La société birmane demeure profondément marquée par le patriarcat. Les femmes restent marginalisées tant d’un point de vue légal que social. Elles sont particulièrement vulnérables aux violences basées sur le genre (VBG), aux viols et aux mariages forcés. Dans la tradition birmane, les femmes sont responsables de la garde des enfants mais également de la prise en charge des grands parents âgés[1], limitant dès lors leur accès au marché du travail et leur indépendance. Par ailleurs, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a reconnu en 2012 la vulnérabilité accrue des femmes appartenant à des groupes minoritaires ou ethniques dans des domaines tels que l’emploi, la participation politique, la santé et l’éducation.[2]
Sur la scène internationale, la Birmanie s’est engagée de longue date à promouvoir et défendre les droits des femmes. En 1997, le pays ratifie la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), contraignant légalement la Birmanie à respecter les droits contenus dans ladite convention. La législation nationale comporte également des dispositions en faveur des femmes: l’article 348 de la Constitution de 2008 interdit la discrimination des citoyens birmans au regard de leur sexe. Ce principe est réaffirmé plusieurs fois dans la Constitution.Par exemple, l’article 350 garantit aux femmes les mêmes droits et le même salaire à travail égal. Pourtant, la protection des droits des femmes ressemblait plus à un engagement symbolique qu’à une lutte tangible sous le règne de la junte militaire et plus récemment sous le gouvernement Thein Sein.
L’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, dirigé de facto par Aung San Suu Kyi, a éveillé de nombreux espoirs sur le sujet. Mais selon Human Rights Watch, le nouveau gouvernement peineà mettre en œuvre le « Plan Stratégique National pour la Promotion des Femmes »[3] (NSPAW) qui prévoit de renforcer la position des femmes dans une douzaine de secteurs (éducation, santé, marché du travail…) sur une période de 10 ans.[4]
Un héritage législatif problématique
Les lois coutumières – les règles issues de pratiques traditionnelles devenues source de droit – régulent de nombreux domaines, comme le mariage et le divorce, en Birmanie. Elles ont une influence toute particulière pour les minorités ethniques et religieuses mais varient selon les régions et Etats reconnus. De manière générale, les coutumes sont défavorables aux femmes, et peuvent être la source de discrimination à leur encontre lors de demandes de divorce, garde des enfants et partage des biens. En 2008, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) a exhorté la Birmanie «d’harmoniser ses droits civil, religieux et coutumier avec l’article 16 de la Convention et d’achever une réforme législative dans le domaine du mariage et des rapports familiaux, afin de mettre son cadre législatif en conformité avec les articles 15 et 16 de la Convention.»[5]
Le nouveau gouvernement doit encore s’atteler à réformer les dispositions législatives existantes qui institutionnalisent la discrimination à l’égard des femmes. En 2015, à l’instigation de l’organisation bouddhiste ultranationaliste Ma Ba Tha, le pays a adopté quatre lois « relatives à la race et à la religion ».[6]
- La loi relative au contrôle de la population et à la santé permet l’instauration d’un intervalle obligatoire de 36 mois entre les naissances dans des régions déclarées spéciales.[7]
- La loi relative au mariage des femmes bouddhistes à des hommes non-bouddhistes soumet de telles unions à l’objection publique. Selon cette même loi, les jeunes filles de moins de 20 ans doivent obtenir l’autorisation de leurs parents ou représentant légal avant de pouvoir se marier avec un non-bouddhiste. Cette loi discrimine les femmes en même temps que les non-bouddhistes et viole ouvertement l’Article 16 de la CEDEF.
- La loi sur la Monogamie criminalise toute relation sexuelle consentie hors mariage, qu’il s’agisse d’adultère ou simplement de deux personnes non-mariées. Cette disposition viole ouvertement l’article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) relatif au droit à la vie privée. Par ailleurs, une telle loi affecte de manière disproportionnée les femmes :en effet, le risque d’être incriminée pour adultère peut dissuader une victime de viol de porter plainte.
Cependant, l’abolition de ces lois ne semble pas être une priorité pour le nouveau gouvernement qui risque de perdre son capital politique en engageant de telles réformes.
