Une répression longue et violente
La minorité musulmane des Rohingya est l’une des plus persécutées au monde selon l’ONU et est apatride depuis 1982. Depuis le 9 octobre, l’armée birmane – la Tatmadaw – mène une vaste opération de répression à son égard, sous couvert de lutte contre le terrorisme. Les militaires sont accusés de nombreuses exactions : meurtres extrajudiciaires, arrestations arbitraires, cas de tortures, violences sexuelles, incendies d’habitations et de commerces Rohingya.
Selon l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), plus de 34 000 personnes auraient réussi à traverser la frontière pour se réfugier au Bangladesh au cours de ces deux derniers mois. De nombreux déplacés internes se sont également réfugiés là où ils le pouvaient, en Birmanie. Il est très difficile d’obtenir des chiffres fiables, et il est fort probable que le nombre de déplacés soit en réalité bien plus élevé que celui annoncé. D’autre part, plus de 500 suspects ont été arrêtés par l’armée et certains d’entre eux sont morts en détention. Human Right Watch a publié un rapport, évaluant le nombre de structure incendiées à près de 1500 alors que le gouvernement et l’armée accusent les Rohingya de brûler eux-mêmes leurs propres maisons pour mettre en doute les opérations militaires.
Aujourd’hui, de nombreux villages restent vides après le passage de la Tatmadaw, malgré la déclaration des autorités annonçant que les villageois qui n’étaient pas liés aux attaques pouvaient « reprendre une vie normale ». De nombreuses personnes ont fui les violences. Aujourd’hui, elles ont peur de retourner dans leur village après les opérations conduites par l’armée, qui continue d’agir en toute impunité.
L’accès humanitaire reste restreint malgré les nombreux appels à le rouvrir de toute urgence. Pourtant, de nombreux civils nécessitent une assistance alimentaire et médicale. Plus de 130 000 personnes bénéficiaient d’une aide alimentaire avant le début des opérations.
Les violences sexuelles lors des opérations militaires
Plusieurs organisations, dont l’ONU, ont recueilli de nombreux récits de viols. Les organisations IRIN et Fortify Rights viennent de réaliser un voyage de recherche au Bangladesh afin d’interviewer les victimes et de croiser les témoignages avec, entre autres, les déclarations des leaders de villages partagées par la commission d’enquête formée par le gouvernement. Les récits racontent des viols de la part des militaires, lorsque l’armée passait pour ses opérations dans les villages. Un médecin qui travaille dans des camps de réfugiés au Bangladesh a déclaré qu’il avait traité 13 femmes victimes de viols au cours des deux derniers mois seulement, selon Fortify Rights.
Les preuves que ces organisations ont pu accumuler sur certains cas suggèrent la tendance généralisée des abus sexuels commis par les militaires birmans. Les violences sexuelles faites aux femmes dans le nord de l’Etat d’Arakan sont effroyables mais ne sont pas surprenantes. En effet, l’armée birmane possède une longue histoire, bien documentée, de violences sexuelles.
Malgré les accusations portées par des groupes de droits humains, le gouvernement civil et la Tatmadaw démentent. La porte-parole du Ministère des Affaire Étrangères a annoncé : « La plupart de ces histoires sont inventées, complètement démesurées ».
L’indifférence du gouvernement civil birman
Alors que l’armée est accusée de nombreuses violations de droits de l’Homme, les réactions du gouvernement civil sont aberrantes. Les autorités centrales nient, et le gouvernement continue de publier des déclarations, assurant que la Tatmadaw n’a pas outrepassée la loi, et accusant la communauté internationale de faire pression de manière injuste en se basant sur de fausses allégations.
Avec l’arrivée au pouvoir du parti historique de l’opposition, mené par Aung San Suu Kyi – prix Nobel de la paix –, personne ne s’attendait à tant d’indifférence face à une crise d’une telle ampleur, qui met en danger la vie de milliers de personnes. La seule réponse du gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie a été la mise en place d’une enquête nationale, composée de certains proches de l’armée ou anciens militaires, dont les premières conclusion ont été que l’armée avait agi selon les lois en vigueur en Birmanie. Pourtant, l’ONU, ainsi que plusieurs pays, ont appelé à la réalisation d’une enquête internationale et indépendante sur les abus dont est accusée l’armée birmane.
D’autre part, afin de répondre aux pressions internationales dénonçant que les seules informations disponibles émanaient des militaires, une visite éclair de trois jours, regroupant 13 membres de la presse, a été organisée dans certaines zones.
Ce qui est mis en place par le gouvernement est loin d’être suffisant. Pire, ces agissements légitiment la présence de l’armée birmane au sein du gouvernement.
Un problème régional ?
Le 19 décembre 2016, les ministres des Affaires Étrangères des dix États membres de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) se sont réunis à Nay Pyi Daw pour aborder la question Rohingya. Cette rencontre a eu lieu suite aux pressions exercées par la Malaisie, soutenue par l’Indonésie, alors que l’ASEAN est connue pour son strict respect de la souveraineté nationale. Le Premier Ministre malaisien n’avait pas hésité à condamner, publiquement, la politique birmane vis-à-vis des Rohingya, enjoignant Aung San Suu Kyi à agir afin de « mettre un terme au génocide des Rohingya».
Malheureusement, les ministres n’ont pas réussi à tomber d’accord ni sur le rôle que pourrait avoir l’ASEAN, ni sur des actions que l’ASEAN aurait pu entreprendre. Aung San Suu Kyi, présente en tant que ministre des Affaires Étrangères de Birmanie, a assuré que l’accès humanitaire serait rouvert, mais est resté vague sur la date ainsi que sur le soutien que pourrait apporter l’ASEAN.
La position difficile du Bangladesh
Avec plus de 34 000 réfugiés, en grande majorité Rohingya, le Bangladesh a refusé d’ouvrir officiellement ses frontières malgré les demandes de l’ONU. Avant ces nouvelles arrivées, le pays accueillait déjà 32 000 réfugiés officiellement enregistrés, et jusqu’à 500 000 Rohingya non enregistrés qui auraient franchi la frontière depuis les années 70, fuyant les opérations militaires birmanes ou les violences telles qu’en 2012. Le Bangladesh reste également réservé quant à permettre aux organisations humanitaires d’accroitre leur implication dans la crise, craignant d’encourager plus de Rohingya à traverser le frontière depuis la Birmanie. Les camps sont pleins, de nombreuses personnes se retrouvent obligées de camper dans la forêt, et les plus chanceux sont accueillis dans des villages.
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Alors que les opérations de l’armée durent depuis plus de deux mois et demi, l’accès humanitaire reste restreint et l’enquête mise en place par le gouvernement est loin d’être indépendante. Les déclarations gouvernementales laissent présager le pire. Ces actes légitiment la présence de l’armée qui s’érige en tant que protectrice des populations contre le terrorisme. Les discriminations à l’égard des Rohingya ne datent pas d’hier, mais alors que la transition démocratique est en cours, il est crucial que le gouvernement civil fasse face à cette question de mettre en place de véritables politiques pour lutter contre les discours de haine, et pour que cette minorité soit reconnue et protégée.