Journée internationale : les voix birmanes qui défendent la démocratie

Journée internationale : les voix birmanes qui défendent la démocratie

La Journée internationale de la démocratie célébrée le 15 septembre est l’occasion de réexaminer l’état de la démocratie dans le monde et de rendre hommage à ceux qui incarnent les valeurs démocratiques.

Le 3 septembre dernier, un tribunal de Rangoun a condamné deux journalistes birmans de l’agence Reuters à sept ans d’emprisonnement pour avoir enquêté sur le massacre de Rohingya dans le village d’Inn Din.

Condamnation unanime de la communauté internationale et appel à leur libération immédiate d’un côté.

Silence finalement rompu d’Aung San Suu Kyi de l’autre, pour affirmer que les deux journalistes ont été condamnés… pour avoir enfreint la loi.

Cette voix… n’est pas celle des valeurs démocratiques.

La mobilisation massive de la communauté internationale au lendemain de ce verdict illustre l’importance accordée à la liberté d’expression. Plus que toute autre liberté, semble-t-il, elle a valeur de symbole et de mesure de la démocratie.

A l’occasion de la journée mondiale de la démocratie, tour d’horizon des mobilisations birmanes pour défendre la liberté de la presse, la liberté d’expression, la démocratie. Car elles existent… et sont généralement peu relayées par les médias internationaux.

A l’avant-veille du verdict, des dizaines de manifestants ont défilé dans les rues de Rangoun pour soutenir les deux journalistes de Reuters.

Le 4 septembre, neuf réseaux de journalistes birmans ont publié un communiqué commun pour condamner le verdict, inquiets du recul de la liberté d’expression depuis l’arrivée au pouvoir de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) et de l’évolution de la transition démocratique.

Le verdict a fait la une de nombreux médias locaux et L’Irrawaddy rapporte que presque tous les journaux privés ont fait leur une de cette affaire. En signe de solidarité, le Journal 7day Daily a fait imprimer une colonne noire au centre de sa une le lendemain du verdit. Et de nombreux journalistes locaux ont publié la photo des deux journalistes condamnés sur leurs profils Facebook, avec pour légende « le journalisme n’est pas un crime, libérez Wa Lone et Kyaw Soe Oo ». Enfin, des journalistes ont manifesté dans les rues de Mandalay et Pyay, rejoints dans cette localité par des militants politiques et des étudiants. Des dizaines d’organisations de la société civile ont également dénoncé le verdict.

En ce moment, une pétition initiée par des journalistes circule à travers le pays. Les signatures seront envoyées au Président U Win Myint pour demander la libération immédiate des deux journalistes condamnés. Selon L’Irrawaddy, ils espèrent réunir 20 000 signatures de journalistes, de militants… et de simples citoyens.

Des citoyens birmans qui réclament justice et aspirent à la liberté d’expression. Des citoyens birmans qui veulent vivre en démocratie.

L’aide humanitaire comme arme de guerre dans l’état Kachin : les populations civiles déplacées délibérément privées d’aide par les autorités

L’aide humanitaire comme arme de guerre dans l’état Kachin : les populations civiles déplacées délibérément privées d’aide par les autorités

Depuis 2011, le conflit entre les militaires birmans et la KIA (Kachin Independance Army) a entraîné le déplacement de plus de 100 000 civils dans l’état Kachin. L’année 2018 est marquée par une intensification du conflit et des milliers de civils continuent de fuir les combats. Comme le souligne le récent rapport du réseau ND-Burma sur la situation des droits humains en Birmanie, cette intensification des conflits, tant dans l’état Kachin que dans l’état Shan, se traduit par une augmentation des violations des droits humains constatées.

Dans ce contexte, l’ONG Fortify Rights publie un nouveau rapport («They block everything – avoidable deprivations in humanitarian aid to ethnic civilians displaced by war in Kachin State, Myanmar ») qui montre comment les autorités birmanes entravent l’accès à l’aide humanitaire de dizaines de milliers de personnes déplacées par le conflit dans l’état Kachin, et ce depuis sept ans.

Fortify Rights a réalisé 195 entretiens, principalement dans l’état Kachin, et visité plus de vingt camps de déplacés sur la période 2013-2018.

