Au mois d’août, le Président du Parlement, Shwe Mann a été brusquement démis de ses fonctions de dirigeant du parti au pouvoir. Après des mois de tensions et plusieurs tentatives d’éviction infructueuses, le président Thein Sein a finalement fait appel aux forces de police pour parvenir à exclure son rival politique de l’USDP, parti issu de l’ancienne junte militaire. Il lui reprochait son rapprochement avec la leader de l’opposition, Aung San Suu Kyi, ainsi que son soutien à d’éventuels amendements constitutionnels qui devaient réduire le pouvoir de l’armée. Moins de trois mois avant les élections, cette purge peu démocratique, orchestrée par le président en personne, est préoccupante. Outre le résultat de rivalités au sein du parti politique, il s’agit d’une démonstration de force qui en dit long sur la domination militaire de la vie politique en Birmanie.
Quelques jours après cette démission forcée, dénoncée par la communauté internationale, la Chambre basse du Parlement n’a pas hésité à approuver deux projets de loi « pour la protection de la race et de la religion » célèbres pour leur vocation discriminante. Proposé par le groupe extrémiste Ma Ba Tha au Parlement en novembre 2014, il s’agit de quatre textes de loi visant directement les minorités religieuses musulmanes. Les deux premiers ont été adoptés avant l’été, tandis que la loi sur la «Conversion religieuse » et la « Monogamie » ont été approuvées la semaine dernière. Il ne manque plus que la signature du Président Thein Sein pour qu’elles soient adoptées.
La loi pour le “contrôle de la population”, adoptée en mai 2015 autorise les autorités locales à imposer aux couples mariés un délai de 36 mois entre chaque naissance. Cette loi s’appuie sur la crainte, exacerbée par le groupe extrémiste Ma Ba Tha, que l’Islam devienne la religion majoritaire en Birmanie au détriment du Bouddhisme. Par ailleurs, un décret limite déjà, le nombre d’enfants à deux pour les musulmans de l’État d’Arakan.
La deuxième loi sur les « mariages des femmes bouddhistes » ou loi sur les « mariages interconfessionnels » a été approuvée par le Parlement en juillet 2015 mais n’a pas encore été signée par le Président Thein Sein. Ce texte exige des femmes bouddhistes qu’elles obtiennent une autorisation pour se marier à une personne d’une confession différente. Ce projet de loi a été dicté par le groupe extrémiste qui estime que les hommes musulmans épousent des femmes bouddhistes dans le but de propager l’Islam.
La troisième loi sur les « conversions religieuses » obligera toute personne souhaitant changer de religion à obtenir l’autorisation des autorités. La quatrième loi sur la Monogamie n’apporte pas de changement législatif majeur puisque la polygamie est déjà interdite en Birmanie. Ces deux lois ont été approuvées par le Parlement la semaine dernière.
Ces quatre textes législatifs sont discriminants et représentent un risque majeur pour le processus de réformes démocratiques. Les racines du nationalisme bouddhiste remontent à des décennies mais ont gagné une influence politique énorme ces dernières années. En mettant tant de zèle à protéger le bouddhisme, les auteurs de ces lois mettent en péril, les autres minorités religieuses comme les Chrétiens, les Hindous et plus spécifiquement les minorités musulmanes.
La Rapporteur Spécial pour les Droits de l’Homme, Yanghee Lee a déclaré « Les secteurs qui nécessitent des régulations comme des lois sur le mariage, le divorce ou la succession, devraient faire l’objet de lois communes à l’ensemble du peuple birman, indépendamment de leur race et de leur religion et en conformité avec les normes internationales relatives aux Droits de l’Homme. Si ces lois sont adoptées, cela pourrait être vu comme un indicateur du recul du processus de réformes politiques ».
Ces textes violent également les normes internationales en matière de droits de la personne, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) qui précise que les gouvernements doivent « éliminer toute discrimination à l’égard des femmes, pour toutes les questions ayant trait au mariage et aux relations familiales ». Les organisations de défense des femmes en Birmanie, ont largement manifesté leur opposition à ce texte, sans succès.
Cet ensemble législatif est utilisé par le gouvernement birman à des fins électorales. En effet, le pays connait actuellement un climat xénophobe, renforcé par les discours de haine des activistes et des moines extrémistes qui ont fait du nationalisme birman, un enjeu phare des élections de novembre. « Le gouvernement birman joue un jeu dangereux puisqu’il semble s’appuyer sur les sentiments de xénophobie, de racisme et de nationalisme pour son propre intérêt politique au dépend de millions de citoyens ethniques birmans » a déclaré Charles Santiago, Président du groupe de parlementaires de l’ASEAN pour les Droits de l’Homme.
Alors que les organisations de la société civile et la communauté internationale ont exprimé leurs vives inquiétudes quant à l’impact d’un tel dispositif législatif sur les minorités religieuses et les femmes, les législateurs n’en ont pas tenu compte. L’Union Européenne déclarait notamment en juillet que ces lois « pourraient compromettre la transition vers une réconciliation nationale et une société démocratique ouverte ».
Pour être adoptées, ces trois textes de lois nécessitent la signature du Président Thein Sein. S’il est réellement le réformateur qu’il prétend être, il doit saisir cette opportunité pour montrer son attachement au respect des Droits de l’Homme et refuser de signer ces lois discriminantes. Info Birmanie appelle le Président Thein Sein à privilégier les intérêts de son peuple, avant les siens ou ceux de l’armée, en commençant par rejeter ces textes de loi.
Alors que le Président birman a déjà signé le premier texte de loi, il y a peu de chance qu’il s’oppose aux trois autres. Info Birmanie appelle les donateurs de la Birmanie, notamment l’Union Européenne et la France à exercer toutes les pressions requises pour prévenir un nouveau recul des droits de l’homme pour les minorités birmanes.