Rohingya : un an … et si peu d’avancées

Rohingya : un an … et si peu d’avancées

Le 25 août 2018 marque les un an du début de la violente offensive militaire à l’encontre de la minorité Rohingya en Birmanie, officiellement en réaction à l’attaque simultanée de postes de police menée par l’Armée du Salut des Rohingya d’Arakan (ARSA). Face à l’ampleur des violences, ce sont près de 700 000 Rohingya qui ont dû fuir la Birmanie et trouver refuge au Bangladesh, rejoignant ainsi les 200 000 qui avaient déjà fui les vagues de persécution antérieures.

Une situation humanitaire dégradée

Aujourd’hui, ce sont toujours plus de 900 000 Rohingya qui vivent dans des camps au Bangladesh. Le camp de Kutupalong-Balukhali, où vivent près de 600 000 réfugiés, est d’ailleurs le camp de réfugiés le plus grand et le plus densément peuplé.

Les conditions matérielles, sanitaires et sécuritaires y sont particulièrement difficiles et elles tendent à se dégrader. Dans un communiqué commun du 16 mars 2018, le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) et l’OIM (Office International des Migrations) indiquaient que plus de 150 000 réfugiés sont exposés à un risque d’inondation et de glissement de terrain. Et le projet de relocalisation de réfugiés Rohingya sur l’île de Bhasan Char annoncé par les autorités bangladaises suscite l’inquiétude des acteurs humanitaires, tant du point de vue de la viabilité du site que de son isolement géographique.

Le Bangladesh, qui fait face à un défi de prise en charge énorme, insiste sur le caractère provisoire de l’accueil des Rohingya sur son territoire. Mais dans le même temps, ces derniers se retrouvent actuellement sans perspective de retour sécurisé dans leur pays. Et des Rohingya continuent de traverser la frontière pour trouver refuge au Bangladesh en raison de leurs craintes de persécution en Birmanie, comme l’indique le HCR dans ses derniers rapports.

Les accords de rapatriement et la difficile question du retour

Les accords que la Birmanie a signé pour le rapatriement des Rohingya, tant avec le Bangladesh (23/11/17), qu’avec le HCR et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) (06/06/18), soulèvent bien des inquiétudes. Théoriquement, l’accord signé avec le HCR et le PNUD vise à permettre à l’ONU d’aider les autorités birmanes à créer des conditions propices à un retour volontaire et sécurisé, mais début août 2018 le HCR et le PNUD déploraient ne toujours pas avoir « un accès effectif » à l’Etat d’Arakan. Cette situation de blocage de la part des autorités birmanes reste d’actualité.

Les Rohingya questionnés dans les camps sur un éventuel retour souhaitent pouvoir rentrer chez eux, mais ils veulent pouvoir s’assurer qu’ils ne seront plus exposés à des violences, que leur citoyenneté sera reconnue et leurs droits respectés, notamment leur liberté de mouvement (rapport HRW « Bangladesh is not my country », Août 2018). En juillet 2018, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, en visite dans un camp, déclarait : « À Cox’s Bazar, Bangladesh, j’ai entendu à l’instant d’inimaginables récits de tueries et de viols de la part de réfugiés rohingyas qui ont récemment fui… Ils veulent la justice et un retour chez eux dans des conditions sûres ».

Mais quelles seront les modalités concrètes de mise en œuvre de ces accords de rapatriement si la politique de la Birmanie à l’encontre des Rohingya ne change pas ? Quelles sont les garanties dont ils disposent ? Aujourd’hui, les conditions d’un retour volontaire, sûr et respectueux des droits des Rohingya ne sont absolument pas réunies. Ces conditions sont une question centrale et la communauté internationale doit s’assurer que le retour des Rohingya ne s’effectue pas au détriment de leur sécurité et de leurs droits. Dans un communiqué du 21 août 2018, HRW rapporte que des Rohingya ayant récemment traversé la frontière pour rentrer en Birmanie ont été torturés par les forces de sécurité birmanes. Les quelques 120 000 Rohingya qui avaient été déplacés par les violences de 2012 survivent aujourd’hui encore dans des camps dans un environnement très dégradé, privés de toute liberté de mouvement.

