En août et septembre 2007, de grandes manifestations populaires avaient secoué la Birmanie, connues sous le nom de Révolution de Safran. Alors que le pays était aux mains de la junte militaire, le régime avait brutalement augmenté les prix du pétrole et du gaz, ce qui a eu des conséquences directes avec une forte hausse des denrées de base et des transports en commun. Des civils, ensuite rejoins par les moines, ont manifesté. Des dizaines de millier de personnes étaient dans les rues, d’abord à Rangoun, puis dans d’autres grandes villes du pays. Ils dénonçaient en premier lieu la décision arbitraire d’augmentation du pétrole et du gaz par la junte militaire. Puis les revendications ont naturellement intégrées une vision plus large, réclamant la baisse des prix et l’amélioration des conditions de vie, mais également une plus grande liberté politique et le respect des droits de l’Homme.
Mais la junte a rapidement fait taire ce mouvement naissant. Les manifestations ont été brutalement réprimées, faisant plusieurs morts. Les actes de l’armée birmane avaient suscité une indignation générale, et une déclaration publique du Conseil de Sécurité des Nations Unies évoquant ses regrets et appelant à la mesure.
Il y a dix ans, le correspondant d’Amnesty International en Asie du Sud-Est, Oliver Meiler, écrivait :
« Tout cela devrait suffire pour une condamnation massive et sans équivoque de ce sombre régime. Pourtant, le Conseil de sécurité de l’ONU se déchire à propos des intérêts économiques et des intérêts stratégiques de deux de ses membres permanents (Chine et Russie). La communauté internationale est seulement parvenue, en fin de compte, à exprimer ses «regrets» à propos de la sanglante répression birmane – et l’asphyxie d’un fragile espoir, couleur safran, qui n’aura duré que deux semaines à l’automne 2007. »
À l’époque, la Chine et l’Inde avaient des vues sur la Birmanie, qui représentait un accès maritime via le golfe du Bengale. Un gazoduc était prévu, il devait traverser la Birmanie jusqu’à la Chine. Aujourd’hui, le gazoduc s’est construit, et il y a également un oléoduc, reliant l’État d’Arakan à la province du Yunnan, en Chine. L’entreprise publique chinoise CITIC est majoritaire dans le projet de Zone Économique Spéciale de Kyaukpyu, situé dans l’État d’Arakan. Un immense port en eau profonde y est prévu, prenant part à l’énorme projet chinois de la « Nouvelle route de la soie » (« One Belt One Road »). Depuis dix ans, la Chine, premier investisseur en Birmanie, a gagné du terrain.
Malgré un contexte différent, les schémas se répètent …
L’histoire fait cruellement écho à la situation actuelle. Le 28 septembre 2017, dix ans après la révolution de Safran, le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu une réunion publique sur la Birmanie pour la première fois depuis 2009. Il y a abordé les opérations menées par l’armée birmane dans l’État d’Arakan, ayant poussé près d’un demi-million de Rohingya à se réfugier au Bangladesh. Les organisations de la société civile, alertant depuis bien longtemps sur la situation, exigent du Conseil de Sécurité qu’il aille plus loin que de simples appels qui restent sans réponses, notamment à travers l’instauration d’un embargo sur la vente d’armes et de tout type d’équipements militaires en Birmanie. Mais il n’en est rien. Malheureusement sans surprise, la Chine et la Russie ont réitéré leur soutien aux autorités birmanes. Le représentant chinois a annoncé « Nous soutiendrons la Birmanie pour qu’elle rétablisse la situation. Nous espérons que la sécurité pourra être rétablie et que la population n’aura pas à souffrir, afin que le développement économique du pays puisse être garant ».
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Dix ans après la Révolution de Safran, nous nous souvenons de ces manifestations. Les évolutions du pays sont notables quand l’on compare aux libertés dont disposaient les citoyens, notamment avec la victoire aux élections de 2015 de la Ligue Nationale pour la Démocratie, démocratiquement élu et quelques victoires amenant plus de libertés. Mais les récentes opérations de l’armée birmane d’une violence sans précédent à l’encontre de Rohingya dans l’État d’Arakan, qui se poursuivent en toute impunité depuis plus d’un mois et ont poussé des centaines de milliers de Rohingya à se réfugier au Bangladesh, montrent que l’armée est toujours au pouvoir en Birmanie. Qui plus est dans une position confortable, les critiques se concentrant essentiellement sur Aung San Suu Kyi. La Chine et la Russie restent fidèles à leurs positions, protégeant leurs intérêts économiques, permettant à l’armée de poursuivre les massacres malgré la dénonciation, par des représentants de l’ONU, d’un nettoyage ethnique.