Une loi pour protéger les femmes des violences conjugales toujours absente
Le pays ne dispose toujours pas de lois visant à lutter contre la violence conjugale. Le Département de la protection sociale avait pourtant initié en 2014-2015 un processus de consultation pour l’élaboration d’une telle loi, dans le cadre du NSPAW.[8] La première version du projet de loi avait été élaborée par un groupe de travail réunissant des représentants de la société civile birmane, en accord avec les standards internationaux clés contenus dans la CEDEF. Mais une nouvelle version du projet de loi présentée au début de l’année 2016 et faite sans la consultation du groupe de travail, contenait des lacunes préoccupantes, telle que l’omission du viol marital dans la définition de la violence sexuelle. La Cour Suprême ainsi que le Bureau du Procureur Général finalisent actuellement le projet de loi qui sera prochainement soumis à l’étude de la Chambre basse du Parlement. Une Ministre a déclaré que cette nouvelle Loi pour la Prévention de la Violence à l’égard des Femmes infirmera certaines sections des lois « relatives à la race et à la religion » mentionnées précédemment.
Une telle loi est incontournable pour assurer aux femmes une protection effective. Pourtant, son adoption est menacée par certains mouvements ultranationalistes birmans. Le moine Wirathu, figure de proue du mouvement Ma Ba Tha, a déclaré sur sa page Facebook que l’annulation des lois « relatives à la race et à la religion » par le biais de cette nouvelle loi déclencherait une révolte « qui fera déborder les prisons ».[9]
Des progrès nécessaires pour l’accès aux soins de santé pour les femmes
En 2015, le taux de mortalité maternelle en Birmanie est l’un des plus élevé de la région avec 178 décès pour 100 000 naissances vivantes.[10] Malgré l’obligation contenue dans l’article 12 de la CEDEF, l’accès aux services médicaux, ainsi qu’à des programmes d’éducation sexuelle, reste problématique pour les femmes les plus pauvres ainsi que celles qui vivent dans les zones rurales. De manière plus générale, le faible pouvoir économique des femmes est une réelle entrave à leur accès au système de santé birman, qui est intrinsèquement lié à la capacité financière des usagers.
Par ailleurs, le Code Pénal (Section 312) criminalise les avortements intentionnels, à l’exception des cas où la vie de la mère est menacée. Une femme qui avorte s’expose à une amende et/ou jusqu’à trois ans de prison. Les avortements illégaux, généralement pratiqués dans des conditions insalubres, mettent en danger la vie de celles qui les subissent. Il s’agit d’une cause majeure des décès maternels (les estimations varient entre 10% et 60% des cas[11]).
Le trafic d’êtres humains : un problème persistant
Malgré des efforts réels pour accentuer la coopération bilatérale, le trafic d’êtres humains reste un problème significatif en Birmanie, en particulier dans les zones frontalières avec la Chine, la Thaïlande et le Bangladesh. Les femmes sont plus particulièrement exposées à la traite sexuelle mais également au trafic à des fins d’exploitation économique.
Le gouvernement birman avait adopté un plan d’action quinquennal pour la période 2012-2016. [12] Le pays s’est également engagée sur le plan international à combattre la traite d’êtres humains en signant la Convention Contre le Trafic d’Etres Humains de l’ASEAN (2015).
En juin 2016, le rapport annuel du Département d’Etat des Etats-Unis sur la traite des êtres humains rétrogradait pourtant la Birmanie au niveau 3. Ce classement signifie que le gouvernement ne respecte pas intégralement la Loi pour la Protection des Victimes du trafic d’êtres humains. La loi contre la traite humaine, ainsi que la loi sur la répression de la prostitution, promulguées en 2005, sont actuellement en révision.
Il est urgent que le nouveau gouvernement s’assurere de la compatibilité de ces lois avec les standards internationaux en la matière.
Une participation limitée des femmes en politique
Dans la vie politique du pays, les femmes demeurent sous-représentées. Malgré la figure iconique d’Aung San Suu Kyi, l’accès aux postes de responsabilité pour les femmes birmanes demeure extrêmement difficile.[13] Les femmes qui participent en politique doivent faire face aux préjugés tenaces et parfois même au manque de confiance de leurs concitoyen.ne.s à leur encontre.
