Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Birmanie, Tomás Ojea Quintana, a passé 10 jours dans le pays ce mois d’août 2013.
Le 21 août 2013, depuis l’aéroport international de Rangoun, il a salué les avancées qu’a connues le pays depuis 2011, mais a exprimé ses préoccupations quant à certains points.
I) LES VIOLENCES INTERRELIGIEUSES ET LES DISCRIMINATIONS CONTRE LES MUSULMANS CONTINUENT
Violences et discriminations contre les musulmans
Comme l’a rappelé le Rapporteur spécial des Nations Unies, la plupart des communautés musulmanes qui ont perdu leur maison, ou leur orphelinat pour les enfants, ne peuvent pas retourner chez elles, car les conditions administratives n’ont pas été résolues.
Toutefois, même si elles le pouvaient, les communautés musulmanes ne le souhaiteraient pas. En effet, les violences et discriminations à leurs égards continuent, de plus, la campagne de haine s’intensifie et les responsables restent largement impunis.
Les violences contre les musulmans ne sont pas seulement commises par les bouddhistes, elles concernent également les agents d’Etat. Le Rapporteur des Nations Unies a déclaré avoir reçu « de graves allégations concernant l’usage disproportionné de la force contre les foules de manifestants musulmans », et considère que « les agissements de la police, en particulier au début des violences (à partir de juin 2012), doivent faire l’objet d’une enquête ».
Toutefois, lors de sa visite, les autorités birmanes ont montré encore une fois leur incapacité à contenir cette violence. L’attaque du convoi de l’envoyé spécial des Nations Unies pour la Birmanie le 19 août, semble illustrer un manque de volonté. Tomas Ojea Quintana devait se rendre dans un camp de réfugiés regroupant 1600 musulmans déplacés par les violences de mars dernier, mais bloqué par une foule hostile de plus de 200 personnes à Meiktila, il n’a jamais pu l’atteindre. « L’État a manqué à son devoir de me protéger » a-t-il dénoncé, après l’événement.
A la fin de son voyage il a déclaré : « Je dois souligner l’obligation du gouvernement d’agir immédiatement pour contrôler la violence et le débordement des foules, et de protéger tout son peuple, sans distinction de religion ni d’origine ethnique ».
Les campagnes interreligieuses : spirales de la haine
L’envoyé spécial des Nations Unies, a abordé à plusieurs reprises sa préoccupation quant à l’incitation à la haine, diffusée par les leaders religieux. « Pour moi, les violences de Meiktila ont souligné le danger des campagnes interreligieuses en Birmanie, ainsi que l’environnement nocif qu’elles peuvent créer, entrainant notamment la mort brutale d’un moine bouddhiste et d’un étudiant musulman ». « Le ministre a déclaré que la confiance avait été restaurée, mais cela ne reflète pas la réalité » a-t-il dénoncé.
Il a recommandé au gouvernement central et au gouvernement d’Etat, de coopérer pour que les campagnes de haine et les pratiques discriminatoires cessent dans l’Etat d’Arakan. Il considère qu’un message clair doit être adressé à la population et devrait être accompagné de tracts, d’affiches, d’une campagne sur les réseaux sociaux, ainsi que de l’engagement des leaders religieux et politiques.
La ségrégation des populations de l’Etat d’Arakan
« Ma préoccupation principale est que la séparation et la ségrégation des communautés de l’Etat d’Arakan ne cesse de s’accentuer, cela rend le retour à la confiance difficile ».
Il a déclaré que « les restrictions de mouvement et de liberté des musulmans des camps de déplacés internes, sont toujours en place et que dans les camps, notamment celui de Sittwe, un grand nombre de personnes vivent dans un espace confiné, enfermé par des barbelés et des gardes armés. ». Dans son rapport, il dénonce aussi les conséquences d’une telle situation sur les droits fondamentaux des personnes, et souligne leur difficulté d’accès à l’éducation, la santé, et aux moyens de subsistance.
Détention arbitraire, procès inéquitable, et impunité des responsables
Le Rapporteur spécial des Nations Unies a constaté que les prisons, en particulier celle de Sittwe et de Buthidaung sont remplies de centaines d’hommes et de femmes musulmans, depuis les violences des mois de juin et d’octobre 2012. Beaucoup de ces prisonniers, auraient été détenu arbitrairement et jugé lors de procès inéquitables. Il a demandé à ce que l’usage de la torture, des mauvais traitements, ainsi que les cas de morts pendant les trois premiers mois de l’explosion des violences, fassent l’objet d’une enquête et que les responsables rendent des comptes.
II) LES CONSÉQUENCES DES CONFLITS ARMES
Le processus de réconciliation nationale insuffisant
Comme l’indique Tomás Ojea Quintana dans son rapport, il y a toujours des défis majeurs à relever en Birmanie, et notamment celui de la réconciliation avec les groupes ethniques. « Le gouvernement doit compléter les politiques mises en place au plus niveau, en prenant des mesures au niveau local, afin d’associer les communautés aux processus de réconciliation et de consolidation de la paix ».
« Un plus grand espace doit être ouvert pour que leur voix, en particulier celles des femmes, soient entendues, y compris dans les négociations de paix, afin que les communautés aient confiance et soient convaincues que ce processus permettra un avenir meilleur ».
