Le futur de la Birmanie se fera-t-il à Panglong?

Le futur de la Birmanie se fera-t-il à Panglong?

Alors qu’Aung San Suu Kyi a annoncé le 16 mai la formation d’un comité d’organisation de la « seconde conférence de Panglong » et la tenue de celle-ci à partir de fin juillet, le conflit armé continue dans l’état Shan entre l’armée birmane et plusieurs groupes ethniques. Le projet de la Conseillère d’État et « femme forte » du premier gouvernement démocratiquement élu plus d’un demi-siècle, suscite l’espoir que le processus de paix soit relancé.

Pour la prix Nobel de la paix et fille d’Aung San, invoquer la conférence de Panglong est un moyen de se placer en continuité de la seule décision politique propice aux minorités, restée lettre morte à cause des soixante ans de junte militaire et de conflits avec les minorités ethniques. Encore faut-il que celles-ci n’y voient pas une simple évocation mais un réel projet politique fédérateur, où leurs voix puissent être entendues.

Cette nouvelle conférence nationale, devant inclure les 8 groupes signataires de l’accord de cessez-le-feu signé en octobre 2015et une partie des groupes non-signataires, sera dirigée par Aung San Suu Kyi elle-même. Elle a également déclarée vouloir aboutir à une plus grande autonomie pour les états ethniques dans le cadre d’un fonctionnement plus fédéraliste de l’état birman, point revendiqué par les minorités depuis plus de 60 ans.

Le projet rappelle bien celui de son père au moment de la première conférence, mais la situation actuelle n’est plus celle de 1947 et les bonnes volontés ne suffiront pas à faire adopter des décisions qui redéfiniraient les pouvoirs locaux et risqueraient de retirer à l’armée de son importance.

Le Senior Général Min Aung Hlaing, commandant en chef de l'armée, regardant Aung San Suu Kyi, au palais présidentiel à Naypyidaw le 10 avril 2015. (Photo: Soe Zeya Tun / Reuters)
Le Senior Général Min Aung Hlaing, commandant en chef de l’armée, regardant Aung San Suu Kyi, au palais présidentiel à Naypyidaw le 10 avril 2015. (Photo: Soe Zeya Tun / Reuters)

La première conférence de Panglong

Malgré la persistance depuis l’indépendance de conflits entre le gouvernement central et les groupes ethniques armés, l’équilibre géopolitique sous-tendu a énormément changé, et s’en tenir à une vision simplement binaire, entre l’armée birmane d’un côté et les minorités de l’autre, peut fausser la compréhension des enjeux actuels.

Le « récit patriotique » birman, construit au cours des années de junte, reste le cadre idéologique de base y compris du côté démocrate, et donne une importance centrale au groupe bamar majoritaire, dans la construction de la nation. Ce discours est encore très critiqué par certains groupes minoritaires qui s’y sentent délégitimés.

La première conférence de Panglong s’est tenue en 1947, un an avant que le pays n’accède à l’indépendance. Il s’agissait alors pour le Général Aung San de convaincre les leaders de certaines minorités récalcitrantes, Shan, Kachin et Chin, de participer à la construction d’une nation moderne dans le territoire correspondant à l’ancienne colonie, en échange d’une large autonomie et de la possibilité de se retirer au bout de dix ans.

Jusqu’à cette date la Birmanie n’avait pas existé en tant qu’entité nationale. Le royaume de Myanmar, autour de Mandalay, formait le centre de ce vaste ensemble géographique où les populations et les pouvoirs politiques interagissaient depuis longtemps, par succession de conquêtes, migrations et déportations massives.

C’est dans ce sens qu’Aung San envisageait le terme « bamar », comme fondant une identité commune à tous. Mais par la suite, la politique de la junte de limiter chaque ethnie à un territoire la repoussant aux marges du pays, pour faire du centre un espace homogène et dominant, celui du peuple « bamar » racialisé, impliqua un rapport de soumission rejeté par les groupes ayant connus l’indépendance politique, comme les Shan, ou à minima l’autonomie par rapport au pouvoir birman, comme les Karens et les Chins.