Des crimes contre l’humanité documentés, voire des « éléments de génocide »

Les opérations militaires de l’armée birmane contre les Rohingya ont été particulièrement violentes et meurtrières. Bien que la Birmanie bloque l’accès à son territoire à toute équipe d’observateurs ou d’enquêteurs internationaux, de nombreuses informations ont pu être recueillies sur les crimes contre l’Humanité visant les Rohingya grâce aux témoignages de réfugiés et à l’utilisation de satellites. Les rapports tant de l’ONU que de nombreuses ONG de défense des droits de l’Homme documentent le « nettoyage ethnique » subi par les Rohingya et évoquent pour certains des « éléments de génocide ».

Dans un rapport publié le 21 novembre 2017, Amnesty International dénonçait par ailleurs le « système de discrimination cautionnée par l’Etat, institutionnalisée, qui s’apparente à de l’apartheid » instauré dans l’état d’Arakan et expliquait que « la violente campagne de nettoyage ethnique des forces de sécurité au cours des trois derniers mois n’est que la manifestation extrême de cette politique scandaleuse ». Lors de la session extraordinaire du 5 décembre 2017 du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies sur la situation en Birmanie, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, M. Zeid Ra’ad Al Hussein, a condamné « les attaques généralisées, systématiques et brutales contre les musulmans Rohingya. »

Sont attendues dans les semaines qui viennent un rapport d’investigation du Département d’Etat américain, sur la base de témoignages recueillis au Bangladesh. La mission d’établissement des faits sur la situation des droits humains en Birmanie, établie en mars 2017 par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies en réponse à l’offensive militaire menée en octobre 2016 contre les Rohingya, doit également remettre ses conclusions.

La Birmanie a entravé les déplacements de cette mission sur son territoire, mais celle-ci n’en a pas moins recueilli des centaines de témoignages au Bangladesh, en Thaïlande et en Malaisie. L’un des membres de la mission, l’ancien commissaire australien aux droits de l’Homme, Christopher Sidoti, fait valoir que « Les modèles de violence observés depuis l’année dernière ne le sont pas seulement dans l’Etat d’Arakan, ils sont en ligne avec ceux des abus contre les minorités « en général en Birmanie » ». La mission doit soumettre son rapport lors de la prochaine session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies qui débute le 10 septembre 2018. La situation de la Birmanie devrait y être abordée le 18 septembre.

Force est donc de constater que ce ne sont pas les informations qui font défaut à la communauté internationale.

La réponse de la communauté internationale

Mais en dépit d’une forte médiatisation et de nombreux rapports et déclarations, il y a eu peu d’actions concrètes. La volonté affichée de ne pas porter atteinte à la transition démocratique birmane semble impacter les prises de position et actions des principaux acteurs susceptibles d’influer sur le terrain.

  • Les sanctions individuelles

Le 25 juin 2018, l’Union Européenne et le Canada ont adopté des sanctions visant cinq généraux de l’armée et deux hauts gradés de la police de sécurité et de la police des frontières. Ces sanctions consistent en un gel de leurs éventuels avoirs dans l’Union Européenne, doublé d’une interdiction de séjour sur le territoire de l’Union. Le 21 décembre 2017, les Etats-Unis avaient adopté des sanctions individuelles à l’encontre d’un général de l’armée birmane, avant d’adopter de nouvelles sanctions le 17 août 2018 à l’encontre de quatre haut-gradés et de deux divisions d’infanterie militaire. Ces sanctions américaines visent de surcroît à empêcher les relations d’affaires entre les entreprises américaines et les individus visés.

Cependant, ces sanctions, nécessaires mais tardives, sont loin d’être suffisantes et de nombreux hauts responsables militaires responsables de violations des droits humains ne sont pas visés, en particulier le Commandant-en-chef de l’armée gouvernementale birmane Min Aung Hlaing, aux commandes des opérations militaires et notamment de celles qui ont pris place dans le nord de l’état d’Arakan à partir du 25 août 2017.

Au-delà de ces sanctions individuelles, l’ONU n’a toujours pas imposé un embargo sur les armes et aucun pays n’a adopté de sanctions économiques ciblant les entreprises détenues ou contrôlés par des membres de l’armée birmane.

