimentaires en camion a été tué par balle par les autorités arakanaises après avoir refusé de payer un pot de vin aux officiers.
Malgré ces élections jugées « historiques », les Rohingyas ne s’attendent pas à une amélioration de leur condition de vie dans un futur proche. Avec l’arrivée de la saison sèche, leur exode qui avait ému la communauté internationale en mai 2015, a repris, dans l’indifférence générale.
Pour en savoir plus sur l’organisation extrémiste Ma Ba Tha : Lire Birmanie : ces moines qui boudaient Bouddha – Focus sur l’organisation extrémiste Ma Ba Tha – Décembre 2015