Depuis le début du mois de juillet l’atmosphère de Mandalay, la seconde ville du pays a radicalement changé…
À la fin du mois de juin, plus de 20 000 personnes étaient réunies dans les rues de Mandalay pour soutenir une campagne de la Ligue Nationale pour la Démocratie et de Génération 88 en faveur des réformes démocratiques et de l’amendement de la constitution. Mais depuis le début du mois de juillet l’atmosphère de la seconde ville du pays a radicalement changé. Un couvre-feu, mis en place il y a près de deux semaines, oblige les habitants de la ville à rester chez eux entre 21h et 5h, les rues sont désertées et les commerçants, effrayés, ont fermé leurs boutiques.
Les tensions ont commencé le 1er juillet, lorsqu’un bloggeur birman, vivant aux États-Unis, a utilisé Facebook pour accuser 2 frères d’avoir violé une femme bouddhiste. Son post, repris par le tristement célèbre moine Wirathu, et rapidement partagé par des milliers d’internautes, précisait le nom et l’adresse du teashop tenu par les 2 hommes ainsi que leur confession religieuse : musulmane. Quelques heures après et bien qu’aucun élément n’ait permis d’accréditer l’information, une foule s’est réunie autour du local et de violentes émeutes ont éclaté, faisant une douzaine de blessés et 2 morts : un bouddhiste et un musulman. Une école, située dans un quartier musulman, a également été incendiée sous les yeux de 70 policiers qui n’ont rien fait. Ce sont des moines bouddhistes qui ont finalement réussis à disperser la foule.
Lors des funérailles du bouddhiste, une bannière a été accrochée au corbillard avec l’image d’un homme baignant dans une mare de sang et une légende indiquant « brutalement tué par un musulman ». Une foule de bouddhistes extrémistes a suivi le cortège, brandissant des épées et des bâtons de bois. Elle a mis le feu à la partie musulmane du cimetière en criant « nous allons tuer tous les musulmans !». La police n’a rien fait pour les arrêter.
Ces émeutes ont eu lieu alors que les musulmans célébraient les premiers jours du ramadan. Depuis, à Mandalay, la plupart d’entre eux évitent les mosquées et certains ont fui la ville, de peur que les violences reprennent soudainement.
Ces violences sont directement liées à la propagation des rumeurs sur Facebook et à la notoriété des personnalités qui les relaient sans les vérifier. Le bloggeur birman ainsi que le leader extrémiste ont rapidement effacé de leurs comptes les publications qui ont conduit aux émeutes, mais l’information a été tellement partagée qu’elle est toujours présente sur les réseaux sociaux et certains blogs.
Le 21 juillet, après avoir mené l’enquête sur les événements, le Ministère de l’intérieur à déclaré que les accusations de viol était fausses. Suite à une dispute, deux hommes ont demandé à la femme bouddhiste, alors endettée, d’accuser à tord les deux propriétaires du teashop, en échange de 1 000 $. Celle ci a avoué les fait et les examens ont permis de voir qu’elle ne présentait aucun signe de viol ni de blessures.
Suite aux événements, Facebook n’a pas été accessible pendant deux nuits et le gouvernement a déclaré n’avoir rien fait pour en interdire l’accès. Depuis la fin de la dictature en 2011 le site est devenu très populaire en Birmanie. Toutefois depuis le regain des tensions contre les musulmans, il est utilisé par les extrémistes pour diffuser la haine sur internet. Selon la Fédération birmane de l’informatique, seulement 1% de la population avait accès à internet il y a seulement deux ans, mais ce chiffre est passé à 10%. L’arrivée prochaine d’opérateurs de téléphonie mobile bon marché devrait permettre à la moitié des habitants, soit environ 30 millions de personnes, d’être connectés.
Un responsable du bureau du président Thein Sein a indiqué que le gouvernement birman avait conclu un accord avec Facebook pour surveiller les discours de haine qui pourraient attiser les violences raciales et religieuses dans le pays. Toutefois, un responsable de l’entreprise a ensuite déclaré que le réseau social n’était pas en mesure de modérer ni de surveiller les contenus, mais qu’il pouvait les supprimer s’ils étaient signalés par les utilisateurs comme controversés ou abusifs. C’est donc au gouvernement birman qu’incombe la responsabilité de prendre des mesures légales et applicables à internet pour interdire la diffamation, l’injure et l’incitation à la haine raciale.
Malheureusement depuis 2012, plutôt que d’essayer de calmer les tensions, il contribue directement à les exacerber pour conserver son emprise sur le peuple birman et préparer les élections de 2015. Alors que la communauté internationale semble plus intéressée par les intérêts économiques que les droits de l’homme en Birmanie, aucune perspective de réconciliation et de paix ne semble se profiler. « C’est comme si tout le pays était arrosé d’essence. S’il y a une étincelle quelque part, ça peut exploser« , s’est inquiété Nay Phone Latt, blogueur et ancien prisonnier politique.