Si les difficultés d’accès à l’aide humanitaire des populations déplacées dans l’état Kachin sont documentées, le rapport de Fortify Rights éclaire le rôle actif joué par les autorités civiles et par l’armée dans ces restrictions d’accès à la nourriture, aux soins, à l’eau…

Bien que l’armée soit en grande partie responsable de cette privation d’accès, le rapport dénote une continuité dans la politique menée par les autorités civiles, qui prive les Kachin touchés par le conflit d’une aide humanitaire effective.

Pour illustrer cette politique, le rapport établit notamment qu’entre juin 2017 et juin 2018, les autorités birmanes n’ont répondu favorablement qu’à 5% des 562 demandes d’autorisation d’accès des agences humanitaires internationales pour venir en aide aux communautés déplacées se trouvant dans des zones sous contrôle gouvernemental. Ce pourcentage est encore plus faible pour les zones sous contrôle de la KIA (« Kachin Independance Army »).

Cette politique d’entrave se traduit aussi par d’autres mesures restrictives de la part des autorités et par de potentielles poursuites judiciaires. En mai 2018, l’une des principales organisations locales à fournir de l’aide en zone contrôlée par la KIA, la KBC (« Kachin Baptist Convention »), a été menacée de poursuites sur la base de l’article 17/1 de la loi sur les associations illégales.

Les populations ainsi privées d’aide sont exposées à des risques accrus de toutes sortes, notamment aux mines. Les travailleurs humanitaires qui tentent malgré tout de leur venir en aide, à la frontière de la Birmanie et de la Chine, sont aussi exposés.

Dans son rapport, Fortify Rights révèle enfin le rôle joué par les autorités chinoises dans cette politique de privation d’aide. La Chine aurait fait savoir aux autorités birmanes et aux armées ethniques qu’elle ne voulait pas que des acteurs humanitaires opèrent à proximité de la frontière chinoise, tout en harcelant, voire en menaçant, ceux qui tentent de fournir de l’aide aux populations civiles déplacées en Chine.

Ces restrictions d’accès à l’aide humanitaire des deux côtés de la frontière, auxquelles s’ajoute la baisse des contributions financières de la communauté internationale, exposent les civils déplacés à un risque accru d’exploitation, un phénomène documenté notamment par la KWAT (Kachin Women’s Association of Thailand).

Et le rapport de Fortify Rights de conclure que cette obstruction délibérée, contraire au droit international des droits de l’Homme, est également contraire au droit international humanitaire et susceptible de constituer un crime de guerre.

Alors que la Cour Pénale Internationale (CPI) vient de décider qu’elle pouvait exercer sa compétence sur la déportation des Rohingya au Bangladesh et sur d’autres crimes contre l’Humanité commis à leur encontre dans une décision inédite rendue le 6 septembre 2018, le rapport de Fortify Rights vient rappeler que d’autres minorités de Birmanie sont les victimes des crimes les plus graves en droit international, comme le documente le pré-rapport de la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, publié le 27 août 2018.

Dans un communiqué du 3 septembre 2018, 25 organisations de la diaspora Kachin en appellent à la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Comme le fait également valoir Fortify Rights dans un communiqué du 7 septembre 2018, la décision de la CPI relative aux Rohingya devrait amener à une mobilisation accrue de la communauté internationale pour que justice soit rendue à l’ensemble des minorités victimes de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre en Birmanie. Seule une saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies permettrait à ces victimes d’obtenir justice.

Ouverture de la 39e session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies : l’impératif de justice pour toutes les victimes birmanes à l’ordre du jour

Ouverture de la 39e session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies : l’impératif de justice pour toutes les victimes birmanes à l’ordre du jour

La 39e session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme (CDH) des Nations Unies s’ouvre aujourd’hui à Genève. Son examen de la situation en Birmanie devrait avoir lieu le 18 septembre. A cette occasion, le CDH va prendre connaissance de l’intégralité du rapport de la mission d’établissement des faits qu’il avait mandatée en mars 2017 pour recueillir des informations sur les violations des droits humains dans ce pays.

