Promouvoir une issue politique face à l’escalade de la violence dans l’Etat d’Arakan

Promouvoir une issue politique face à l’escalade de la violence dans l’Etat d’Arakan

7 août 2020 – Dans son rapport « An avoidable war : Politics and Armed Conflict in Myanmar’s Rakhine State » publié en juin 2020, l’International Crisis Group (ICG) souligne que les combats en cours dans l’Arakan sont les plus intenses que la Birmanie ait connu depuis de nombreuses années et juge cette escalade particulièrement inquiétante. Le conflit dans l’Etat d’Arakan répondant à la fois à un nationalisme virulent et à une marginalisation de la région et de ses habitants de la part du pouvoir central, ICG insiste sur l’importance
d’une solution politique afin de réconcilier la population et les autorités en place. L’impasse de la solution militaire, que ce soit pour le gouvernement ou pour l’Armée de l’Arakan (AA), est flagrante.

Zone géographiquement isolée et fragilisée par la gestion coloniale de son territoire, l’Arakan cherche – depuis la perte de sa souveraineté – à accéder à un gouvernement indépendant/autonome du reste de la Birmanie. Ces revendications constamment étouffées se sont transformées en frustrations au sein de la population arakanaise, ce qui explique la montée en puissance de l’AA, ainsi que d’un ethno-nationalisme local qui cible violemment la minorité Rohingya depuis une dizaine d’années. La région s’est par ailleurs considérablement appauvrie au fil des siècles, du fait de la colonisation et de la dictature Ne Win. Aujourd’hui, l’Etat d’Arakan connait le taux de pauvreté le plus élevé de tout le pays (78%, soit deux fois plus que la moyenne nationale).

Malgré la montée en popularité du Parti National de l’Arakan (Arakan National Party), fondé en 2014 et prônant l’autonomisation de la région, le pouvoir à Naypyidaw refuse toute autonomie à l’Etat d’Arakan. A cela s’ajoute des restrictions imposées par le pouvoir central s’agissant de commémorations régionales observées en Arakan. Cette situation débouche sur une rupture entre le peuple et ses représentants politiques et mène alors à l’explosion de violence que l’on observe depuis novembre 2018. Le sort du leader arakanais, le Dr Aye Maung, en janvier 2018 en est l’illustration. Accusé d’avoir suggéré que la voie des urnes n’était plus aussi efficace que la voie des armes, il est condamné à vingt ans de prison. Cette décision provoque la colère de la population arakanaise, doublé d’un sentiment d’abandon politique qui ne peut que nourrir le soutien à l’AA.

Le 4 janvier 2019, l’AA lance quatre attaques coordonnées à l’encontre de postes de police. En plus de cibler l’armée, elle ne rechigne donc pas à viser la police, mais également les politiques et les fonctionnaires décrétés de mèche avec le pouvoir en place. Bien qu’elle cible les tenants du pouvoir politique et administratif de l’Etat birman, l’AA semble manquer de structure (en comparaison à d’autres organisations ethniques armées dans le pays) pour instaurer une autorité purement arakanaise dans les régions qu’elle contrôle. En décembre 2019, elle annonce cependant la formation d’une « Autorité Arakanaise » (« Rakhine Authority ») afin de lever des impôts et administrer ses territoires .

Mais cette annonce est perçue par les observateurs comme relevant davantage d’un acte performatif et d’une démonstration de force plutôt que d’un réel projet politique. Cela n’empêche pourtant pas son leader, Tun Mrat Naing, de rêver à un « #ArakanDream2020 » dans le cadre d’un combat révolutionnaire qui vise à restaurer la souveraineté arakanaise en conférant un statut confédéré à l’Etat d’Arakan.