Etat Kachin : une situation humanitaire dramatique, aggravée par le refus du gouvernement d’accorder un accès régulier aux organisations
Comme Tomás Ojea Quintana le souligne, il est essentiel que les cessez-le-feu et les négociations politiques dans l’Etat Kachin abordent la situation des personnes vivant dans les camps.
« Entre juillet 2012 et juillet 2013, les agences humanitaires des Nations Unies n’ont eu accès qu’une fois aux zones non contrôlées par le gouvernement dans l’Etat Kachin. Les besoins y sont pourtant considérables et les problèmes d’insécurité alimentaire importants » signale-t-il.
Bien qu’envoyé spécial des Nations Unies, il s’est vu refusé l’accès à Laiza, bourgade faisant office de capitale du territoire Kachin contrôlée par son armée indépendante. Suite à sa visite dans l’Etat Kachin, il a déclaré « le refus d’accorder l’accès, et pas seulement pour apporter une réponse humanitaire, ainsi que la situation des droits de l’homme, doivent changer immédiatement ».
De plus, « Les cas d’intimidations des travailleurs humanitaires par des groupes locaux, continuent d’avoir lieu lorsqu’ils essaient de fournir une assistance médicale dans les camps ». Cela représente un risque pour l’accès à la santé des personnes vivant dans les camps.
Etat Shan : les communautés peu ou pas consultées
Malgré les accords, les affrontements continuent dans le nord de l’Etat Shan. Tomás Ojea Quintana s’inquiète notamment « du manque de consultation des communautés de personnes déplacées, au sujet de leur retour », et rappelle que « toute initiative dans ce sens doit reposer sur leur consentement libre, préalable et éclairé, ainsi que sur la consultation des agences humanitaires travaillant sur le terrain ».
Etat Chin : sous-développement et inégalités
L’envoyé spécial des Nations Unies souligne les problèmes de sous-développement de l’Etat Chin « la plupart des routes sur lesquelles je suis passées, n’étaient que des pistes de terres poussiéreuses, et les communautés m’ont parlé de leur frustration liées à un accès intermittent à l’électricité et à un inégal accès à l’eau potable. Avec l’ouverture du pays, le développement va s’accélérer mais il est important que ce processus se fasse de façon participative, transparente, responsable et équitable ».
Il insiste également sur le fait que le développement et l’exploitation des ressources naturelles devaient prendre en compte les enjeux environnementaux et profiter aux communautés Chin, qui souffre de négligence de la part du gouvernement central depuis des années.
Enfin, il salue la diminution des restrictions pesant sur les chrétiens en 2013, mais rappelle qu’un certain nombre d’obstacles bureaucratiques demeurent: ils concernent notamment la pratique religieuse, l’égalité d’accès des bouddhistes et des chrétiens à l’éducation etc.
III) LES DROITS FONDAMENTAUX
Les prisonniers politiques et les détentions arbitraires
Au sujet des prisonniers politiques, Tomás Ojea Quintana a déclaré « Il y a toujours des prisonniers de conscience en Birmanie, et je réitère, ils devraient être relâchés immédiatement et inconditionnellement ».
« Le Président Thein Sein a annoncé que d’ici la fin de l’année, tous les prisonniers politiques, encore en prison, seraient relâchés. C’est une annonce très encourageante, et j’espère qu’elle deviendra réalité. L’engagement du président devrait être accompagné du respect de la liberté d’expression et d’opinion de toutes les personnes en Birmanie ».
Le droit de manifestation, de réunion, d’association
Au sujet du projet de loi sur les associations qui donnerait au gouvernement le pouvoir de refuser d’enregistrer des organisations pourtant légitimes, sur des critères totalement arbitraires, le Rapporteur spécial des Nations Unies a déclaré : « Je presse le parlement de reporter l’adoption de la proposition de loi sur les associations. Le projet de loi, s’il est adopté dans sa forme actuelle, serait un recul pour le développement d’une société civile forte et vibrante en Birmanie ».
« Je veux être clair sur le fait que le gouvernement doit changer son état d’esprit quant aux procédures d’enregistrement (inclues dans le projet de loi sur les Associations), s’il ne veut pas empêcher la création d’un environnement qui permettra à la société civile de s’épanouir ».
Les abus contre la communauté LGBT
« J’ai rencontré des membres de la communauté LGBT (communauté non hétérosexuelle), elle subit des discriminations et des mauvais traitements de la part de la police, à cause de l’application du Code Pénal à son encontre ».
Impunité, vérité justice
Comme il le rappelle, « le passé est inévitable et ressurgira toujours dans un pays qui a souffert pendant des dizaines d’année le conflit et l’oppression ».
« Le gouvernement et la société civile doivent travailler ensemble sur le passé et mettre en place des mécanismes pour établir la vérité et parvenir à la réconciliation nationale. »
« Le gouvernement a l’obligation de demander des comptes à ceux qui ont échoué dans leur devoir ».
La constitution doit être révisée, en accord avec le droit international
Tomas Ojea Quintana rappelle que les spécialistes insistent sur le fait que certaines clauses de la constitution ne respectent pas les standards internationaux des droits de l’homme et mettent en danger la démocratie et l’État de droit.
Il encourage la révision de la constitution, et notamment les restrictions empêchant certaines personnes de diriger le pays, et la clause permettant de réserver 25% des sièges du Parlement aux militaires. « Je salue l’ouverture des discussions sur la révision de la constitution et j’espère que cela permettra des changements concret pour le futur proche ».