Comme le souligne la nouvelle Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, dans son discours prononcé aujourd’hui devant le CDH, l’impératif de justice pour les victimes birmanes dans leur ensemble est criant. Elle rappelle que « les crimes les plus graves en droit international », évoqués par les enquêteurs de l’ONU dans leur pré-rapport, concernent la situation dans l’état d’Arakan, mais aussi dans les états Shan et Kachin (1).

La mise en place d’un mécanisme international et indépendant de recueil et d’analyse des preuves en vue d’accélérer la tenue de procès, appelée de ses vœux par Michelle Bachelet lors de son discours, serait une première étape.

Il est d’autant plus important que cette session du CDH soit marquée par des avancées concrètes vers la justice internationale que les autorités birmanes n’ont ni la volonté ni la capacité de rendre justice dans un système politique et légal qui érige l’impunité des militaires au rang de principe.

La décision inédite que la Cour Pénale Internationale (CPI) a rendue le 6 septembre dernier sur sa compétence pour connaître de la déportation des Rohingya au Bangladesh marque une avancée, mais seule une saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies permettrait à l’ensemble des victimes birmanes des crimes les plus graves d’accéder à la justice internationale.

Il appartient au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies d’œuvrer à la création d’un mécanisme ad hoc de collecte des preuves et d’appuyer une saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies.  

 

1 / Le pré-rapport des enquêteurs de l’ONU publié le 27 août 2018 fait en effet état de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre dans les états Shan, Kachin et d’Arakan, et évoque un génocide des Rohingya dans l’état d’Arakan.

Liberté de la presse en Birmanie : deux pas en avant, trois en arrière

Liberté de la presse en Birmanie : deux pas en avant, trois en arrière

Info Birmanie, en partenariat avec Reporters Sans Frontières, publie un dossier sur la criminalisation des pratiques journalistiques en Birmanie.

En perdant six places dans le classement 2018 de Reporters sans Frontières, le gouvernement birman dirigé par Aung San Suu Kyi a perdu toute crédibilité quant à sa volonté de donner à la presse toute sa place en tant que fondement essentiel de la démocratie. Le pays se retrouve cette année à la 137e place sur 180.

La très lourde condamnation des deux journalistes de Reuters et un contexte de répression accrue

Le 3 septembre 2018, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, deux journalistes birmans travaillant pour Reuters, ont été condamnés à une peine de sept ans d’emprisonnement par un tribunal de Rangoun. Interpellés le 12 décembre 2017 alors qu’ils enquêtaient sur l’exécution sommaire de Rohingya par des militaires, ils sont depuis lors derrière les barreaux. En dépit de preuves de leur innocence, les deux hommes ont été condamnés pour « atteinte au secret d’Etat » pour avoir enquêté sur le massacre par l’armée birmane de dix civils Rohingya, le 2 septembre 2017, dans le village de Inn Din situé dans le nord de l’Arakan. Ce verdict marque un pas dans les atteintes à la liberté de la presse constatées en Birmanie et les réactions de la communauté internationales sont unanimes pour dénoncer une parodie de justice et en appeler à la libération immédiate des deux journalistes. Comme l’indique un rédacteur en chef de Reuters, ce verdict a pour but de « museler l’enquête des journalistes et d’intimider la presse ».

Si les journalistes birmans nourrissaient l’espoir d’en finir avec les arrestations et emprisonnements avec l’arrivée au pouvoir de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), ils constatent amèrement que la liberté de la presse ne fait pas partie des priorités du gouvernement en place. « Je voulais me rendre dans l’état d’Arakan au début de la crise. Mais je savais que ce n’était pas une bonne idée. Si j’avais appris quelque chose, j’aurais été contraint d’écrire à ce sujet et puis j’aurais eu des ennuis. Si tu ne partages pas ce que tu sais, tu te sens coupable », réagit à la situation un journaliste birman, actuellement poursuivi en justice.