Après plus d’un an de combats intenses et malgré l’engagement des forces armées, l’AA ne semble montrer aucun signe de faiblesse et contrôle aujourd’hui la partie nord de l’Etat d’Arakan ainsi qu’une grande partie du canton de Paletwa dans l’Etat de Chin. De fait, le conflit armé s’y est généralisé, ainsi que l’insécurité, et les civils paient un lourd tribut. Dans un récent rapport, Amnesty International documente des frappes aériennes menées sans discernement par l’armée dans des villages et faisant des victimes parmi la population civile. De plus, la répression de l’armée contre les insurgés est marquée par la détention arbitraire et la torture des habitants soupçonnés de sympathiser avec l’AA.

Le Conseil de sécurité de l’ONU appelle pourtant à un cessez-le-feu humanitaire au nom de la lutte contre la Covid-19. Mais l’armée birmane refuse d’intégrer l’AA dans ses déclarations de trêve unilatérale, l’AA étant désignée comme une organisation terroriste par Naypyidaw. Cette accusation tend à ostraciser l’AA et à empêcher tout dialogue entre l’organisation ethnique armée, la Tatmadaw mais également toute personne ou journaliste tentant de contacter l’organisation. La criminalisation de son existence rend complexe toute tentative d’apaisement entre les deux camps, tout en cherchant à légitimer les opérations militaires de l’armée birmane à son encontre. C’est pourquoi l’ICG préconise de mettre un terme à la stigmatisation du groupe armé qui se bat pour faire entendre les revendications d’un peuple blessé par l’indifférence politique de ses représentants.

Le conflit provoque de surcroît une crise humanitaire importante à laquelle le gouvernement doit répondre. En effet, plus de 10 000 personnes ont dû quitter leur habitation ces derniers mois à cause des affrontements, qui ont fait plus de 100 000 déplacés depuis novembre 2018. A cela s’ajoute les persécutions subies par la minorité Rohingya, qui constituent une deuxième urgence humanitaire et politique dans la région. Le conflit armé contre l’AA et la crise Rohingya représentent deux défis d’importance pour le pouvoir birman qu’on ne peut isoler, à quelques mois des élections législatives générales de novembre. Les autorités avancent d’ailleurs des problèmes de sécurité trop importants pour que celles-ci puissent se tenir sur le sol arakanais, un argument légitime mais qui sert également le régime, menacé par la popularité du mouvement nationaliste.

Ces élections pourraient apporter la preuve que la LND est en réalité un parti minoritaire dans l’Etat d’Arakan. Si cela devait avoir lieu, il serait alors de la responsabilité du gouvernement de nommer des représentants du Parti National de l’Arakan (ANP) sans mettre en avant les membres du parti au gouvernement, comme cela a été fait par le passé en dépit des résultats électoraux. Cela représenterait un premier pas, nécessaire afin de renouer avec les Arakanais, et leur redonner confiance en ce système électoral et politique qui leur a, à plusieurs reprises, fait défaut.

Le problème que connaissent aujourd’hui les autorités à Naypyidaw vis-à-vis de l’Etat d’Arakan est un problème d’ordre stratégique. La capitale semble ne prendre en compte qu’une voie, celle du conflit armé afin de régler les revendications arakanaises. Or cette dernière n’a provoqué qu’une escalade du conflit, d’où l’appel de plusieurs ONG à envisager un changement de stratégie, cette fois d’ordre politique pour travailler efficacement à la résolution de la crise.

Si le gouvernement LND annonce la tenue en août de la 4ème Conférence de Panglong pour la paix pour trois jours de discussions entre le gouvernement et les 10 organisations ethniques armées signataires de l’Accord national de cessez-le-feu (NCA) de 2015, l’AA n’en fait pas partie. Non-signataire du NCA, elle a bien demandé à pouvoir participer à la Conférence, mais les autorités ont répondu qu’elle ne sera pas conviée en raison de sa qualification d’organisation terroriste.