  • La justice / la Cour Pénale Internationale

A ce jour, le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a pas davantage déféré la situation des Rohingya à la Cour Pénale Internationale (CPI).

Pourtant, un nombre croissant d’acteurs, parmi lesquels des membres de la société civile birmane et de nombreuses ONG de défense des droits humains, appellent à la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans un appel conjoint du 24 août 2018, 132 parlementaires de l’Asie du Sud-est, parmi lesquels 22 parlementaires de l’APHR (ASEAN Parliamentarians for Human Rights) appuient cette revendication.

Il ressort aussi des témoignages recueillis par les ONG de défense des droits humains que les Rohingya expriment une forte revendication de justice, qui passe notamment par la saisine de la CPI.

Il est à noter que le Canada et la Suède sont les seuls Etats à ce jour à avoir porté cette revendication de manière officielle.

Or l’enjeu est crucial et global, car il s’agit de mettre un terme à l’impunité en Birmanie, face à des violations massives des droits humains qui impactent d’autres minorités opprimées par l’armée, notamment dans les états Shan et Kachin.

L’accès à la justice internationale est rendu plus complexe car la Birmanie n’a pas ratifié le Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI. En avril 2018, la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a cependant soulevé la question de savoir si la CPI pourrait néanmoins exercer sa juridiction étant donné la déportation de Rohingya sur le territoire du Bangladesh, qui lui est un Etat partie au Statut de Rome. Cette procédure inédite et incertaine, de l’aveu même de la Procureure, est actuellement en cours d’examen. Sollicitée par la Procureure pour soumettre des observations, la Birmanie a refusé de coopérer avec la CPI.

La publication de la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies devrait pousser les membres du Conseil de sécurité à prendre position pour la justice internationale.

L’Union européenne et la France ont un rôle important à jouer, en particulier dans la construction d’un consensus sur la question, face au veto redouté de la Chine et de la Russie. Le Conseil de sécurité, dont la prochaine session d’information sur la Birmanie doit avoir lieu le 28 août 2018, doit saisir la CPI.

La rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme en Birmanie, Mme Yanghee Lee, avait également défendu la mise en place d’un mécanisme ad hoc d’enquête au niveau de l’ONU dans le but de faciliter toute procédure judiciaire à venir dans le respect des standards internationaux. La création de ce mécanisme doit être soutenue.

La position de la Birmanie n’évolue pas

Car depuis le début des événements, les autorités birmanes récusent l’existence du nettoyage ethnique subi par les Rohingya et continuent de mettre en avant une « menace terroriste » pour justifier leurs opérations. Elles accusent la communauté internationale de partialité et n’ont mené aucune enquête effective et indépendante.

C’est la raison pour laquelle l’indépendance et l’effectivité de la dernière commission nationale d’investigation en date sur la situation dans l’état d’Arakan sont sérieusement mises en doute. La présidente de cette commission, Mme Rosario Manolo, ancienne diplomate philippine, a d’ailleurs fait valoir en août 2018 qu’il ne s’agissait pas de faire rendre des comptes. Face au pouvoir des militaires en Birmanie, le cadre légal pour mener des investigations indépendantes n’existe pas.

Or faire rendre des comptes aux auteurs des crimes perpétrés en Birmanie, un an après le nouvel exode massif des Rohingya victimes de nettoyage ethnique, est une exigence première sur laquelle la communauté internationale ne peut pas transiger.

 

Rohingya : la France doit appuyer une saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies

Rohingya : la France doit appuyer une saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies

Le 24 août 2018

Il y a un an débutait l’opération militaire menée par l’armée birmane dans l’état d’Arakan, dont l’ampleur et la violence allaient entraîner l’exode de plus de 723 000 Rohingya.

Dans les mois qui ont suivi, les crimes documentés par de nombreux témoignages et des images satellite ont été qualifiés par l’ONU : crimes contre l’Humanité, nettoyage ethnique, voire éléments de génocide. Ils ont aussi été replacés dans leur contexte : le régime sous lequel vivent les Rohingya en Birmanie s’apparente à un régime d’apartheid (Amnesty International, 11/2017).

Un an après, le Bangladesh accueille plus de 900 000 Rohingya et des Rohingya continuent de fuir la Birmanie (HRW, 08/2018).  La signature par la Birmanie d’accords pour le rapatriement des Rohingya, avec le Bangladesh puis avec le HCR et le PNUD, n’a pas modifié la donne. Le 21 août 2018, l’ONU a rappelé que ses équipes ne disposaient toujours pas d’un accès effectif à l’état d’Arakan.

Et les Rohingya sont aujourd’hui sans perspective de retour volontaire, sûr et digne dans leur pays, où ils ne disposent d’aucune garantie quant à la reconnaissance de leur citoyenneté et au respect de leurs droits, notamment de leur liberté de mouvement.

Les Rohingya qui témoignent expriment une forte revendication de justice, qui passe notamment par la saisine de la Cour Pénale Internationale.

Et c’est au nom de cette revendication, portée par un nombre croissant d’acteurs, diaspora, société civile, députés de l’Asie de sud-est, que nous interpellons la France sur son action pour la justice.

Le 6 novembre 2017, le Conseil de sécurité avait adopté une déclaration présidentielle à l’initiative de la France et du Royaume-Uni, qui appelait notamment à ce que les responsables de violations des droits de l’Homme soient poursuivis devant la justice.

Aujourd’hui, il n’y a eu aucune avancée sur ce terrain.

Depuis le début des événements, les autorités birmanes récusent l’existence du nettoyage ethnique subi par les Rohingya et continuent de mettre en avant une « menace terroriste » pour justifier leurs opérations. Elles accusent la communauté internationale de partialité et n’ont mené aucune enquête effective et indépendante sur les crimes commis. La dernière commission nationale d’investigation mise en place n’est, de l’aveu même de sa présidente, pas chargée de faire rendre des comptes.

La publication attendue des conclusions de la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies à l’occasion de sa prochaine session en septembre 2018 doit faire bouger les lignes.

Le 28 août 2018, la situation de la Birmanie sera abordée devant le Conseil de sécurité des Nations Unies pour une session d’information.

La communauté internationale doit adresser un message fort et clair à Min Aung Hlaing, Commandant en chef des formées armées birmanes : les crimes commis ne resteront pas impunis.

Nous appelons la France à :

  • Prendre officiellement position en faveur de la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies, comme l’a fait le Canada
  • Appuyer la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies
  • Construire un consensus sur cette question auprès de ses partenaires, pour influer sur les positions de la Chine et de la Russie
  • Soutenir la mise en place d’un mécanisme ad hoc d’enquête au niveau de l’ONU, dans le but de faciliter toute procédure judiciaire à venir dans le respect des standards internationaux

 

Contact presse :
Camille Cuisset, coordinatrice d’Info Birmanie
camille@info-birmanie.org / 07 62 80 61 33

Version PDF

La Birmanie réfute la compétence de la CPI : l’exigence de justice reste entière

La Birmanie réfute la compétence de la CPI : l’exigence de justice reste entière

10 août 2018

Sans surprise, les autorités birmanes ont marqué leur refus de coopérer avec la Cour Pénale Internationale et rejeté sa compétence dans un communiqué officiel du bureau de la Secrétaire d’Etat Aung Saun Suu Kyi daté du 9 août 2018[1].

La position de la Birmanie ne préjuge pas de la compétence de la CPI, mais force est de constater qu’elle soulève de sérieuses inquiétudes face à l’impératif criant de justice en réponse à la campagne de nettoyage ethnique perpétrée à l’encontre de la minorité Rohingya.

La signature d’un accord avec le Bangladesh le 23 novembre 2017 pour le rapatriement des réfugiés arrivés depuis octobre 2016, puis d’un accord tripartite avec le PNUD et le HCR le 6 juin 2018 sur le retour des Rohingya dans l’état d’Arakan ne peut être instrumentalisée par les autorités birmanes aux fins d’écarter l’allégation de déportation examinée par la CPI.