En 2017, l’article 66(D) de la loi sur les télécommunications qui criminalise la diffamation a été utilisée pour poursuivre une trentaine de journalistes. Mais les pires atteintes à la liberté de la presse ont lieu depuis le 25 août 2017, tournant où la violente offensive militaire dans l’état d’Arakan a poussé à l’exode près de 700 000 Rohingya vers le Bangladesh. Alors que le pré-rapport de la mission d’enquête de l’ONU publié le 27 août 2018 évoque un « génocide » à l’encontre des Rohingya, la zone est devenue un trou noir de l’information. En juin dernier, Radio Free Asia (RFA) a ainsi été interdite de diffusion pour avoir employé le terme de « Rohingya ».

La censure gouvernementale laisse place aux menaces de poursuites judiciaires

Malgré la levée officielle de la censure préalable à toute publication en 2012, sous le gouvernement Thein Sein, les médias continuent d’être soumis à un contrôle strict de leur contenu. L’autocensure est la règle. La couverture de la crise des Rohingya a été marquée par le développement des discours de haine relayés sur les réseaux sociaux, essentiellement sur Facebook. Tous les journalistes qui ne suivraient pas le credo antimusulmans se font violemment harceler par les extrémistes bouddhistes. Aussi, les conflits qui touchent les minorités Shan et Kachin, dans le nord-est du pays, représentent une prise de risques pour les journalistes qui osent les aborder. Traités avec défiance, privés d’accès physique à certaines zones du pays et aux sources primaires d’informations, les journalistes sont bien trop souvent contraints de relayer les déclarations officielles que les officiels birmans et l’armée consentent à donner.

« À la suite de la crise dans l’état d’Arakan, les médias se sont auto-censurés pour ne pas enquêter sur la situation », indique un membre de la LND, souhaitant rester anonyme.

Chronologiquement, l’année 2013 a été marquée par le premier emprisonnement d’un journaliste depuis l’autodissolution de la junte militaire. Quant à l’année 2014, elle a été endeuillée par la mort, le 4 octobre, du journaliste freelance Aung Kyaw Nang, abattu par un soldat durant sa détention. En 2015, alors que se déroulaient les élections parlementaires – où pour la première fois depuis plusieurs décennies, les birmans ont pu voter librement – les partis étaient tous sujets à une interdiction de critiquer l’armée à travers les médias. Le 3 mai 2015, lors de la journée mondiale de la liberté de la presse, l’armée birmane a menacé de poursuite toute personne qui relayerait les déclarations des groupes armés ethniques du pays.

Des lois désuètes toujours en vigueur

A ce jour, la législation birmane comporte toujours certains héritages de la période coloniale britannique et ne respecte pas les standards internationaux. Tout comme l’ancien régime militaire, certains membres de la LND se servent de ces outils législatifs d’un autre temps pour limiter la liberté de la presse. C’est le cas pour les deux journalistes de Reuters, poursuivis et condamnés en vertu de l’Official Secrets Act, une loi datant de 1923.

Au niveau du code pénal, c’est l’article 500 qui se doit d’être souligné. Ce dernier prévoit jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour diffamation. Le 12 juillet 2016, un tribunal local a reconnu deux journalistes coupables de diffamation envers un ancien officier de l’armée. Dawe Mar Aye, juge du tribunal de Thae Gone Township, s’est prononcé contre le rédacteur en chef du Ladies News Journal, Sai Sai, et le journaliste Maung Mae à la suite d’une plainte déposée par un officier de l’armée. Les journalistes ont été condamnés à une amende de 20 000 kyats chacun ou à six mois d’emprisonnement. Ils ont payé la pénalité.

De même, sur les 38 journalistes inculpés depuis l’arrivée au pouvoir de la LND, 18 l’ont été sous la clause de diffamation contenue dans la Telecommunication Law, adoptée en 2013. Avant l’amendement en 2017 de l’article 66(d), qui criminalise la diffamation en ligne et peut entraîner une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement, il était possible pour une tierce personne de déposer une plainte en justice. A ce jour, l’amendement reste largement insuffisant. Ce dernier n’ayant pas été fait avec la consultation de la société civile, incluant six organisations journalistiques, il n’a pu être évité que le rédacteur en chef du site Myanmar Now soit poursuivi sur le fondement de l’article 66(d) pour avoir relayé sur Facebook un article dénonçant le discours haineux du tristement célèbre moine Wirathu.