Avec la perspective d’une énième Conférence pour la paix, nombreux sont sceptiques face à ce qui ressemble davantage à un outil politique et communicationnel du gouvernement à l’approche des élections qu’à une véritable plateforme destinée à résoudre les ruptures profondes entre le pouvoir central et les minorités du pays. L’arrêt des combats, fut-il provisoire, reste un enjeu de taille pour la tenue et la légitimité des élections qui approchent.

un article de Juliane Barboni

A 3 mois des élections, un scrutin marqué par de nombreuses inconnues

A 3 mois des élections, un scrutin marqué par de nombreuses inconnues

7 août 2020 – Les prochaines élections législatives générales, prévues le 8 novembre, se tiendront quelques jours après les élections américaines de 2020, lourdes d’enjeu pour les Etats-Unis et pour le monde. Sur fond de pandémie et d’ère post-2015, le scrutin birman mobilisera-t-il l’attention des observateurs internationaux à hauteur de ses propres enjeux ? Ces élections sont très importantes pour la Birmanie. La tenue d’élections transparentes et équitables sous le gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) apporterait une pierre à l’édifice d’une transition démocratique chancelante à tant d’égards. Certains voient d’ailleurs dans ce scrutin un   « test grandeur nature des efforts de démocratisation du pays ». De nombreux indicateurs sont dans le rouge, parmi lesquels la liberté d’expression.

Ces élections se préparent dans un climat bien diffèrent de celui qui prévalait en 2015. Le slogan de campagne « Time for change » qui a porté la LND au pouvoir s’est heurté aux réalités nettement moins reluisantes de son exercice. Le gouvernement LND n’a pas pu mener à bien la réforme de la Constitution de 2008 nécessaire à l’établissement d’institutions pleinement démocratiques, ni amener le pays vers la paix. Confronté à des combats d’une intensité inégalée depuis des années sur le front qui oppose l’Armée de l’Arakan (AA) et la Tatmadaw, la Birmanie n’a pas davantage commencé à résoudre les autres conflits qui la minent, parfois depuis des décennies, toujours aux prises avec ses vieux démons identitaires et l’héritage toujours vivant de décennies de dictature militaire. La crise paroxystique des Rohingya reste entièrement non résolue, sans aucune perspective d’amélioration à court ou moyen terme en l’état de la politique menée par l’Etat birman, dont l’intention est qualifiée de génocidaire par les experts de l’ONU.Quant au bilan économique, s’il compte quelques avancées à son actif, il voit ses perspectives obscurcies par la persistance de « l’ancien monde » et par l’impact de la pandémie de Covid-19.

Alors que de nombreux pays ont fait le choix de reporter leurs élections en raison de cette pandémie, la Birmanie, qui compte officiellement moins de cas, maintient le calendrier et s’avance vers ce scrutin alors qu’une partie de son territoire est en guerre, aux prises avec des combats d’une intensité que le pays n’avait pas connu depuis des années. Tout récemment, des officiels ont annoncé que le scrutin ne se tiendrait pas sur une partie du territoire de l’Arakan si l’armée estime que les conditions de sécurité ne sont pas réunies.Un enjeu d’apparence légitime, mais en réalité problématique face à l’importance pour la population de pouvoir s’exprimer par les urnes. L’armée et le pouvoir en place ont-ils seulement la volonté de faire taire les armes pour que ce scrutin – et donc une forme de débouché politique partiel aux conflits – puisse avoir lieu ? Sur fond de pandémie, l’appel à un cessez-le-feu mondial lancé par la communauté internationale, relayé en Birmanie par de nombreuses organisations de la société civile, représentations diplomatiques et organisations ethniques armées (OEA), n’a pas été entendu.

Aung San Suu Kyi, officiellement candidate à un deuxième mandat depuis le 4 août, reste populaire au sein de la majorité Bamar, mais il n’en va pas de même au sein des minorités ethniques et parmi les défenseurs des droits humains en Birmanie. L’engouement a cédé la place à un désenchantement certain, dont la traduction dans les urnes reste à mesurer. En l’absence d’alternative face aux militaires, de quels espoirs cette élection sera-t-elle porteuse ?

