CP 5 novembre 2020 – Le contexte dans lequel les
élections législatives vont avoir lieu dimanche en Birmanie nous inquiète. Depuis
des semaines, des représentants de l’ONU et de la société civile s’alarment d’un
« espace démocratique » qui se restreint encore davantage à
l’approche du scrutin (à supposer qu’il existe encore) : censure de la part de la
commission électorale, atteintes systématiques à la liberté d’expression et à
la liberté de la presse, répression de toute parole critique visant l’armée ou le
gouvernement, privation du droit de vote sur des critères de «race, d’ethnie et de religion» ou au
motif de l’insécurité, discours de haine à l’encontre des musulmans sur les réseaux
sociaux, restriction d’accès à internet pour plus d’un million de birmans…
Avec sa décision d’annuler la tenue du scrutin dans plus de
56 cantons au nom de l’insécurité – sans discussion préalable, sans
transparence et sans alternative – la Commission électorale ne fait
qu’accentuer les griefs des minorités ethniques à l’encontre du pouvoir
central. Cette décision prive d’élection plus de 1 500 000 électeurs
issus de ces minorités. Dans l’état d’Arakan – qui a cruellement besoin de
dialogue politique et où l’enjeu de la représentation politique est
particulièrement fort – les élections n’auront pas lieu dans plus de la moitié
des cantons. Cela comporte le risque d’accroître la violence politique au
lendemain du scrutin.
New Myanmar Foundation – une organisation de la société
civile qui va suivre les élections – relève que la période pré-électorale a été
marquée par davantage de cas de violence, comparée au scrutin de 2015. Cette
violence, qui est allée jusqu’à la mort d’un soutien de la LND, émane principalement
de partisans de l’USDP, le parti associé à l’armée.
Une armée qui, à quelques jours du scrutin, joue la carte de l’intimidation. Elle émet, à son tour, des mises en garde sur le scrutin, en pointant des irrégularités de la part de la Commission électorale et en mettant en cause la responsabilité du gouvernement. Allant jusqu’à sortir du cadre de la Constitution de 2008 qui lui confère pourtant déjà des pouvoirs exorbitants, elle met en cause par avance la légitimité du scrutin. Cette intrusion publique de l’armée dans le jeu politique vient rappeler la menace qu’elle continue de faire planer sur le pays.
Une armée de nouveau mise en cause pour des crimes de guerre – voire des crimes contre l’Humanité – dans l’état d’Arakan, qui a récemment déployé des troupes à la frontière avec le Bangladesh et qui mène actuellement une campagne de propagande en ligne aux fins de diviser les populations Rohingya et Rakhine. Les diatribes et la reddition orchestrée du moine extrémiste Wirathu – poursuivi pour sédition – ne font qu’alimenter les spéculations.
Les élections n’ont pas encore eu lieu, mais la légitimité de leurs résultats semble déjà en cause, dans un mélange de motifs légitimes et de raisons moins louables qui ajoutent à notre inquiétude.
Le pays étant fermé, le suivi des élections par les organisations locales et la société civile est crucial. D’autant que les médias locaux ont été mis de côté par le gouvernement : ils sont considérés comme une « activité non-essentielle » dans le cadre des restrictions sanitaires.
A défaut de pouvoir être sur place, Info Birmanie continuera de relayer les voix de ses contacts sur le terrain. A quelques jours des élections, nous pensons à tous les birmans qui défendent les valeurs de la démocratie et les droits humains et en appelons aux médias français pour qu’ils suivent de près le scrutin, le positionnement de la France et de la communauté internationale, et l’évolution de la situation post-électorale.
Les élections législatives générales du
8 novembre approchent à grand pas et la situation des travailleurs birmans
habitant à l’étranger reste incertaine. Ces derniers, tout comme les organisations
de défense de leurs droits, sont inquiets pour leur droit de vote.
Alors qu’environ 4 millions de birmans résident à l’étranger, seuls 30 000 d’entre eux ont pu se rendre aux urnes en 2015 ! Trop longtemps négligée, cette partie de l’électorat birman demande à être informée et soutenue par le gouvernement afin d’éviter sa privation d’un droit constitutionnel. Pour ne pas être exclus du scrutin, certains migrants birmans ont fait le choix de voter en avance, se levant dans la nuit pour espérer atteindre leur ambassade dans une métropole parfois située à plusieurs jours de route, et ce durant leur seul jour de repos. Pour beaucoup, ce périple est la seule manière de pouvoir faire entendre sa voix après la déception qu’a représentée leur exclusion lors de l’élection de 2015.
En 2020, les autorités ont annoncé avoir enregistré 101 526 birmans de l’étranger pour voter, après avoir reçu 109 470 demandes. Les bulletins de vote ont été envoyés aux représentations diplomatiques du pays. Cette année, les modalités du vote à l’avance se sont un peu améliorées. Le créneau d’une journée prévu en 2015 s’est allongé. Les birmans de l’étranger ont eu entre 3 et 18 jours (selon le nombre de votants) pour voter à l’avance en octobre au sein de 45 ambassades et consulats.
La Commission électorale (UEC) déclare tout mettre en œuvre pour permettre aux birmans de l’étranger de voter et travaille désormais en collaboration avec les ambassades et consulats birmans à l’étranger, notamment en Thaïlande et en Malaisie. Une campagne d’enregistrement des électeurs en dehors des frontières nationales s’est déroulée pendant l’été. Les migrants birmans ont dû remplir le « formulaire 15 » pour faire reconnaître leur droit de vote.
Mais malgré tout, la situation reste peu propice à un vote massif de cette catégorie de la population birmane. Après la situation de 2015 certains acteurs politiques se demandent d’ailleurs si les travailleurs migrants se sentent encore concernés par la tenue des élections. En réalité, la plupart souhaite peser dans l’élection de
novembre, en dépit des obstacles qui bloquent leur accès aux urnes. Un souhait
d’autant plus présent après l’échec des élections de 2015. 90% des migrants
concernés rencontrés par l’ONG Fondation pour l’Education et le Développement
(FED) et par le Réseau pour les Droits des Travailleurs Migrants de Birmanie,
déclarent n’avoir jamais pu voter. Beaucoup de jeunes âgés entre 19 et 24 ans
se saisissent d’ailleurs de leur droit de vote pour la première fois cette
année.
Mais de nombreux migrants birmans demeurent peu renseignés sur les démarches à suivre et limités dans leurs possibilités de déplacement. Certaines ONG de défense des droits ont donc appelé les ambassades à distribuer le « formulaire 15 » au plus grand nombre de personnes concernées. U Htoo Chit, directeur de FED – dont l’un des bureaux se situe dans le sud de la Thaïlande – a mobilisé son organisation en contactant les travailleurs migrants de la région, pour leur donner accès au formulaire et aux informations essentielles. Néanmoins, le délai pour rendre le formulaire a été jugé trop court par la société civile.
Ce n’est d’ailleurs qu’une première étape : une fois reconnu comme électeur à part entière, le citoyen birman de l’étranger doit ensuite se rendre à l’ambassade pour présenter son vote. Or la majorité des travailleurs migrants résident hors des métropoles où se situent les ambassades, comme celle de Bangkok. C’est pourquoi les organisations de la société civile ont appelé les autorités birmanes à prolonger les délais et à prévoir des bureaux de vote mobiles au plus près des travailleurs.
En Thaïlande, ce sont 39 000 birmans qui se sont enregistrés pour voter à l’avance en octobre. Selon le consulat basé à Cheng Mai, environ 1000 birmans se sont enregistrés dans le nord du pays. En 2015, il fallait obligatoirement se rendre à Bangkok pour voter et seules quelques dizaines de migrants birmans avaient fait le déplacement. En 2020, il y a donc bien une mobilisation plus forte de cet électorat, mais toute relative par rapport aux millions de travailleurs migrants birmans en Thaïlande. Voter reste un parcours du combattant. Certains électeurs témoignent avoir mis 2 jours pour se rendre à Bangkok pour voter. Les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 viennent aussi limiter les déplacements. Les autorités birmanes ont expliqué ne pas pouvoir mettre en place de bureaux de vote mobiles au plus près des migrants en raison de la crise sanitaire. Les coûts des transports, le manque d’informations, voire la confiscation du passeport par l’employeur, sont autant d’obstacles qui font que beaucoup de travailleurs birmans ne feront pas le voyage pour voter.
Dans les provinces du nord de la Thaïlande, ce sont 1000 migrants birmans qui se sont enregistrés pour voter à l’avance sur une estimation de plus de 60 000 travailleurs birmans. Près de 80 % des électeurs enregistrés à Chiang Mai sont originaires de l’état Shan. L’Irrawaddy a réalisé des interviews de plusieurs dizaines d’entre eux. Si leur vote balance entre la LND et la Shan Nationalities League for Democracy (SNLD), ils ont, pour la plupart, la paix comme préoccupation première après avoir fui les conflits armés en Birmanie.
Si la majorité des migrants birmans travaillent en Thaïlande, et en Malaisie, d’autres résident au Japon, en Australie, en Corée du Sud ou encore à Singapour. Le vote de ces birmans ne répond pas aux mêmes défis, car ils appartiennent généralement à une élite de travailleurs qualifiés. Ils bénéficient de ressources et d’informations, ce qui facilite leur accès au vote. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2015, seuls 600 birmans ont pu voter en Thaïlande, alors qu’à Singapour ils étaient 19 000. En 2020, plus de 32 000 birmans se sont enregistrés pour pouvoir voter à l’avance à Singapour. La presse locale rapporte cependant que 2000 d’entre eux n’ont pas reçu leurs bulletins de vote en raison de dysfonctionnements.
Les autorités birmanes doivent résoudre le problème de l’accès à l’information et aux technologies des travailleurs migrants les moins privilégiés. Dans le cas contraire, les birmans de l’étranger perdraient de fait massivement leur droit de vote en voyant, année après année, leur voix étouffée.
En attendant des réformes décisives de la part du
gouvernement, les ONG locales appellent les autorités à travailler en collaboration
avec les attachés diplomatiques, mais aussi avec les responsables d’usines où
sont employés les migrants. Des réunions entre les représentants diplomatiques
et les travailleurs permettraient de leur faire parvenir les informations
relatives aux élections à venir. En dehors de ces réunions sur le terrain, une
éducation numérique à propos des enjeux électoraux est envisageable. En passant
par les réseaux sociaux, il est en effet possible de sensibiliser une grande
partie de la population, autrement délaissée par la communication
gouvernementale.
Cette éducation est d’autant plus importante à mettre en place qu’une grande partie des travailleurs immigrés sont reconnus comme minorités ethniques et souffrent de leur invisibilisation par les autorités sur le sol birman. Dans le contexte des conflits qui déstabilisent le pays, il est essentiel de lutter contre le silence encore imposé aux birmans de l’étranger. La société civile qui défend leurs droits vient rappeler que leurs voix devraient être l’une des composantes de la légitimité, voire de la régularité du scrutin à venir, à l’heure où il est aussi question des centaines de milliers de birmans privés de vote à l’intérieur du pays.
A quelques semaines des élections législatives fixées au 8 novembre 2020, nous dressons un état des lieux du contexte pré-électoral et de la situation politique du pays. Cinq ans après l’arrivée au pouvoir de la LND, c’est l’heure du bilan. Dans quel contexte se déroulent ces élections, quelle est la situation politique et où en est le rapport de force entre l’armée et la LND ? Quel est l’impact de la crise sanitaire sur fond de pandémie de Covid-19 ? Quelles sont les perspectives pour les Rohingya et les minorités ethniques d’une manière générale, ainsi que pour le règlement du conflit qui oppose l’armée de l’Arakan (AA) à la Tatmadaw et les promesses de paix ? Quel rôle joue la Chine et quelle est la position de la communauté internationale à l’approche du scrutin ?
Une conférence-débat animée par Sophie Brondel, coordinatrice d’Info Birmanie
Intervenants :
Guillaume Pajot – Journaliste indépendant, il collabore notamment avec la revue XXI, Paris Match, Le Monde Diplomatique… Il a réalisé plusieurs reportages dans le cadre de ses voyages en Birmanie et au Bangladesh dans les camps de réfugiés Rohingya.