Un autre outil législatif criminalisant la diffamation se trouve dans la News Media Law. Cette loi, instaurée en 2014, impose un code de conduite pour les journalistes ou professionnels des médias. Selon l’article 9(g), la rédaction d’articles affectant de manière délibérée la réputation d’une personne ou d’une organisation peut contraindre leurs auteurs à une amende pouvant allant jusqu’à un million de kyats (900 dollars). En 2014, le Ministère de l’Information a poursuivi 11 travailleurs du Myanmar Thandawsint pour avoir publié des commentaires critiques sur le président Thein Sein, dont le contenu violait le code de conduite. En juillet 2015, l’ancien rédacteur en chef et un rédacteur en chef adjoint ont été condamnés à payer l’amende la plus forte. Les neuf autres personnes ont été acquittées.

La News Media Law a également établi un Conseil des médias, chargé de surveiller le respect dudit code de conduite et de développer le recours à la médiation pour régler les différends. Cependant, tous les types de médias, y compris les médias imprimés, diffusés et en ligne, restent sous le contrôle du gouvernement par le biais de cette structure qui n’est pas indépendante.

De son côté, la Electronic Transaction Law a été créée sous le gouvernement militaire pour réglementer Internet et contrôler ses utilisateurs via de sévères sanctions pénales. Une enquête menée entre 2015 et 2016 par Free Expression Myanmar révèle que les citoyens birmans ont classé la Electronic Transaction Law comme la plus grande menace à la liberté d’expression à 19%. Et pour cause, l’article 33 de la Electronic Transaction Law incrimine la réception, l’envoi ou la distribution d’informations électroniques qui portent atteinte à la sécurité nationale, à la paix communautaire, à la solidarité, à l’économie ou à la culture, avec une peine d’emprisonnement pouvant atteindre 15 ans. L’article 34 criminalise la création ou la modification d’informations électroniques portant atteinte à la dignité de toute personne ou organisation, avec une peine d’emprisonnement de cinq ans. Il n’y a aucune définition de l’un de ces actes alors même que les normes internationales imposent que toute restriction à la liberté d’expression doit être clairement précise et définie dans une démocratie. De ce fait, la loi pourrait facilement être utilisée pour censurer les internautes birmans.

Des lois au service des intérêts politiques

Aujourd’hui, les sujets liés aux conflits ethniques et aux agissements des membres des forces de sécurité sont susceptibles de déclencher des représailles. En juin 2017, les journalistes Pyae Phone Naing et Aye Nai de Democratic Voice of Burman et Thein Zaw de The Irrawaddy ont été arrêtés et détenus en vertu de l’article 17(1) de la Unlawful Association Law, pour un reportage réalisé auprès de la Ta’ang National Libertaion Army (TNLA), un groupe ethnique armé. Ils étaient alors passibles de trois ans de prison, mais les charges ont été abandonnées.

« Pourquoi le nouveau gouvernement ne fait-il pas tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir et protéger la liberté d’expression ? Parce que le gouvernement civil a fait de sa priorité le processus de réconciliation avec l’armée. Nous ne pouvons nuire à leur relation à aucun prix », soulève un journaliste poursuivi en justice, souhaitant conserver l’anonymat.

Sous la Constitution actuelle, l’armée contrôle trois ministères clefs : la Défense, les Affaires frontalières et l’Intérieur. Aussi, la prédominance de l’armée dans les affaires du pays, ainsi que l’impunité dont elle jouit, sont l’un des plus grands obstacles à la liberté d’expression dans le pays. Pourtant, il est important de rappeler que le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), dispose de la majorité nécessaire au parlement pour amender les lois ordinaires du pays. Il semblerait que ces dispositifs législatifs s’avèrent utiles aux yeux du nouveau gouvernement pour faire taire les voix dissidentes.

« Je suis moi-même effrayé de toutes les qu’ils [le gouvernement civil et l’armée] peuvent utiliser. Même en tant que membre de la LND, je ne me sens pas à l’abri ».

Qu’en est-il des médias internationaux ?