Depuis des mois, le fait que la LND soit « assurée de l’emporter » revient comme un leitmotiv, la seule question posée étant celle du degré de sa victoire et des forces politiques avec lesquels elle devra ensuite composer, en sus de l’armée. Derrière cette apparente simplicité d’une majorité annoncée pour la LND, quels sont les enjeux de ce scrutin, ses nouveaux acteurs, ses risques ?

Des résultats des élections législatives partielles, on peut déjà tirer quelques enseignements. Elles ont confirmé le moindre soutien dont bénéficie désormais la LND au sein des minorités ethniques, mais aussi la capacité du Parti de l’union, de la solidarité et du développement (PUSD/USDP), le parti des militaires, à remporter des voix. La presse ne manque d’ailleurs pas de spéculer sur les ambitions présidentielles prêtées au commandant en chef de l’armée Min Aung Hlaing, bientôt à la retraite. La simple existence de ces conjectures illustre bien le spectre du poids politique de l’armée qui continue d’influer sur l’histoire du pays.

A partir de septembre, Info Birmanie proposera des analyses et partagera des témoignages d’acteurs et d’observateurs de terrain pour rendre compte de ces élections par une pluralité de voix. La campagne électorale démarre officiellement le 8 septembre.

Alors que l’Etat birman est mis en cause devant la Cour Internationale de Justice,
une image emblématique de la vie politique birmane / Rangoun – décembre 2019

Lafarge Holcim bloque une vente au profit de partenaires de l’armée : une décision saluée par JFM

Lafarge Holcim bloque une vente au profit de partenaires de l’armée : une décision saluée par JFM

CP 27 juillet 2020 – Justice For Myanmar (JFM) salue l’annonce faite par l’entreprise Lafarge Holcim de liquider ses affaires en Birmanie. En interrompant une vente au bénéfice de ses partenaires, membres du cartel de l’armée, Lafarge Holcim prive l’armée d’une source de revenus. JFM demande à Lafarge Holcim d’entreprendre cette liquidation en toute transparence en s’assurant qu’elle n’ait pas d’impact sur les droits humains, conformément aux responsabilités qui lui incombent au titre des Principes Directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme.

Yadanar Maung, porte-parole de JFM, indique : « Justice For Myanmar salue la décision de Lafarge Holcim de couper ses liens avec le cartel de l’armée birmane. La construction est un secteur important pour l’armée. Les profits générés lui permettent de commettre des violations massives des droits humains en toute impunité et appuient les généraux et leurs hommes d’affaires dans leur enrichissement personnel à travers la corruption de l’approvisionnement public et le vol de biens publics. » 

Selon un article paru le 25 juillet 2020 dans le média suisse SonntagsZeitung, Lafarge Holcim a décidé d’interrompre la vente au profit de ses partenaires birmans, après qu’un réexamen l’ait qualifiée de risquée. En 2019, Lafarge Holcim avait été citée dans le rapport de la Mission d’établissement des faits de l’ONU en tant qu’entreprise étrangère ayant des liens contractuels ou commerciaux avec l’armée [1], rapport qui recommandait de mettre un terme à ces liens. Basée en Suisse, Lafarge Holcim est le plus grand producteur mondial de ciment [2].

En 2014, Lafarge Holcim avait créé une société en participation avec M.Y. Holding et le groupe Aung Myin Thu.

La société M.Y. Holding est dirigée par Ye Myint, qui à l’époque était un ancien membre du conseil d’administration de Sinminn, le manufacturier en ciment du conglomérat militaire Myanmar Economic Holdings Limited (MEHL). M. Ye Myint a quitté le conseil d’administration de Sinminn à la suite de la mise en place du partenariat avec Lafarge, mais continue de gérer une usine de ciment Sinminn à Kyaukse dans le cadre d’une société en participation avec MEHL. La société M.Y. Holding vend aussi des produits Sinminn.

