Les autorités birmanes doivent suspendre leur dernier projet de construction de barrage sur la rivière Salween dans l’État Shan. Évalué à 8 milliards de dollars, le barrage de Mong Ton doit être mis en place par une entreprise chinoise, la société de production d’électricité thaïlandaise, le Ministère birman de l’Énergie et des groupes d’entrepreneurs internationaux. Ces derniers mois, le projet de construction s’est accéléré, inquiétant les organisations locales shans qui dénoncent une catastrophe environnementale et sociale.
Avec ses 241 mètres de hauteur, le barrage, sera le plus grand d’Asie du Sud Est. Son réservoir s’étendra sur deux tiers de la longueur de l’État, submergeant une centaine de villages ethniques sur une zone équivalente à la surface de Singapour. Il engloutira également la vallée historique de Keng Kham et les « mille îles » de l’affluent de Nam Pang qui ont donné leur nom au canton et qui constituent une écologie unique en son genre. Le barrage produira 7 000 megawatts d’électricité dont 90% sera exporté vers la Thaïlande et la Chine tandis que des milliers de shans seront expulsés de leurs maisons.
Depuis le début de l’année, près de 60 ingénieurs chinois se sont installés sur le site du barrage. Ils mènent des tests hydrologiques et géologiques et creusent de profonds tunnels dans les berges de la rivière Salween. Le site est étroitement surveillé par l’armée et la police birmane et la voie navigable qui l’entoure est désormais interdite sur près de trente kilomètres. Une entreprise australienne (SMEC) mène des études d’impact écologique et socio-économique autour du projet depuis mars 2015.
Les organisations communautaires locales sont, depuis longtemps, opposées aux projets de barrages sur la rivière Salween et dénoncent les affrontements incessants entre l’armée birmane et les groupes armés ethniques ces dernières décennies, notamment dans le nord de l’État. Les conflits avaient déjà interrompu le projet de barrage de Kunlong qui devait être le premier construit sur la rivière Salween.
Préoccupées par les derniers événements, elles ont publié au mois de juin un communiqué appelant à la suspension du projet, déclarant que « le site du barrage est situé sur une zone contestée par les plus importants groupes armés ethniques de l’État Shan ». Les zones alentours sont en effet fortement militarisées, avec la présence des troupes nationales mais également des forces armées ethniques. Le nombre de bataillons birmans stationnés autour du site a quadruplé ces 20 dernières années et malgré les cessez-le-feu, les conflits se poursuivent.
De 1996 à 1998, la zone du projet de Mong Ton a été dépeuplée, dans le cadre d’une campagne massive contre la rébellion, déracinant ainsi près de 300 000 villageois dans le centre de l’État Shan. Les communautés rurales restant continuent de subir les abus commis par les troupes nationales en toute impunité.
Depuis des décennies, les groupes ethniques revendiquent un État Fédéral et le droit de contrôler et de protéger leurs ressources naturelles. Bien qu’il s’agisse de la principale cause des conflits qui les opposent à l’armée birmane, le gouvernement est en train de vendre la rivière Salween aux pays voisins sans les consulter et sans attendre la fin des négociations de paix.
Si le gouvernement continue ce projet de barrage dans ces conditions, il est certain qu’il optera pour une militarisation accrue en troupes et en infrastructures militaires pour sécuriser la zone. De telles mesures alimenteront les conflits armés et le nombre de violations des droits de l’homme commises à l’encontre des communautés locales, premières victimes des affrontements et de l’impunité.
Il semble aujourd’hui évident que les études menées par la SMEC ne sont pas destinées à évaluer l’impact du projet mais a légitimer la construction du barrage. La SMEC s’était engagée à mener des consultations publiques dans les districts impactés, mais ce mois-ci elles ont toutes été annulées, remplacées par des huis-clos avec les autorités birmanes. Il s’agirait d’une manipulation stratégique pour éviter que les manifestations contre le barrage – qui ont été organisées avant que les consultations publiques ne soient prévues – ne reprennent. En effet, à Mong Ton, une semaine après le début des évaluations de terrain, les villageois ont haussé le ton contre les équipes de la SMEC qui ne leur ont expliqué que les avantages du projet et leur ont proposé des pots de vins en l’échange de la signature de documents qu’ils ne comprenaient pas.
Info Birmanie appelle le gouvernement birman à suspendre immédiatement la construction du barrage de Mong Ton et tout autre projets de barrage sur la rivière Salween. Tant qu’un État de droit ne sera pas effectif, que les populations locales ne seront pas consultées et que les conflits armés se poursuivront, la construction de projet de ce type ne peut avoir lieu.