En septembre 2017, la BBC a annoncé mettre fin à l’accord sous lequel le média diffusait depuis 2014 un programme d’information quotidien sur la chaîne MNTV. Le média a invoqué des interférences et une censure qui auraient été appliquées sur des programmes incluant le mot « Rohingya ». Un mois plus tôt, Aung San Suu Kyi avait mis en garde les médias « d’écrire des articles en faveur du groupe armé [l’Arakan Rohingya Salvation Army]» et les avait enjoints à désigner ce dernier comme terroriste et non insurgent. Il est évident que les médias étrangers doivent faire face à la défiance si ce n’est l’hostilité du gouvernement et parfois même de la population locale. En novembre 2017, une correspondante de l’agence AP, Esther Htusan, a quitté la Birmanie après avoir reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux et avoir été suivie par des hommes jusqu’à son domicile.

En août 2015, le Parlement a ratifié la Broadcasting Law sur la radiodiffusion. Cette loi permet aux compagnies privées d’entrer sur le marché de la radiodiffusion tout en maintenant le contrôle présidentiel sur le secteur par le biais d’un Boradcast Council. Les radiodiffuseurs étaient auparavant tenus de s’associer à la Radio et Télévision du Myanmar (MRTV). De même, la Printers and Publishers Registration Law de 2014 confère au gouvernement le droit de restreindre l’attribution de licences aux médias ainsi que d’interdire des reportages nocifs pour « la sécurité nationale, l’Etat de droit, la paix et la tranquillité sociale ou qui insultent la religion ou violent la Constitution ». Toutefois, en 2017, les médias Democratic Voice of Burma (DVB) et Mizzima, anciennement « exilés » à l’étranger, ont été choisis pour opérer des chaînes TV sous l’égide de la télévision et radio d’Etat MRTV.

L’essor des réseaux sociaux : un nouveau paysage médiatique

Alors que la population est estimée à près de 53 millions d’habitants, on dénombre en Birmanie 33 millions d’abonnements mobiles actifs. L’offre numérique bouleverse depuis quelques années la façon dont s’informent les birmans. Une enquête publiée en août 2017 par l’International Republican Institute (IRI) montrait que sur un échantillon de 3 000 citoyens birmans, 38% obtenaient une majorité de leurs informations via Facebook. Dans cette même enquête, les réseaux sociaux se plaçaient avant la presse écrite en termes de source d’information.

Aujourd’hui, les journalistes se voient concurrencés par le citoyen lambda qui diffuse des informations – pas forcément vérifiées – sur les réseaux sociaux. Selon l’IRI, 60% des sondés déclaraient penser que la quasi-totalité ou la plupart du contenu qu’ils consultaient sur Facebook était vrai. L’enjeu est alors d’éduquer les citoyens comme les journalistes aux problèmes des fake news.

« Les citoyens croient ce qu’ils voient sur Facebook. Dans leurs esprits, Facebook dit la vérité. Ils ne connaissent pas le phénomène des fake news. Ils ne peuvent pas faire la différence entre le faux et le vrai. Ils n’ont pas les clefs de vérifications », déclare M.S., membre de la LND.

Pour l’heure, c’est à la société civile birmane de palier les manquements de l’Etat birman. C’est ce que propose le Myanmar ICT Development Organization (MIDO), organe de défense pour un accès au contenu internet de qualité et égal pour tous en Birmanie. Lancé en 2012, MIDO collabore avec la fonction publique pour surveiller et sensibiliser les citoyens aux discours de haine sur internet et propose des cours d’alphabétisation. De même, le Myanmar Journalism Institute, créé en 2014, permet aux aspirants journalistes de bénéficier d’une formation d’un an où l’enseignement est conforme aux standards internationaux : respect des règles d’éthique, de la neutralité, du pluralisme et de la méthodologie de l’investigation.

Alors que liberté d’expression, liberté de la presse et droit à l’information sont intrinsèquement liés, les enjeux relatifs à l’accès et la qualité des informations disponibles pour les citoyens birmans après 60 ans de dictature militaire se multiplient toujours. Le Myanmar Press Council est actuellement en train de travailler avec le gouvernement sur un projet de loi portant sur « le droit à l’information ».  Une telle loi doit respecter les standards internationaux sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et inclure des principes fondamentaux comme l’obligation pour l’Etat de faciliter l’accès aux informations d’intérêt public et la protection des lanceurs d’alerte. Cette initiative est une étape importante dans la promotion et la protection de la liberté de la presse en Birmanie. Toutefois, tant que le processus de création des lois n’est pas transparent et inclusif – impliquant une consultation systématique et appropriée avec la société civile et le public birman – elle pourrait n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. Une fois encore, le lien étroit entre démocratie et liberté de la presse apparaît comme évident.