Le groupe Aung Myin Thu est un conglomérat de cronies (hommes d’affaires en lien avec l’armée) fondé par Saw Nyein, membre actif du conseil d’administration de Sinminn. Le groupe Aung Myin Thu a des liens étroits avec la famille du commandant-en-chef de l’armée Min Aung Hlaing. Jusqu’à tout récemment, sa belle-fille, Myo Yadanar Htike était directrice et actionnaire de l’entreprise Apower Co. Ltd. et son ancien beau-fils, Lin Myint Phwe, était directeur et actionnaire de l’entreprise Minn Pyae Tagon Industrial Co. Ltd, deux filiales du groupe Aung Myin Thu.

En septembre 2017, le groupe Aung Myin Thu a effectué deux donations pour un total de 60 000 000 MMK à l’armée (soit environ 37 600 euros), en soutien du génocide des Rohingya. Myo Yadanar Htike et Lin Myint Phwe ont été retirés des conseils d’administration des sociétés du groupe Aung Myin Thu depuis la parution du rapport de la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur les intérêts économiques de l’armée birmane.

Le communiqué de Justice For Myanmar (Anglais) :

https://www.justiceformyanmar.org/press-releases/justice-for-myanmars-response-to-lafargeholcims-announcement-blocking-sale-to-military-partners

Contact presse :

Yadanar Maung

Email: media@justiceformyanmar.org

Website: https://www.justiceformyanmar.org/

Twitter: @justicemyanmar

Facebook: https://www.facebook.com/justiceformyanmar.org/

[1] Page 104 du rapport : mention de liens entre Lafarge, aujourd’hui Lafarge Holcim, et Sinminn Ciment, un sous-traitant de la Myanmar Economic Holding Limited (MEHL), l’un des deux conglomérats de l’armée
[2] Le groupe LafargeHolcim Ltd est issu de la fusion, en 2015, de Lafarge et Holcim. Son siège est en Suisse.

 

Le Conseil de sécurité exige un arrêt immédiat et mondial des hostilités

Le Conseil de sécurité exige un arrêt immédiat et mondial des hostilités

CP 3 juillet 2020  – Attendue depuis des mois, une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu appelant à un arrêt immédiat et mondial des conflits armés et à une « pause humanitaire » au nom de la lutte contre la Covid-19 a afin été adoptée le 1er juillet, sous la présidence de l’Allemagne[1]. Le porte-parole du Secrétaire général de l’Onu estime que l’adoption de cette résolution « enverra un signal important aux parties au conflit et pourrait aider à modifier les calculs sur le terrain » [2].

Jusqu’à présent, les autorités birmanes sont demeurées sourdes à l’appel à un cessez-le-feu mondial lancé par le Secrétaire général de l’Onu le 23 mars. Cet appel a été relayé en vain par 18 Ambassades, et par des centaines d’organisations de la société civile et d’organisations humanitaires internationales. La mobilisation équivalente pour qu’il soit mis fin à la plus longue coupure d’internet au monde – en vigueur depuis maintenant un an dans une partie des états d’Arakan et Chin – n’a pas été davantage entendue. Une partie de la population touchée par cette coupure ignore jusqu’à l’existence de la pandémie, l’enjeu de santé publique n’étant pas le seul face aux combats qui s’intensifient et aux sévères restrictions d’accès à l’aide humanitaire, et à l’information d’une manière générale.

L’armée birmane refuse d’intégrer le conflit qui l’oppose à l’Armée de l’Arakan (AA) dans sa déclaration de trêve unilatérale. Bien que mal respectée dans les zones de conflit qu’elle couvre, cette trêve est d’une urgence absolue dans les états d’Arakan et Chin. Mais depuis que les autorités ont qualifié l’AA d’organisation terroriste, la justification officielle de l’escalade est toute trouvée et le dialogue rendu impossible. Dans le prolongement de cette logique, le commandant en chef de l’armée a récemment dénoncé « les forces » qui soutiennent les « terroristes », appelant à une coopération internationale contre le terrorisme.

