Plus d’un an après l’entrée en fonction au gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie, la réconciliation nationale qui était annoncée comme la priorité semble toujours lointaine. Dès le début de son mandat, Aung San Suu Kyi s’est appuyée sur l’image héroïque de son père et sur l’accord obtenu en 1948 avec certains groupes ethniques armés, pour relancer les négociations de paix. Un défi colossal, très attendu par les minorités ethniques qui demandent depuis plus de 70 ans la paix et l’instauration d’un État Fédéral leur garantissant plus d’autonomie et la reconnaissance constitutionnelle de leurs droits.
Le nouveau cycle du processus de paix s’est alors ouvert en août 2016 avec la Conférence de Panglong pour le XXI siècle. Cette rencontre a été vivement critiquée pour son manque d’inclusion, mais également en raison de l’absence de compromis de la part de l’armée birmane. Les mois qui ont suivi ont vu une intensification entre l’armée birmane et les groupes ethniques armés dans le nord-est du pays, mais également une aggravation des tensions entre les groupes ethniques armés eux-mêmes.
Suite aux élections de 2015 et malgré la défaite du gouvernement du général Thein Sein, le Chef des armées s’était engagé à œuvrer pour la stabilité, l’unité et le développement du pays. Mais depuis, l’armée birmane n’a cessé de miner le processus de paix et de bafouer les droits de l’Homme. La rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les droits de l’homme en Birmanie a même rappelé que « la situation de ces dernières années n’a jamais été aussi grave qu’aujourd’hui ».
Les rencontres de la Conférence de Panglong pour la paix
La deuxième Conférence de Panglong, initialement prévue le 28 février et repoussée à deux reprises, a finalement commencé le 24 mai. Elle a réuni 1400 représentants du gouvernement, du Parlement, de l’armée birmane, des partis politiques, des groupes ethniques armés et de la société civile.
Jusqu’au dernier moment, un doute planait quant à la participation de certains groupes ethniques armés aux discussions de paix, notamment celle des groupes les plus influents comme les Kachin et les Wa. En effet, la signature de l’accord de cessez-le-feu (NCA) était annoncé comme un impératif pour la participation à cette nouvelle conférence, condition inenvisageable pour certains groupes ethniques armés qui en dénoncent les termes depuis le départ et qui l’ont de nouveau affirmé en avril dernier. Le Comité Conjoint pour le Dialogue de Paix de l’Union birmane (L’UPDJC) a finalement invité tous les groupes ethniques armés à être présents à la seconde conférence, ce qui représente une étape symbolique importante pour que ce processus soit inclusif. Cette décision serait en grande partie due à l’intervention des représentants politiques chinois, qui auraient plaidé pour la présence des groupes de l’Alliance du Nord, en conflits actifs à proximité de la frontière chinoise. Les groupes non signataires du NCA disposent d’un statut « d’invité spécial », qui ne les autorise pas à prendre part aux débats. Sur les 15 organisations ethniques présentes, seuls huit sont des signataires du NCA menée par la Karen National Union (KNU). Les sept autres groupes se sont ralliés sous les Wa, ont affirmé qu’ils ne signeraient pas le NCA et qu’une alternative devait être trouvée pour qu’ils puissent prendre part au dialogue politique. Cinq groupes de l’UNFC (United Nationalities Federal Council) – alliance majeure depuis deux ans, mais aujourd’hui en train de s’effriter car des groupes puissants tels que la Kachin Independace Army ou les Shan State Progressive Party ont rejoint les Wa au sein du nouveau bloc de groupes ethniques armés, le FPNCC (Federal Political Negociation Consultative Commitee) – ont refusé de se rendre à la conférence en raison du statut qui ne leur permettait pas de prendre part aux négociations.
