Le 15 septembre 2016 marque la journée internationale pour la démocratie. Alors qu’en Birmanie, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) est au pouvoir depuis un peu plus de 5 mois, les activistes s’interrogent sur la volonté du gouvernement à mettre en place les réformes de fond nécessaires.
Les élections législatives de novembre 2015 ont été les premières élections générales organisées depuis la sortie de la dictature et les premières élections libres depuis 1960. Ainsi, la victoire écrasante du parti historique de l’opposition qui a fait de la démocratie son nom et son cheval de bataille pendant des décennies de dictature, a suscité d’immenses espoirs au sein de la population birmane.
Toutefois, l’incapacité du gouvernement de la LND à résoudre les problématiques principales du pays commence à faire des impatients. Les organisations de la société civile et les minorités ethniques sont particulièrement déçues par celle que tout le monde surnomme « Mother Suu ».
- L’armée conserve 25% des sièges au Parlement et dispose d’un droit de véto pour tout amendement de la Constitution. Elle garde le contrôle des 3 ministères clés, aux plus gros budgets : l’Intérieur, la Défense, et la Gestion des frontières et peut reprendre le contrôle direct du pays si le National Security Council (CNDS) décide que « l’unité nationale est menacée ».
- Les combats armés entre les groupes ethniques et l’armée birmane
continuent dans les Etats Kachin, Shan, Karen et Arakan. Par ailleurs, l’armée alimente les tensions entre les organisations ethniques qui ont commencé il y a moins d’un an à s’affronter entre elles. Alors que la LND en a fait une priorité, le processus de paix n’avance pas. La Conférence de Panglong, qui s’est tenue à la fin du mois d’août, prétendait réunir toutes les parties prenantes afin de relancer les discussions, mais 3 groupes ethniques armés ont été exclus. Aucune décision n’a été prise, si ce n’est qu’une prochaine rencontre aura lieu à la fin du mois.
- L’armée birmane continue de commettre de nombreux abus contre les populations issus des minorités. Des rapports faisant état d’homicides, de disparitions forcées, de viols et d’autres violences sexuelles ainsi que de travaux forcés se sont multipliés au cours des deux dernières années. Au total, 644 000 personnes ont quitté leurs domiciles pour fuir les conflits et rejoindre des camps de déplacés. L’aide humanitaire est toujours bloquée dans certaines régions, rendant ces populations particulièrement vulnérables.
- Les discriminations et violences à l’égard des minorités musulmanes se poursuivent. Un million de Rohingya sont visés par de lourdes restrictions qui impactent leur liberté de mouvement, leur possibilité de se marier et d’avoir des enfants mais également leur accès aux soins et à l’éducation. Le gouvernement birman renie leur citoyenneté, les rendant ainsi apatrides. La commission dirigée par Kofi Annan mise en place pour trouver des solutions durables à leur situation ne rendra ses recommandations que l’année prochaine. Cette initiative apparait aujourd’hui surtout comme une façon de gagner du temps auprès de la communauté internationale.
- En Birmanie, la vie politique est essentiellement marquée par la présence masculine. Sur 1 120 parlementaires élus, seulement 64 sont des femmes. Celles-ci ne sont pas non plus présentes dans l’armée, et très peu dans la police. La seule femme du nouveau gouvernement est Aung San Suu Kyi, elle s’est elle-même attribuée deux ministères. Lors de la Conférence de paix, les organisations de femmes étaient très peu représentées et n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer. Ban Ki Moon en personne a évoqué la nécessité de favoriser leur participation.
- La LND et le nouveau gouvernement, conformément à leurs promesses, ont engagé des procédures d’abandon des charges envers les militants politiques enfermés. 274 affaires concernant 457 accusés ont été abandonnées au cours de « l’initiative des 100 jours » du gouvernement. Toutefois les lois répressives n’ont pas été abrogées. L’Association d’Aide aux Prisonniers Politiques (AAPP) estime que les charges et les peines prévues par la législation répressive continuent à être prononcées contre des militants politiques, des agriculteurs et des membres de minorités ethniques. 129 condamnations auraient ainsi été prononcées en juillet pour des raisons politiques. Actuellement, 67 prisonniers politiques sont en prison, 189 activistes attendent leurs procès dont 47 derrière les barreaux.
- Le président de la commission parlementaire a indiqué que le Parlement avait reçu 2 000 plaintes sur des confiscations de terres pendant les 5 premiers mois au pouvoir du gouvernement de la LND. Celles-ci s’ajoutent aux 6 000 cas en suspens qui avaient été déposés auprès du Parlement précédent.
L’incapacité du gouvernement à contenir la violence et à résoudre ces questions est en partie due à la tension très forte qui existe entre le nouveau gouvernement civil et les héritiers de la junte. Il faudra du temps avant que les institutions naissantes inspirent confiance et développent les compétences indispensables au bon fonctionnement des administrations et des autorités birmanes. Toutefois, de nouvelles réformes et un véritable changement de comportement et de mentalité sont nécessaires pour aborder ce défi.
Yanghee Lee, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Birmanie, a appelé le gouvernement à créer un environnement où les droits humains seraient appliqués sans exception. « La jeune démocratie du Myanmar ne peut progresser que si les droits de l’homme sont pleinement intégrés dans son cadre juridique et politique institutionnelle. Construire une culture du respect des droits de l’homme doit être une priorité ».