Depuis les débuts de la pandémie, les combats dans les états d’Arakan et Chin n’ont cessé de s’intensifier. La semaine passée, l’armée birmane a annoncé le lancement d’une «opération de nettoyage» au niveau de Kyauktan, dans le canton de Rathedaung. Si les autorités centrales ont réprouvé l’emploi d’un terme de sinistre mémoire, une opération de l’armée est bien en cours. Plus de 10 000 villageois ont, selon l’Onu, pris la fuite à la suite d’un ordre d’évacuation initialement lancé par les autorités locales en réponse à l’annonce de l’armée.

Dans un communiqué du 27 juin 2020, Burma Human Rights Network (BHRN) fait état de maisons détruites par le feu dans le village de Kyauntan, d’arrestations de civils qui tentent d’échapper à la violence et de civils en fuite qui se dirigent vers les cantons de Rathedaung et de Sittwe et vers les villages alentours à la recherche d’un abri.

BHRN souligne que cette opération se fait non seulement au mépris du droit humanitaire, mais aussi de la décision rendue par la Cour Internationale de Justice visant à protéger les Rohingya. Devant le Conseil des droits de l’Homme le 30 juin,  Michelle Bachelet, Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’Onu, a notamment évoqué le fait que l’armée a, le mois dernier déjà, brûlé de vastes étendues du canton de Buthidaung où vivaient des Rohingya avant 2017. Selon des témoins et des images satellites, une zone couvrant jusqu’à une douzaine de villages Rohingya a été réduite en cendres… Or ces villages ne sont pas seulement les lieux dans lesquels les Rohingya aspirent à revenir, mais également des sites à préserver par rapport à l’établissement des preuves des crimes commis en 2017.

Face aux « opérations de nettoyage » annoncées, les représentations diplomatiques de l’Australie, du Canada, du Royaume-Uni et des Etats-Unis ont publié un communiqué pour faire part de leur inquiétude par rapport à l’impact historique de ces opérations militaires sur les civils. Alors que l’ONU s’alarme également des conséquences humanitaires de cette intensification des combats, l’impuissance à mettre un terme à la violence et à l’impunité de l’armée birmane reste de mise.

Face à l’extrême gravité de la situation, nous demandons à la France de s’exprimer sur les opérations en cours et d’appuyer, par tous les leviers possibles, notamment au sein de l’Union Européenne et auprès des autorités birmanes, l’adoption d’un cessez-le-feu général en Birmanie.

Contact Presse : Sophie Brondel sophie@info-birmanie.org 07 62 80 61 33

[1] ONU info souligne que ce pays, membre non-permanent du Conseil, avait, le 9 avril, dénoncé par la voix de son ambassadeur à l’ONU, le « silence assourdissant » de l’organe onusien face au « plus grand défi auquel la civilisation a été confrontée depuis la Seconde Guerre mondiale ». Le premier jour de sa présidence vient remédier à ce silence. Le projet de résolution a été rédigé par la France et la Tunisie.

[2] Dans sa résolution, le Conseil précise que sa demande de cessation des hostilités « ne s’applique pas aux opérations militaires menées contre l’État islamique en Iraq et au Levant (EIIL, également connu sous le nom de Daech), Al-Qaïda et le Front Al-Nusra (ANF), ainsi que contre tous les autres individus, groupes, entreprises et entités associés aux groupes terroristes, qui ont été désignés comme tels par le Conseil. »

 

Trafic illégal de teck : La corruption des autorités birmanes profite aux constructeurs européens

Trafic illégal de teck : La corruption des autorités birmanes profite aux constructeurs européens

24 juin 2020 – La Birmanie reste l’une des dernières réserves de teck au monde. Un état de fait qui profite au trafic illégal de ce bois précieux, que même la pandémie actuelle n’endigue pas. En avril, 840 tonnes de teck ont encore été saisies en l’espace d’une semaine en direction de la province chinoise de Yunnan. Des flux illégaux qui s’étendent auprès de tous les constructeurs de luxe, notamment en Europe.

