A l’issue de sa 39e session, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies décide de créer un mécanisme international et indépendant pour la Birmanie, chargé de recueillir, consolider, préserver et analyser les preuves des crimes internationaux les plus graves et des violations du droit international commis sur tout le territoire depuis 2011, dans la perspective de la tenue de procès devant des tribunaux nationaux et internationaux.
Michelle Bachelet, nouvelle Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, avait appelé de ses vœux la mise en place d’un tel mécanisme, « une étape extrêmement importante pour mettre fin à l’impunité et faire face à l’énorme souffrance du peuple Rohingya.» C’est aussi une étape importante pour les autres victimes des exactions de masse de la Tatmadaw, l’armée birmane.
C’est une avancée dans un contexte que d’aucuns pourraient cependant qualifier d’échec : les divisions sont si fortes au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies qu’il n’a toujours pas référé la situation dans son ensemble à la Cour pénale internationale (CPI), comme l’appelle pourtant la gravité des crimes. La menace d’un veto chinois, et possiblement russe, a différé, si ce n’est empêché toute action concrète à ce niveau. La Chine s’est d’ailleurs abstenue de voter la résolution du CDH créant le mécanisme de collecte de preuves. La Chine ne veut pas d’un juge, elle ne veut pas non plus d’un procureur pour la Birmanie.
Le CDH rappelle l’autorité du Conseil de sécurité sur cet enjeu de justice internationale. La saisine de la CPI par le Conseil de sécurité ou la création d’une juridiction internationale ad hoc reste une recommandation prioritaire des enquêteurs de l’ONU (1). La Mission d’établissement des faits mandatée par le CDH n’appelait à la création d’un mécanisme ad hoc que dans la seule attente de la saisine d’une juridiction internationale.
Le Royaume-Uni a récemment donné des signes d’évolution de sa position, en convoquant notamment une réunion ministérielle sur cet enjeu de justice en marge de la 73e session de l’Assemblée Générale (AG) des Nations Unies qui se tient actuellement. Lors de son allocution à l’occasion du débat général de cette session, le Président français a, sans évoquer la situation en Birmanie, appelé à un encadrement du droit de veto en cas d’atrocités de masse. L’impuissance de la communauté internationale amènera-t-elle à des positionnements plus forts, puis à des actes à hauteur de la situation ?
Le rapport de la Mission d’établissement des faits, rendu public dans son intégralité à l’occasion de cette 39e session, est un travail historique de documentation des violations massives des droits humains dans les états d’Arakan, Shan et Kachin. Et il nomme sans détour les maux dont souffre le pays. Le renouvellement de son mandat par le CDH, jusqu’à la mise en place effective du mécanisme ad hoc, ne peut qu’être salué.
La signature d’accords pour le rapatriement des Rohingya ne pourra plus être présentée comme un avancée en soi, maintenant qu’il est acté que leur retour est impossible dans les conditions actuelles, sur fond de violences persistantes et de déni de droits. La résolution du CDH acte que le besoin de justice, au travers de mécanismes nationaux et internationaux crédibles et indépendants, est urgent… Des garanties en matière de justice figurent parmi les conditions pour le retour des Rohingya. Auxquelles s’ajoutent la garantie de voir la violence cesser et leurs droits respectés, en particulier leur droit à la citoyenneté et leur liberté de mouvement. Tout cela est contenu dans la résolution adoptée.
Mais la Birmanie persiste à nier les faits et refuse toute véritable coopération avec l’ONU. Cette posture soulève des inquiétudes quant à la mise en œuvre des réformes exigées pour mettre un terme à la situation d’impunité et aux violations massives des droits humains. Les enquêteurs de l’ONU ont déjà pris acte du fait qu’aucune enquête indépendante et impartiale effective n’était possible au niveau national actuellement.
La résolution du CDH met en lumière un processus de paix dans l’impasse, lorsqu’elle appelle à mettre un terme aux combats, à cesser de prendre pour cible les civils, à cesser les violations des droits humains, à restaurer l’accès humanitaire et à mettre en œuvre un dialogue politique national inclusif et global avec la participation de tous.
Or, comme le souligne Mme Yanghee Lee, Rapporteur Spécial de l’ONU sur la situation des droits humains en Birmanie, dans une tribune publiée le 26 septembre, la justice est un enjeu essentiel pour le processus de paix. La Birmanie n’avancera dans sa transition démocratique que si un processus de réconciliation qui inclut la justice est entrepris. De nombreuses organisations de la société civile birmane, en particulier de la diaspora, portent cette revendication.
(1) La décision de la CPI d’ouvrir un examen préliminaire pour connaître de la déportation présumée des Rohingya vers le Bangladesh, un crime contre l’Humanité, est une avancée. Mais cette procédure ne couvre qu’une partie des crimes documentés à l’encontre des Rohingya et exclut par définition la situation en Birmanie dans son ensemble, en particulier les crimes contre l’Humanité et les crimes de guerre dans les états Shan et Kachin documentés par les enquêteurs de l’ONU.