A ce jour, les conditions d’un retour volontaire, digne et sécurisé des réfugiés Rohingya ne sont par ailleurs absolument pas réunies, tandis que les autorités birmanes ont jusqu’à présent freiné la mise en œuvre de l’accord tripartite, n’autorisant une équipe des Nations Unies à se rendre dans le nord de l’état d’Arakan que le 9 août 2018, après que l’ONU leur ait enjoint de coopérer.

Quant aux réfugiés Rohingya questionnés sur les conditions de leur retour volontaire en Birmanie, ils mettent en avant les conditions suivantes : la reconnaissance de leur citoyenneté, de leur identité en tant que Rohingya, la liberté de mouvement, la justice pour les crimes commis à leur encontre, la restitution de leurs terres et de leurs biens, ainsi que la restauration de leurs droits[2].

C’est à l’aune de ces conditions que la volonté des autorités birmanes de mettre un terme à sa politique à l’encontre de la minorité Rohingya sera évaluée.

Les autorités birmanes ne peuvent davantage se prévaloir de la mise en place d’une énième commission nationale d’investigation le 30 juillet 2018, dont l’indépendance et l’effectivité sont sérieusement mises en cause. Nous pouvons raisonnablement douter de ce que cette commission nationale accomplira dans la perspective de rendre justice, dans la mesure où les rapports documentés des Nations Unies et des ONG relatives au nettoyage ethnique subi par les Rohingya sont d’emblée rejetés en bloc par les autorités birmanes, qui jusqu’à présent n’ont jamais fait la lumière sur les crimes perpétrés. A plusieurs reprises, la société civile birmane a appelé le gouvernement à coopérer avec la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, ce qu’il n’a jamais fait jusqu’à ce jour.

Nous réitérons l’importance de l’exigence d’une justice effective face à la gravité et à l’ampleur des crimes commis en Birmanie, tels que documentés depuis de nombreuses années par la communauté internationale.

Contact presse :

Camille Cuisset, coordinatrice d’Info Birmanie

camille@info-birmanie.org / 0762806133

[1] Le 9 avril 2018, la procureure de la Cour pénale internationale avait demandé aux juges de statuer sur la compétence de la Cour concernant la déportation et le transfert forcé des Rohingya au Bangladesh. Bien que la Birmanie ne soit pas partie au Statut de Rome, traité fondateur de cette juridiction internationale, le Bangladesh l'est, et c'est au titre des crimes commis sur son territoire que la CPI ouvrirait une enquête. « Dans la mesure où le crime d'expulsion aurait commencé sur le territoire birman, la chambre estime qu'il y a lieu de solliciter les observations des autorités compétentes de Birmanie à la demande de la procureure." Le 21 juin 2018, la CPI avait annoncé donner à la Birmanie jusqu’au 27 juillet 2018, pour répondre à ses interrogations sur la situation dans l’état d’Arakan et à sa volonté d’exercer sa juridiction.

[2] HRW, « Bangladesh is not my country / the plight of Rohingya refugees from Myanmar » August 2018
[MEMOIRE] Soulèvement 8888 : coupables montrez-vous

[MEMOIRE] Soulèvement 8888 : coupables montrez-vous

Alors que la Birmanie est un de ces pays où l’astrologie et la numérologie jouent un rôle important, le 8 août 1988, soit le 8888,  est aujourd’hui, au-delà d’une date, un numéro  gravé dans la mémoire de tous les birmans. 

Il y a 30 ans, jour pour jour, culminait la répression de la plus grande révolte pro-démocratique qu’ait connue ce pays. À l’occasion de cet anniversaire, Info Birmanie rappelle qu’il est crucial que le gouvernement birman reconnaisse les atrocités commises durant des décennies de dictature militaire et qu’il mette en place une enquête indépendante qui permettrait d’avancer vers l’accès à la justice. 

En mars 1988, de nombreux étudiants descendent dans les rues de Rangoun pour manifester contre le régime mené par le Général Ne Win. La réponse des militaires au pouvoir ne se fait pas attendre : de nombreux manifestants sont tués – certains sont même noyés dans le lac Inya. En une semaine, le mouvement était éteint.