Les forêts luxuriantes de teck situées dans le nord de la Birmanie entre la région de Sagaing et les états Kachin et Shan, représentent pour les communautés locales et indigènes un héritage millénaire qui fournit encore aujourd’hui une de leurs principales sources de revenu. Outre leur importance économique et culturelle, elles constituent également une précieuse réserve pour la biodiversité, abritant plusieurs centaines d’espèces endémiques, aujourd’hui menacées par la déforestation croissante de leur habitat.

Le teck exploité dans la région est en effet très prisé par les entreprises du luxe à travers le monde. On retrouve par exemple ce bois précieux et résistant comme ornementation dans les yachts de luxe européens. Cet intérêt pour le teck a poussé les exploitants à avancer toujours plus loin dans la forêt. Depuis 1990, on observe une perte d’environ 20% de sa superficie initiale. Outre la déforestation, l’exploitation forestière à elle seule dégrade fortement l’environnement. On considère à l’heure actuelle qu’à peine un tiers de la forêt birmane reste intacte.

L’exploitation du bois de teck est à la croisée de plusieurs problématiques : économiques, écologiques et politiques. La Myanmar Timber Enterprise (MTE), entreprise nationale chargée de l’exploitation forestière depuis 1989, est en effet aux mains des autorités militaires. La forêt birmane représente pour l’état-major une des principales sources financières qui abreuvent les élites de tout le pays. Raison pour laquelle cette industrie est parasitée par la corruption et les dérive frauduleuses depuis au moins une vingtaine d’années.

Dans son rapport de février 2019 « State of Corruption : The top-level conspiracy behind the global trade in Myanmar’s stolen teak »l’Agence Environnementale d’Investigation (EIA) a enquêté sur la corruption massive qui sévit à tous les échelons de cette industrie. Elle se situe tant au cœur des réseaux officiels du commerce international de bois qu’en marge de ceux-ci, légitimée par les hauts-gradés de la MTE qui profitent de ce trafic. Grâce à son travail d’infiltration, l’EIA est parvenue à cartographier les réseaux illégaux qui semblent tous converger autour d’une seule et même personne, le « président de l’ombre », que l’on appelle aussi le roi du teck birman : à la suite d’une série d’accords passés avec le gouvernement birman, ce dernier est parvenu à revendre le meilleur teck du pays en le rachetant à l’entreprise nationale MTE, tout en passant outre le système d’enchères organisées par celle-ci. L’EIA indique que ce « président » mafieux, nommé en réalité Cheng Pui Chee, a misé sur un système de corruption innovant basé sur le long terme, en finançant non seulement le train de vie onéreux des élites du pays, mais également les études coûteuses de leurs enfants à Singapour, Hong-Kong puis aux Etats-Unis, s’assurant de la sorte une loyauté sur plusieurs générations. Décédé depuis peu, son partenaire principal Koh Seow Bean ainsi que son fils Thanit Apipatana, continueraient le trafic en usant du réseau d’influence de leur mentor. Selon l’EIA, cette corruption, loin de se limiter aux autorités de la MTE, remonte jusqu’aux plus hauts-gradés du gouvernement, et jusqu’à l’ancien chef de la junte militaire, le général Than Shwe.

Depuis 2013, le commerce de teck illégal est interdit en Europe par le Règlement de l’Union Européenne sur le Bois (l’EU Timber Regulation /EUTR). En 2017, les experts de la Commission sur cette thématique ont cependant conclu qu’aucune garantie reçue par les autorités compétentes des Etats membres concernant le bois en provenance de la Birmanie ne constitue une preuve fiable au regard du respect des disposition de l’EUTR. Mais en dépit de la réglementation et de cette mise en garde, le trafic continue et sert les entreprises européennes qui tirent profit de la corruption birmane et de l’appauvrissement des communautés locales et indigènes. Malgré la réglementation du commerce du bois en Europe à partir de 2013, certaines entreprises (Crown, Boogaerdt, Vandecasteele, et d’autres encore), ont continué à importer du teck illégal en contournant la réglementation européenne.

