En 2000, les terres agricoles de Than Shin et sa famille ont été confisquées par le gouvernement militaire. Ils vivaient sur cette parcelle du delta de l’Irrawady depuis des décennies mais n’ont reçu aucune compensation pour leurs pertes. Sans autre source de revenu, ils ont été contraints de s’installer dans une cabane de fortune près d’une route menant à Rangoon. « Nous dépendions de ces terres depuis toujours. Quand ils les ont saisies, nous nous sommes retrouvés sans rien » explique Than Shin.
Leurs terres auraient été saisies par Shwe Mann, ancien général militaire devenu l’un des plus puissants hommes politiques et business man du pays. Shwe Mann, désormais proche d’Aung San Suu Kyi et de sa Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), est impliqué dans de nombreux cas de saisies « sauvages » de terres comme celles du village de Hta Ni, où près de 4 km² ont été confisqués à 200 ménages et confiés en grande partie à Asia Might Co. Ltd, société dirigée par un « ami proche » de Shwe Mann, en toute impunité.
La grande majorité des confiscations de terres ont eu lieu dans les années 1990 et au début des années 2000 lorsque la transition vers une économie de marché s’est amorcée. L’ouverture programmée du pays et la collusion entre milieux politique, économique et militaire, ont accéléré la dynamique et en ont fait une pratique courante. Le député LND Sein Win estime que plusieurs centaines de milliers de terres ont été confisquées. Selon l’étude réalisée par la LND, les confiscations représenteraient entre 12 000 et 20 000 km² de terres.
Encore aujourd’hui, les militaires et fonctionnaires hauts placés profitent des zones d’ombres de la loi « terres vacantes, en jachères ou vierges », promulguée en 2012, et de l’archaïsme de l’administration foncière pour se tailler de vastes empires, notamment dans les zones encore en conflit. Dans de nombreuses régions du pays, des documents tels que les reçus d’impôt foncier, les cartes d’utilisation des terres ou le cadastre ont été, soit détruits lors du cyclone Nargis en 2008, soit non-actualisées soit « égarés ». De mêmes, de nombreuses victimes des accaparements fonciers ne disposent tout simplement pas de titre prouvant la possession de la terre sur laquelle ils vivent. Parallèlement à cette situation, les investisseurs birmans et étrangers spéculent sur le prix de la terre, conscient que l’ouverture économique massive qui devrait avoir lieu dans les prochaines années leur permettra de faire des profits très importants. Les investisseurs étrangers auront besoin de terres, les businessman se débrouillent donc pour les confisquer maintenant, quitte à ne pas les utiliser pendant quelques années.
Les abus répétés ont engendré une immense frustration dans les campagnes, aboutissant régulièrement à des conflits violents. En 2013, un officier de police a été tué et près d’une quarantaine de personnes blessées lors de manifestions au village de Ma Let Toe pour protester contre la saisie d’une parcelle par les militaires.
Depuis 2012, la liberté d’expression s’est améliorée et les agriculteurs se sont mis à exiger la restitution de leurs terres confisquées. Avec la victoire du parti d’Aung San Suu Kyi aux élections de novembre 2015, les espoirs sont immenses. Cette question constitue donc un enjeu majeur pour la LND, qui pourrait mettre en jeu sa crédibilité à faire évoluer le pays vers un état de droit et à sortir le pays de la pauvreté.
La LND a demandé à ses branches locales de recueillir le maximum d’informations sur les litiges fonciers à travers le pays et quelques jours seulement après son arrivée au pouvoir, le nouveau vice-ministre de l’agriculture, a déclaré aux médias locaux que le retour des terres à ses propriétaires légitimes était un impératif pour le nouveau gouvernement. Par ailleurs, en 5 mois, le nouveau Parlement a déjà reçu 2 000 plaintes sur des confiscations de terres. Celles-ci s’ajoutent aux 6 000 cas en suspens qui avaient été déposés auprès du Parlement précédant.
La LND a rapidement constitué un groupe d’enquêtes sur les accaparements fonciers, afin de remplacer les deux organes mis en place par l’ancien gouvernement et contrôlé par d’ex-militaires. Ces commissions étaient jugées peu efficaces dans la résolution des cas (seulement 1.000 plaintes traités). Selon les médias locaux, lors du seul mois de juin, près de 30 km² de terre ont été récupérées et restituées à 324 villageois de l’Irrawaddy.
Toutefois, la tâche reste immense. Myint Naing, directeur de l’ONG locale Human Rights Watch Defense juge que «le fait que ces cas soient résolus ou non, dépendra des relations que la LND a avec le commandant en chef des armées ». La volonté de la LND de faire la lumière sur les pratiques obscures et les réseaux clientélistes des militaires pourrait alors se heurter à l’influence des héritiers de la junte dans le pays.