Pauline Autin

Violations massives des droits de l’Homme en Birmanie : la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies publie un rapport intermédiaire

Violations massives des droits de l’Homme en Birmanie : la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies publie un rapport intermédiaire

 

27 août 2018

En mars 2017, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a mandaté une mission d’établissement des faits sur la situation des droits humains en Birmanie. Son rapport complet sera publié le 18 septembre 2018 lors de la prochaine session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme.

Alors qu’une réunion d’information sur la Birmanie doit avoir lieu au Conseil de sécurité des Nations Unies le 28 août 2018, la Mission de l’ONU publie aujourd’hui un rapport intermédiaire qui détaille l’ampleur et la gravité des crimes commis dans l’état d’Arakan, l’état Shan et l’état Kachin. Il cible et nomme six hauts-gradés de l’armée birmane, en particulier Min Aung Hlaing, le commandant en chef de l’armée. Il pointe également le rôle des autorités civiles et dénonce le climat d’impunité totale dont bénéficie l’armée birmane. Il en appelle à la justice internationale pour mettre un terme à l’impunité.

La Mission indique disposer de suffisamment d’éléments pour appeler à des enquêtes et à la poursuite des principaux hauts gardés de l’armée pour génocide dans l’état d’Arakan. Six hauts gradés de l’armée, parmi lesquels Min Aung Hlaing, le commandant en chef des armées, sont ainsi nommément mis en cause pour génocide dans le nord de l’état d’Arakan. Ils sont également mis en cause pour crimes contre l’Humanité et crimes de guerre dans les états d’Arakan, Kachin et Shan.

La Mission indique conserver une liste additionnelle de noms, dans la perspective de poursuites ultérieures dans le respect des standards internationaux.

La mission établit l’existence de violations massives des droits de l’Homme et documente la commission des crimes les plus graves en droit international, principalement commis par l’armée, mais également par d’autres forces de sécurité.

Les crimes contre l’Humanité documentés dans les états d’Arakan, Kachin et Shan incluent le meurtre, l’emprisonnement, la disparition forcée, la torture, le viol, l’esclavage sexuel et d’autres formes de violence sexuelle, la persécution et l’esclavage. Tandis que dans l’état d’Arakan, les éléments des crimes contre l’humanité d’extermination et de déportation sont aussi présents.

Tout en indiquant que les autorités civiles ont peu de contrôle sur les actions de la Tatmadaw, le rapport note que par leurs actes et leurs omissions, les autorités civiles ont contribué à la commission des crimes.

La Mission pointe le déni et l’impunité qui accompagnent ces crimes et indique que la Tatmadaw est au-dessus des lois. De ce fait, la perspective de faire rendre des comptes ne peut venir que de la communauté internationale.

Elle documente aussi les abus et les violations des droits humains perpétrés par des groupes armés non-étatiques.

Le rapport intermédiaire en appelle à la saisine de la Cour Pénale Internationale ou à la création d’un tribunal international ad hoc. Il appuie également la mise en place d’un mécanisme indépendant, notamment chargé de collecter des preuves en vue d’un procès.

La Mission recommande aussi l’adoption de sanctions individuelles à l’encontre des individus nommés.

Enfin, le rapport intermédiaire replace les crimes documentés dans leur contexte historique sur le plus long terme. Il fait valoir que le gouvernement et l’armée ont alimenté un climat dans lequel les discours de haine prospèrent, les violations des droits humains sont légitimées et les incitations à la violence et à la discrimination facilitées.

Les conclusions de la Mission d’établissement des faits étaient attendues dans la perspective d’appuyer les revendications de plus en plus fortes de justice internationale.

Dans un communiqué du 24 août 2018, Info Birmanie enjoint à la France d’appuyer une saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies.