16 janvier 2019
Depuis le mois de novembre 2018, les affrontements épisodiques entre l’armée birmane (Tatmadaw) et l’Armée d’Arakan (AA), récurrents depuis 2015, connaissent une escalade dans le nord de l’état d’Arakan. La courbe ascendante de la violence politique en Birmanie ne semble pas vouloir s’inverser.
Cette recrudescence des combats révèle tout d’abord, si besoin en était, que les autorités birmanes n’ont pas infléchi leur politique afin de remédier à la crise profonde et ancienne que connaît l’état d’Arakan. Si elles affirment régulièrement avoir mis en œuvre « 81 des 88 recommandations » formulées en 2017 par la Commission dite Koffi Annan censées remédier à la crise dans sa globalité, aucune mesure concrète ne permet d’entrevoir la moindre perspective de réforme.
Suite aux attaques coordonnées menées par l’AA le 4 janvier, les autorités birmanes ont appelé à des « opérations de représailles » de l’armée contre les rebelles de l’AA en les accusant d’être en lien avec l’ARSA (Arakan Rohingya Salvation Army). Dans le contexte de nouvelles « opérations de nettoyage » annoncées par l’armée en décembre dans le nord de l’état d’Arakan, la rhétorique «anti-terroriste » a de quoi inquiéter. Elle s’accompagne d’un renfort de troupes pour l’armée birmane, qui cherche à éradiquer les bases de l’AA dans le nord de l’état d’Arakan.
La Tatmadaw a initialement lancé une offensive dans une zone sous contrôle de l’AA, qui tente de s’implanter durablement dans la région et ainsi d’accroître son pouvoir de négociation face à l’Etat birman. L’AA revendique le droit à l’auto-détermination de la population arakanaise/rakhine, la préservation de sa culture et de ses « intérêts nationaux ». Elle bénéficie d’un soutien certain au sein de cette population. L’AA est aussi soutenu par des représentants politiques locaux. Ce soutien s’est notamment construit par le biais d’une campagne de l’AA diffusée sur les réseaux sociaux, « Arakan Dream 2020 », qui ravive la mémoire de l’occupation birmane d’un territoire autrefois indépendant. L’AA revendique la mise en place d’une confédération, sur le modèle du statut de l’état Wa.
Fondée en 2009 par une vingtaine de jeunes arakanais/rakhine et initialement établie à Laiza dans l’état Kachin avec le soutien de l’Armée pour l’indépendance Kachin (KIA), l’AA a fait connaître sa volonté de s’implanter dans l’état d’Arakan dès 2014. Aujourd’hui, l’AA, qui ne compte pas parmi les signataires de l’Accord de cessez-le-feu national de 2015, est un groupe armé doté de moyens considérables, fort d’environ 7000 hommes. Selon le rapport de la Commission dite Kofi Annan, l’AA se financerait pour partie par le trafic de drogue, au même titre que d’autres groupes armés, ce que les autorités birmanes soulignent et que l’AA conteste.
L’AA a déclaré avoir lancé ses attaques coordonnées du 4 janvier contre les forces de sécurité en réponse à l’offensive de l’armée birmane, accusée par l’AA de prendre des civils pour cible et de les utiliser comme boucliers humains.
Si les deux camps déplorent des pertes à la suite des combats, les civils sont, une fois de plus, les principales victimes des affrontements armés et des violations des droits humains qui les accompagnent.
Selon l’ONU, ce sont plus de 5000 personnes qui ont dû fuir les combats. BHRN (Burma Human Rights Network-UK) s’inquiète d’arrestations et de détentions arbitraires de civils par la police et par l’armée, laquelle bloque l’accès à l’aide humanitaire de villages entiers accusés, selon une méthode éprouvée, de connexions avec l’AA. Des civils, Rohingya et Rakhine, auraient par ailleurs été tués le 13 janvier, lors de combats à proximité du village de Hpon Leik situé au niveau du township de Buthidaung.
Dans ce contexte, l’ONU et l’Union Européenne (UE) en appellent au respect des droits humains de la population civile et à son libre accès à l’aide humanitaire, alors que les autorités de l’état d’Arakan ont interdit à l’ONU et aux ONG, à l’exception du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) et du Programme Alimentaire Mondial (PAM), d’accéder à cinq townships en proie aux combats, officiellement pour des raisons de sécurité… Au même moment, les autorités birmanes ont de nouveau refusé l’accès à leur territoire à la Rapporteuse Spéciale de l’ONU sur la Birmanie, Yanghee Lee, et reporté la visite du Haut-Commissaire aux réfugiés des Nations unies initialement prévue dans l’état d’Arakan.
Ce contexte de fermeture et de repli des autorités birmanes est particulièrement inquiétant à l’heure où il est de nouveau fait état de violations des droits humains et du non-respect du droit international humanitaire.
Rappelons qu’une partie du rapport de la Mission d’établissement des faits de l’ONU publié en septembre dernier est consacrée aux violations des droits humains subies par la population arakanaise/rakhine dans l’état d’Arakan : travail forcé à large échelle, éviction forcée des terres, confiscation de denrées alimentaires, violences sexuelles et mauvais traitements. Victime de graves violations des droits humains perpétrées principalement par l’armée birmane, la population arakanaise/rakhine a, à ce titre, un vécu similaire à celui d’autres minorités ethniques du pays.
Les revendications politiques d’autonomie et de reconnaissance de la minorité arakanaise/rakhine vis-à-vis du pouvoir central ont été occultées par la crise Rohingya.
L’état d’Arakan, géographiquement isolé, compte parmi les plus pauvres du pays. Comme beaucoup d’autres minorités du pays, la population arakanaise/rakhine exprime des griefs à l’encontre du gouvernement central, accusé de favoriser la majorité bamar-bouddhiste sur le plan à la fois politique et économique. Elle estime que sa culture, sa langue et son histoire sont menacées et prévaut le sentiment selon lequel le développement de l’état d’Arakan est négligé, tandis que les projets de développement entrepris ne bénéficient pas aux populations.
Dans ce contexte, des observateurs craignent que l’AA soit en mesure de recruter de nouvelles recrues dans l’état d’Arakan auprès de la population arakanaise/rakhine, qui ne se sent pas prise en compte dans ses revendications d’autonomie et de contrôle des ressources. Le régime politique et le système institutionnel issus de la Constitution de 2008 semblent ne pas permettre à ces revendications de s’exprimer et de prospérer pacifiquement.
La trêve unilatéralement annoncée par l’armée birmane en décembre dernier dans les états Shan et Kachin, relative et fragile, ne s’applique manifestement pas à l’état d’Arakan. L’UE a annoncé espérer que cette trêve puisse être prolongée et qu’elle puisse inclure l’état d’Arakan.
De nombreux observateurs soulignent l’urgence d’un processus de paix inclusif.
Entre 2015 et 2017, l’armée birmane a refusé de négocier avec l’AA, qui se dit prête à rejoindre la table des négociations de paix à condition que sa présence dans l’état d’Arakan soit reconnue. En posant la signature de l’Accord de cessez-le-feu national, régulièrement dénoncé pour son caractère non-inclusif, comme pré-condition aux discussions, les autorités birmanes marquent le statu quo. Parallèlement, un émissaire de la Chine a récemment rencontré des représentants de l’AA, dans le cadre de ses échanges avec l’Alliance du nord. Celle-ci regroupe 4 organisations armées ethniques non-signataires de l’Accord de cessez-le-feu national (Kachin Independence Army, Arakan Army, Ta’ang National Liberation Army, Myanmar National Democratic Alliance Army). Dans le même temps, l’AA se pose en défenseur des droits de la population arakanaise/ rakhine.
Comme le souligne Kyaw Win, le directeur exécutif de Burma Human Rights Network (BHRN), « la Birmanie doit œuvrer à l’adoption d’un cessez-le-feu inclusif pour un avenir plus équitable et paisible dans le respect des droits et des aspirations à l’auto-détermination des régions ethniques. La communauté internationale doit accroître ses efforts, en particulier à travers l’adoption de sanctions visant les intérêts économiques de l’armée birmane, afin d’aider le processus de paix, dans l’impasse depuis l’indépendance du pays. Alors que le conflit en cours sert l’intérêt de l’armée pour son maintien au pouvoir, la communauté internationale doit utiliser des moyens de dissuasion, en particulier des sanctions, pour montrer que les conflits impactent négativement les intérêts économiques des militaires.»