Mais la démission, le 23 juillet 1988, du général Ne Win, dictateur au pouvoir depuis 1962, rouvre la voie à des manifestations pro-démocratiques. Ce dernier fut en effet immédiatement remplacé par le Général Sein Lwin, responsable de la répression de mars et de juin de la même année. Le 8 août 1988, une grande manifestation fut organisée. Universitaires, hommes d’affaires, paysans et moines s’unissent pacifiquement en faveur de la démocratie et pour réclamer de meilleures conditions de vie. Mais là encore, la répression fut cruelle. Les soldats n’ont pas hésité à tirer sur les enfants ou les volontaires de la Croix Rouge qui portaient secours aux blessés et ont ouvert le feu devant l’hôpital de Rangoun, tuant  médecins et infirmières. En quatre jours, pas moins de 3 000 personnes perdaient la vie et des milliers d’autres furent arrêtées et emmenés à la prison d’Insein.

C’est alors qu’Aung San Suu Kyi est entrée en scène. En Birmanie pour visiter sa mère, la fille du général Aung San (père de l’indépendance) est témoin de ces horreurs et décide de s’engager pour libérer le peuple de la dictature militaire. Le 26 août, elle fit son premier discours à la pagode Shwedagon devant 500 000 personnes. Elle représente alors l’espoir.

Le 18 septembre 1988, c’est le Conseil d’État pour la Restauration de la Loi et de l’Ordre (SLORC) qui s’installe alors au pouvoir, avec le général Than Shwe à sa tête. Une junte remplace une junte. La nouvelle junte annonce la tenue d’élections, mais bannit du même coup les rassemblements politiques. Six jours plus tard, Aung San Suu Kyi crée néanmoins la Ligue nationale pour la démocratie (LND), dont elle prend la tête.  Le 20 juillet 1989, elle est finalement assignée à résidence, sans être accusée de quoi que ce soit et sans procès. Elle y passera 14 ans. Le 27 mai 1990, la LND remporte haut la main les élections avec plus de 82 % des sièges au Parlement, mais la junte refuse de reconnaître le résultat.

 

 

Les commémorations ont longtemps été tabou et interdites dans la presse, mais le gouvernement de Thein Sein – symbole des premiers pas de la transition démocratique avec un gouvernement dont le président est un héritier de la junte militaire – les autorise. Il y a cinq ans, un ancien ministre de la junte s’était rendu aux cérémonies en indiquant qu’il fallait « tirer les leçons des erreurs du passé ». Sans parler de responsabilité, c’est à demi-mot qu’avait été reconnu la cruauté de l’armée birmane.

Du côté de la Ligue nationale de la démocratie (LND), on ne demande pas de compte aux anciens généraux actuellement au pouvoir. Cette revendication n’est plus dans les discours d’Aung San Su Kyi. S’il a été un jour question de « justice tempérée par la pitié », soit de commissions vérité afin d’amener les responsables de la répression à avouer leurs crimes sans les condamner à la prison ; pour l’heure on ose à peine parler d’État de droit. Il ne faut pas froisser les généraux.  

L’année dernière, le comité organisateur de la commémoration a proposé au gouvernement et au parlement de marquer le 8 août comme la «Journée de la démocratie en Birmanie», mais rien n’a encore été fait dans ce sens.

Il est aujourd’hui indispensable que la communauté internationale exhorte le gouvernement birman à reconnaître la culpabilité de la junte militaire, et à mettre fin au rôle prédominant de l’armée, notamment en entamant une réforme constitutionnelle.
Enfin, la communauté internationale doit reconnaître que de sérieuses violations des droits de l’homme continuent d’être perpétrées en Birmanie depuis l’auto-dissolution de la junte militaire et doit agir en conséquences.

 

P.A.

[VIDEO] Rohingya : le parcours d’un demandeur d’asile en France

[VIDEO] Rohingya : le parcours d’un demandeur d’asile en France

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit que les requérants sont assistés gratuitement par un interprète assermenté pour les besoins de l’audition. La langue indiquée par le requérant dans son recours est appelée en priorité. A défaut, le requérant est entendu dans la langue dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend. Pourtant ce système ne permet pas aux demandeurs d’asile Rohingya de parler tous la même langue devant la cour : celle qui permet de mettre toutes les chances de leur côté.