Les discussions
Dés le discours d’ouverture, l’armée a tenu à rappeler son pouvoir, énonçant les trois causes nationales qui incluent la non désintégration de l’Union, la non désintégration de la solidarité nationale et la perpétuation de la souveraineté. Alors que peu avant la conférence, il a été décidé au cours d’une réunion avec l’UDPJC que les divisions et les États seraient en mesure d’écrire leurs propres constitutions, l’armée a tenu à réaffirmer que cela devait se faire conformément à la constitution de 2008. Aung San Suu Kyi a quant à elle rappelé que le NCA était un accord acceptable et représentait l’un des objectifs majeurs de cette conférence.
Des discussions ont eu lieu entre les participants « officiels », excluant de fait du débat les groupes ethniques non signataires du NCA. Plusieurs des sujets de discussion définis par l’UDPJC ont été abordés : sur 45 points définis, 37 ont été accepté au consensus tels que la démocratie fédérale, le droit à l’autodétermination, les droits égaux pour tous les groupes ethniques armés ainsi que la décentralisation des pouvoirs aux zones autonomes. Mais de forts désaccords sont apparus entre le gouvernement civil et les militaires d’une part, et les groupes ethniques armés d’autre part, sur la question de non-secession que les groupes ethniques armés refusent, notamment car cela est énoncé dans la constitution de 2008 et que les groupes ethniques armés défendent l’auto-détermination et l’autonomie, et non la sécession. Plusieurs partis ethniques ont à ce sujet évoqué la nécessité de tenir une consultation publique dans les Etats ethniques, à travers les rencontres organisées pour la dialogue politique.
Pendant ce temps, les groupes ethniques armés non signataires, membres du FPNCC, ont rencontré Aung San Suu Kyi. Une première réunion a rassemblé les armées de l’United Wa State Army (UWSA), Kachin Idependance Army (KIA), Shan State Progressive Party (SSPP) and National Democratic Alliance Army (NDAA). Une deuxième rencontre a réuni la Myanmar National Democratic Alliance Army (MNDAA), l’Arakan Army (AA) et la Ta’ang National Liberation Army (TNLA), trois groupes auxquels on avait imposé des restrictions particulières pour leur participation à la première conférence qui devait être ouverte à tous : qu’ils déposent les armes. Le responsable des affaires externes des Wa a par la suite annoncé qu’il s’agissait d’une première étape, même si aucun sujet sérieux lié au processus de paix n’avait été abordé. Un membre de la TNLA a pour sa part déclaré que ce premier rendez-vous était un premier pas pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le processus. Ces groupes devraient revoir des représentants du gouvernement dans les semaines à venir. Ils ont quitté la conférence avant la fin car ils ne pouvaient participer aux négociations.
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Les progrès de cette seconde rencontre doivent être soulignés, notamment car le fait de réunir autant d’acteurs, dont des groupes ethniques armés à qui l’armée birmane avait catégoriquement refusé la présence, démontre les efforts du gouvernement pour un processus inclusif. Cependant, il reste beaucoup à faire. Les problèmes de la première conférence se répètent et le cadre du processus de paix reste le même que sous Thein Sein : tous les groupes ethniques ne disposent pas du même statut, et les négociations passent obligatoirement par le NCA. Ce système limite la possibilité d’aboutir à de véritables discussions pour la paix, notamment car les décisions prises jusque-là ne sont pas représentatives de tous les groupes ethniques armés. D’autre part, plusieurs représentants de la société civile présents à la conférence – avec le statut d’observateur – ont rappelé la nécessité d’un réel espace et d’une plus grande implication. La participation des femmes n’était toujours pas au rendez-vous de cette deuxième conférence malgré les promesses du gouvernement à la suite de la première rencontre de Panglong pour que celle-ci atteigne 30%, ce qui ne fut absolument pas le cas (7% du côté gouvernemental, 20% du côté des groupes ethniques). Alors que l’inclusivité et l’égalité entre tous les groupes ethniques armés est la clé d’un solide processus de paix, le gouvernement birman répète les mêmes erreurs.