Des groupes armés entre rivalités et alliances

Le projet proposé restait dans la conception issue du découpage colonial anglais visant à circonscrire et isoler chaque groupe, dans la logique du « diviser pour mieux régner », quitte à mettre de côté beaucoup de cas particuliers : les Shans de la région entre Mandalay et Myitkyina, les Karens du delta de l’Irrawaddy, les Kachins de l’état Shan…

Soixante-neuf ans plus tard, le fait que l’accord de Panglong n’ait jamais été appliqué rend septiques beaucoup de représentants des groupes ethniques quant à l’aboutissement d’une deuxième conférence. Comme le rappelle Daung Khar de l’Organisation pour l’Indépendance Kachin (KIO) : « Le premier accord de Panglong ne nous a pas fait gagner nos droits. Nous doutons qu’un deuxième accord puisse nous les donner. »

Actuellement en conflits déclarés entre eux et avec l’armée birmane, les groupes basés dans l’état Shan sont symptomatiques du changement d’équilibre et de légitimité opéré par la junte : depuis les années 60, la création de plusieurs milices armés et de groupes de trafiquants, et l’émergence de minorités jusqu’alors sans autonomie par rapport aux Shans, ont fragilisé les revendications et l’implantation de ceux-ci, et contribué au morcellement de la région.

« L’armée et le peuple dans l’unité éternelle »

Le vieux slogan de la junte semble toujours d’actualité au vu de la position du chef de l’armée, le Senior Général Min Aung Hlaing.

Le besoin de justifier sa prééminence dans le règlement des conflits armés montre que la Tatmadaw tient à garder sa position de « seule garantie de stabilité » pour le pays, quitte pour cela a jouer un double jeu et à attiser les tensions. L’armée continue ses opérations et ses exactions contre les populations civiles et la militarisation de zones, y compris dans les régions occupées par des groupes signataires du cessez-le-feu, comme la SSA-S.

Mais les dirigeants de l’armée jouent aussi leur avenir dans le nouveau cadre politique du pays. Toujours garantis d’avoir 25% de sièges au parlement, l’enjeu de la conférence de Panglong peut être aussi pour les militaires un moyen de garantir le pouvoir de la Tatmadaw en en faisant l’interlocuteur privilégié des principaux groupes ethniques, malgré les exactions commises sur le terrain.

Le pouvoir est encore du côté du canon, le processus de paix nécessitant l’arrêt des combats, l’armée est donc la mieux placée pour poser ses conditions et jouer le chaud et le froid, et monter les uns contre les autres des « seigneurs de la guerre » parfois peu disposés à perdre leur prérogatives. C’est ce qui amène certains analystes à penser que l’intention du Senior Général Min Aung Hlaing est de faire échouer la conférence, à moins que celle-ci corresponde aux conditions posées par l’armée. Il a ainsi déclaré que « tous les groupes ethniques doivent soutenir les principes de paix de la Tatmadaw et rester dans leurs zones désignées pour éviter les combats, seulement dans ce cas la paix pourra aboutir selon le système politique actuel ».

La position d’Aung San Suu Kyi est donc assez fragile, quoique symboliquement séduisante. Mais les négociations se joueront bien des deux côtés, et la confiance des leaders ethniques dépendra aussi de sa capacité à maîtriser les velléités de l’armée. C’est ce que craint le Lieutenant Général Yawd Serk, leader de la SSA-S : « J’espère qu’ASSK fera de son mieux pour cette conférence de Panglong. Toutefois, je suis aussi inquiet qu’elle puisse se tromper et mal faire. Si la conférence n’aboutit pas, cela affectera le futur de la nation. »


 

[5] http://english.panglong.org/over-200-villagers-trapped-by-clashes-in-shan-state/

[6] http://www.irrawaddy.com/commentary/embattled-ethnic-armed-groups-cast-doubt-suu-kyis-peace-drive.html

[7] http://english.panglong.org/lt-gen-yawd-serk-if-this-conference-is-wrong-it-will-affect-the-future-of-the-union/