Dans son dernier rapport publié en mai 2020 « The Croatian Connection Exposed Importing illicit Myanmar teak through Europe’s back door », l’EIA dévoile le pivot central qu’est devenue la Croatie dans ce réseau illégal d’importation grâce à la collaboration du Ministère de l’agriculture croate qui leur a fourni plus de 1000 pages de documentation sur cette affaire. Depuis 2017, l’entreprise Viator Pula dirigée par Igor Popovic a importé dix cargaisons de teck, représentant plus de 144 tonnes de bois, dans l’optique de le revendre à des constructeurs italiens, allemands et néerlandais. L’entreprise croate exploite en effet un vide administratif de l’EUTR qui ne demande qu’au premier « opérateur » européen d’effectuer les vérifications nécessaires sur la provenance et la légalité du bois importé. Le teck importé arrive d’ailleurs en gros, et non taillé en bûches, afin de contourner l’interdiction de l’exportation du teck en bûches, mise en place par le gouvernement birman en 2016.

Si des mesures sont mises en place à la fois par la Birmanie et l’Union Européenne, il est évident qu’elles ne suffisent pas à endiguer un problème qui ne cesse de croître et de menacer aussi bien la faune et la flore locale que les communautés qui vivent des ressources forestières. L’EIA recommande d’ailleurs aux autorités européennes de condamner les entreprises qui circonviennent à l’EUTR en passant par un système d’amendes proportionnelles et dissuasives, tout en renforçant le cadre d’application de l’EUTR qui devrait concerner l’ensemble des opérateurs européens traitant avec un bois importé. De son côté, le gouvernement birman doit lutter contre une corruption qui parasite l’ensemble de ses élites et œuvrer à réformer l’usage et l’exploitation de la forêt en créant par exemple une coalition nationale officielle qui inclurait la société civile et les communautés indigènes qui dépendent directement de ces forêts. Le fait d’avoir réduit les coupes autorisées chaque année est un effort notable des autorités qui ne suffit pas à juguler le trafic.

Sa mise au jour appelle à plus de transparence afin de limiter le risque de corruption et de fraude, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. En Birmanie, l’accent doit être mis sur la responsabilité des autorités de la MTE et du gouvernement, plutôt que sur les communautés locales accusées de conspirer avec les groupes armés régionaux en utilisant l’exploitation illégale de bois pour financer la lutte armée. Les rapports récents de l’EIA discréditent cette thèse avancée par les autorités birmanes depuis plusieurs années et appellent le gouvernement à assumer sa propre responsabilité dans la pérennité du trafic. Au vu de la complexité de ce réseau de corruption qui affecte le pays à tous les niveaux, il semble cependant peu probable que le gouvernement birman réussisse à s’attaquer à ce problème de son propre chef. D’autant que la Birmanie rejette en bloc les conclusions de l’EIA. Il serait alors judicieux pour l’Union Européenne d’entrer en collaboration avec la Birmanie dans le but de créer des relations commerciales saines autour de l’exportation forestière, sans pour autant risquer l’extinction d’un des bois les plus précieux du monde. Les entreprises européennes ne devraient plus pouvoir fermer les yeux sur la légalité du bois qu’elles importent.

Juliane Barboni

 

Sources

« Myanmar’s illegal timber trade continues despite COVID-19 »

« Europe’s rich continue to buy Myanmar’s illegal teak: EIA »

EIA Report « The Croatian Connection Exposed Importing illicit Myanmar teak through Europe’s back door May 2020 »  

EIA Report « State of Corruption The top-level conspiracy behind the global trade in Myanmar’s stolen teak February 2019 »