Au sein du Parlement, les élections de 2015 ont résulté en l’augmentation du nombre de femmes parlementaires. Toutefois, sur un total de 657 sièges, elles représentent moins de 10% de la chambre haute (Amyotha Hluttaw) et de la chambre basse (Pyithu Hluttaw) réunies.[14] De manière plus surprenante, la liste de la Ligue Nationale pour la Démocratie – le parti de Daw Aung San Suu Kyi – ne comprenait que 15% de femmes, contre 30% sur sa liste de 2012.
Alors qu’Aung San Suu Kyi avait placé la Conférence de Paix marquant le début de son mandat sous le signe de l’inclusion, l’initiative a été vivement critiquée, notamment au regard du manque de parité entre les sexes. Au sein de ce processus, les femmes ne sont pas prises au sérieux et sont écartées des négociations. Cet impair majeur, commis à la fois par le gouvernement, l’armée et les groupes ethniques armés, a pour conséquence désastreuse de négliger les droits et les besoins spécifiques des femmes impliquées dans des conflits.
Hausse des violences sexuelles lors des conflits et opérations militaires
De nombreuses ONG se sont faites le relai des témoignages d’abus sexuels commis par l’armée birmane. La Women’s League of Burma (WLB) a dénoncé en 2014 l’utilisation du viol comme un instrument de guerre, d’oppression et de punition à l’encontre des minorités ethniques, plus particulièrement au nord de l’Etat Shan et dans l’Etat Kachin. [15]
Malgré l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement civil élu, l’armée demeure en position de force en Birmanie. L’article 445 de la Constitution de 2008, bien que vague dans sa formulation, est généralement interprété comme offrant une immunité aux membres de l’armée et du gouvernement. Par ailleurs, l’armée n’est pas sous le contrôle du système judiciaire civil mais sous celui des cours martiales.[16] Le sentiment d’impunité de l’armée birmane est généralisé, ce qui favorise de tels crimes. Malgré la signature par le gouvernement en 2014 de la « Declaration of Commitment to End Sexual Violence in Conflict », les actes de violence sexuelle dans les zones de conflits ne décroissent pas. L’ancien gouvernement avait sciemment omis l’inclusion des questions liées au genre et aux conflits dans le Plan Stratégique National (NSPAW).[17]
Le 3 février 2017, le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a publié un rapport détaillant les témoignages de Rohingyas réfugiés au Bangladesh depuis les violences d’octobre 2016. Sur les 204 personnes interviewées, 26 – soit près de 13% du panel – ont déclaré avoir été violées et la majorité des cas rapportés étaient des viols collectifs.[18]88 personnes (43% du panel) ont signalé avoir été témoins de viols. Parmi les 101 femmes interrogées, plus de la moitié (52%) a affirmé avoir été violée ou avoir subi des violences sexuelles. Ces viols auraient été commis majoritairement par des membres de l’armée mais également par des membres de la police et des villageois Rakhines.[19] Le 6 février 2017, Human Rights Watch appelait le gouvernement birman à se rallier à une enquête internationale indépendante sur les abus présumés dans le nord de l’Arakan, y compris les allégations de viols.[20] Pourtant, le 26 décembre 2016, le Comité d’Information du Bureau d’Aung San Suu Kyi avait réfuté, dans un communiqué de presse, les allégations de viols après que les autorités birmanes aient interrogé des résidents locaux.[21] Cette déclaration ne présage pas d’engagement tangible de la part du nouveau gouvernement sur la question.
