Info Birmanie se joint à plus de 200 organisations de la société civile européenne et birmane, via une lettre ouverte, pour appeler à la suspension des négociations de l’API UE-Birmanie jusqu’à la délibération de la Cour Européenne de Justice.
En Birmanie, la transition démocratique en cours s’accompagne d’une transition économique. L’un des objectifs principaux de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), qui a remporté les premières élections générales libres depuis plus de 50 ans, est de répondre aux besoins de développement économique et elle entend le faire en attirant les investisseurs étrangers, et particulièrement les investisseurs européens.
Ainsi, un Accord de Protection des Investissements (API) est en cours de négociation entre l’Union Européenne et la Birmanie. Les négociations ont débuté en 2014 sous le mandat du président Thein Sein, héritier de la junte militaire, et se poursuivent aujourd’hui avec la LND : le prochain et dernier « round » de négociation doit se tenir cette semaine. Mais au même titre que de nombreux traités d’investissement, il n’y a aucune transparence : il est presque impossible d’obtenir des informations sur le contenu des négociations qui se déroulent dans le secret. De plus, les négociateurs sont conseillés en grande majorité par le secteur privé.
Alors que les bénéfices de ce type d’accord sont exagérés et qu’ils sont actuellement largement remis en question par de nombreuses organisations de la société civile, les risques en sont sérieusement minimisés. L’API en négociation entre l’UE et la Birmanie a pour objectif, comme son nom l’indique, de protéger les investisseurs à l’étranger. Il définira les conditions dans lesquelles s’opèrent les investissements privés sur les territoires respectifs. Mais plutôt qu’une opportunité d’encourager la « stabilité économique et la croissance », cet accord n’aura comme conséquence que d’ouvrir un nouveau marché aux investisseurs européens en leur octroyant toujours plus de droits et de restreindre l’espace politique indispensable à une véritable transition démocratique en Birmanie.
Alors que la Birmanie sort de plus de 50 ans de dictature militaire et dont le bilan en matière de droits humains est catastrophique, il est crucial que les intérêts du peuple birman passent avant ceux des investisseurs. Pourtant, l’objectif exclusif de cet accord est d’assurer une protection maximale des droits des investisseurs, sans tenir compte des contextes économique et social locaux. À l’inverse, les obligations des investisseurs à l’égard de la Birmanie sont complètement inexistantes. Alors que des réformes de fond doivent être mises en place et que la mainmise de l’armée birmane sur la politique et l’économie limite les marges de manœuvre du nouveau gouvernement, la priorité d’attirer les investissements étrangers met clairement en danger la transition du pays.
Il est fort probable que l’API UE-Birmanie, à l’instar des accords d’investissement en général, contienne des clauses de non-discrimination, de traitement national, de compensation en cas d’expropriation ou de dommage subis par les investisseurs, ainsi que des garanties assurant la libre circulation des capitaux. Les termes dans lesquels ces clauses sont formulées sont juridiquement imprécis, ce qui permettra aux investisseurs d’étendre leurs privilèges à travers une interprétation large de leurs droits. À contrario, pour la Birmanie il sera impossible de prévoir la portée de leurs droits et obligations avec certitude. Ce flou juridique est d’autant plus fort que l’API UE-Birmanie inclut des mécanismes d’arbitrage (ICS) permettant aux investisseurs de contourner les systèmes juridiques nationaux et de poursuivre les États hôtes directement devant des tribunaux d’arbitrage internationaux lorsqu’ils considèrent que leurs droits octroyés en vertu de l’accord, ont été violés. Il s’agit d’un droit accordé aux entreprises multinationales de remettre en cause les législations sociales, environnementales et économiques des gouvernements si ces mesures sont susceptibles de porter atteinte à la rentabilité de leurs investissements.
Ces droits excessifs conduiront à une perte de souveraineté et donc de marge de manœuvre politique pour la Birmanie, la priveront des possibilités de régulation en vue du développement social ou de la protection de l’environnement, alors que le cadre légal en place ne protège pas les communautés affectées par les investissements, les ouvriers et l’environnement. Ainsi, il est essentiel de mettre en place des législations contraignantes pour les investisseurs, notamment pour protéger le droit des ouvriers, des paysans et de l’environnement, ce qui est crucial car la Birmanie exporte 60% de sa production textile vers l’UE et 70% de sa population vit de l’agriculture.
Alors que le cadre légal birman ne protège ni les communautés affectées par des investissements ni l’environnement, il est essentiel de mettre en place des législations contraignantes pour les investisseurs, notamment pour protéger le droit des ouvriers, des paysans et de l’environnement. L’UE doit s’engager dans ce sens car plus de 60% de la production textile y est exportée. Par ailleurs, plus de 70% de la population vit de l’agriculture et l’arrivée de nouveaux investisseurs provoquera de nouveaux cas d’accaparement des terres alors qu’il s’agit d’une problématique majeure au Myanmar.
Un secteur pose particulièrement problème en Birmanie : celui des ressources naturelles majoritairement situées dans les régions ethniques en proie aux conflits. Les groupes ethniques armés revendiquent un État Fédéral leur accordant la gestion autonome de ces ressources, tandis que l’armée birmane, acteur économique majeur, s’obstine à vouloir les contrôler. L’arrivée de nouveaux investisseurs risque d’aggraver les tensions et de menacer les perspectives de paix. Par ailleurs, les entreprises extractives profitent pleinement de l’absence de normes sociales et environnementales en Birmanie, en exploitant les ressources naturelles sans tenir compte des impacts de leurs activités sur les communautés locales et sur l’environnement. Sous prétexte que leurs profits seraient menacés, le mécanisme d’arbitrage leur permettrait de poursuivre l’État birman et ainsi de verrouiller toute tentative du gouvernement de faire évoluer ces politiques.
En somme, les droits excessifs accordés par cet accord conduiront donc à une perte de souveraineté pour la Birmanie. Cet accord d’investissement représente une menace directe pour les politiques publiques, la gouvernance démocratique et la défense de l’intérêt public. Il s’agit également d’une menace directe pour la stabilité du pays, alors que l’Union Européenne se targue d’être l’un des soutiens principaux au processus de paix et à la transition démocratique. En signant ce type d’accord, les gouvernements abandonnent leur droit à réguler dans l’intérêt des peuples et de l’environnement et s’exposent à des procès couteux.
Récemment, dans le cadre d’un traité de libre-échange entre le Canada et l’UE qui inclut le mécanisme d’arbitrage privé (ICS), le parlement wallon de Belgique a obtenu que ce mécanisme soit jugé par le Cour Européenne de Justice afin de vérifier sa compatibilité avec les traités européens. Info Birmanie se joint à de nombreuses organisations de la société civile européenne et birmane pour demander la suspension des négociations de l’API UE-Birmanie jusqu’à la délibération de la Cour Européenne de Justice via une lettre ouverte.