L’arrivé au pouvoir de l’emblématique « Lady » n’a malheureusement pas permis aux femmes d’avoir un véritable rôle dans la transition démocratique du pays – entravée par l’influence de l’armée. Être une femme reste synonyme de vulnérabilité accrue dans un pays où abus et violations des droits de l’homme subsistent au quotidien. Plus que jamais, la société civile apparaît comme l’initiatrice des progrès nécessaires au respect des droits des femmes en Birmanie
C.D., volontaire pour Info Birmanie
[1]Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Rapport unique valant rapport initial et deuxième rapport périodique – Myanmar, CEDAW/C/MMR/3, 4 septembre 2007, http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW%2fC%2fMMR%2f3&Lang=en, paragraphe 75
[2] Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes – Nouvelle Zélande, CEDAW/C/NZL/CO/7, 27 Juillet 2012, http://www2.ohchr.org/english/bodies/cedaw/docs/co/CEDAW-C-NZL-CO-7.pdf , paragraphe 35
[3] Ce plan avait été initié par le gouvernement birman en 2013
[4] Voir Human Rights Watch, A Gentleman’s Agreement, 25 août 2016, https://www.hrw.org/news/2016/08/25/gentlemans-agreement
[5] Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes – Myanmar, CEDAW/C/MMR/3, 7 novembre 2008, http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW%2fC%2fMMR%2fCO%2f3&Lang=en , paragraphe 47
[6] Global Legal Monitor, Birmanie : adoption de quatre lois sur la protection de la race et de la religion, 14 septembre 2015, http://www.loc.gov/law/foreign-news/article/burma-four-race-and-religion-protection-laws-adopted/
[7] Des régions peuvent être déclarées comme “spéciales” par les autorités birmanes au regard de critères tels que la population, le taux de natalité, la disponibilité en nourriture ou encore les ressources naturelles. Voir US Department of State, 2015 Country Reports on Human Rights Practices – Burma, 13 April 2016, http://www.refworld.org/docid/57161291c.html, Section 6
[8] Gender Equality Network Myanmar, Addressing Violence Again Women in Myanmar: Advocating for a comprehensive law – a briefing note from the Gender Equality Network Myanmar, 2016, http://www.genmyanmar.org/publications/PoVAW%20brief.pdf
[9] Frontier Myanmar, Tensions ahead over changes to ‘race and religion’ laws, http://frontiermyanmar.net/en/tensions-ahead-over-changes-to-race-and-religion-laws#.WKpVt8uO_eQ.twitter
[10] UNFPA, The State of World Population – 2016, 2016, http://www.unfpa.org/sites/default/files/sowp/downloads/The_State_of_World_Population_2016_-_English.pdf
[11] Sexual Policy Watch, Myanmar: maternal deaths from abortion, 18 novembre 2016, http://sxpolitics.org/myanmar-maternal-deaths-from-abortion/16154
[12] Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Observations finales concernant le rapport unique valant quatrième et cinquième rapports périodiques du Myanmar, CEDAW/C/MMR/CO/4-5, 25 juillet 2016, http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW%2fC%2fMMR%2fCO%2f4-5&Lang=en , page 9
[13] OXFAM ET AL., Women & Leadership, 3 décembre 2014, https://www.care.org.au/wpcontent/uploads/2014/12/Myanmar-Women-and-Leadership-in-Myanmar-Report.pdf
[14] http://data.un.org/CountryProfile.aspx?crName=Myanmar
[15] Voir en particulier Women’s League of Burma, Same Impunity. Same Pattern, 2014, http://womenofburma.org/wp-content/uploads/2014/01/SameImpunitySamePattern_English-final.pdf
[16] Se référer à l’article 319 de la Constitution de 2008.
[17] Human Rights Watch, A Gentleman’s Agreement, 25 août 2016, https://www.hrw.org/news/2016/08/25/gentlemans-agreement
[18]Mission du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au Bangladesh, Interviews with Rohingyas fleeing from Myanmar since 9 October 2016, 3 février 2017, http://www.ohchr.org/Documents/Countries/MM/FlashReport3Feb2017.pdf , page 21
[19] Mission du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au Bangladesh, Interviews with Rohingyas fleeing from Myanmar since 9 October 2016, 3 février 2017, http://www.ohchr.org/Documents/Countries/MM/FlashReport3Feb2017.pdf, page 20
[20] Human Rights Watch, Burma: Security Forces raped Rohingya Women, Girls, 6 février 2017, https://www.hrw.org/news/2017/02/06/burma-security-forces-raped-rohingya-women-girls
[21] The Republic of the Union of Myanmar State Counsellor Office, Information Committee refutes rumours of rapes, 26 décembre 2016, http://www.statecounsellor.gov.mm/en/node/551