Olivier Guillard – Chercheur à l’Université du Québec à Montréal, titulaire d’un doctorat en droit international public, il est spécialiste de l’Asie. Auteur à Asialyst, il publie régulièrement des articles sur la Birmanie.
Lien vers la vidéo :« Elections législatives 2020 en Birmanie : enjeux et perspectives »
Introduction : pour les minorités, que de promesses déçues…
Lors du scrutin historique de 2015 qui s’est joué sur le mode « les militaires ou la démocratie », les minorités ethniques – qui représentent environ 30 % de la population – ont largement pris part au raz-de-marée électoral du parti d’Aung San Suu Kyi [1]. La Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) avait alors fait de la paix son credo et promettait la démocratie et le fédéralisme après des décennies d’exclusion, de conflits et de violations des droits humains. Cinq ans plus tard, les minorités ethniques sont en première ligne des désillusionnés face au bilan du gouvernement LND. La promesse de réforme démocratique et de paix qui a alimenté la campagne électorale de la LND en 2015 a cédé la place au désenchantement.
La situation s’est sérieusement dégradée sur le terrain de plusieurs conflits et des violations des droits humains [2]. Depuis 2015, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées par les combats n’a cessé d’augmenter. Aux plus de 700 000 Rohingya qui ont dû fuir au Bangladesh en 2017, s’ajoutent notamment plus de 300 000 déplacés internes dans les états Kachin, Shan et d’Arakan. Depuis novembre 2018, les combats qui opposent l’Armée de l’Arakan (AA) et la Tatmadaw ont, à eux seuls, entraîné le déplacement de près de 200 000 civils. Ce conflit est le plus intense que la Birmanie ait connu depuis de nombreuses années et l’ONU y évoque de nouveaux crimes de guerre, voire des crimes contre l’Humanité, commis par l’armée.
Les Conférences de Panglong pour la paix, initiées par le gouvernement à grand renfort de communication, se sont enlisées. Limitées par le cadre non-inclusif de l’Accord national de cessez-le-feu de 2015, les discussions n’ont abouti à aucune avancée concrète. Les positions de l’armée et des organisations ethniques armées (OEA) restent inconciliables. En mars 2020, les autorités ont qualifié l’AA d’organisation terroriste, éloignant encore davantage les perspectives de voir cette OEA rejoindre la table des négociations.
Non seulement le sort des minorités ethniques n’a pas connu d’amélioration au cours de ces cinq dernières années, mais elles ne se sentent pas prises en compte par le gouvernement central. Elles lui reprochent de ne pas avoir appuyé leurs revendications d’égalité et d’autonomie. Ces minorités ont de nombreuses raisons de se sentir laissées-pour-compte : poursuite au sommet d’une politique qui promeut le nationalisme bamar-bouddhiste, afflux d’investissements et de projets économiques qui ne bénéficient pas aux populations, impacts désastreux de la réforme de la loi sur la terre pour les minorités, persistance d’un système politique qui les maintient à la marge sous l’égide de la Constitution de 2008, jusqu’à présent impossible à réformer [3].
La campagne d’édification de statues à la gloire du général Aung San, père d’Aung San Suu Kyi et de l’Indépendance, est venue illustrer les tensions entre le gouvernement central et les minorités. Le Gouvernement LND a lancé cette campagne dans les états ethniques en faisant fi de l’opposition suscitée et en réprimant les opposants au projet. Cette démarche cadrait mal avec la volonté affichée de réconcilier le pays, alors que les manifestants déclaraient : « Nous ne voulons pas la statue du général Aung San, nous voulons la réalisation de sa promesse. » Une promesse d’Etat fédéral qui, depuis 1948, tarde à se concrétiser.
La surenchère répressive des autorités est régulièrement dénoncée par les organisations de défense des droits de l’Homme (interpellation de manifestants pacifistes pour la paix, blocage de médias ethniques, poursuites judiciaires à l’encontre de journalistes et de défenseurs des droits humains). Dans un rapport publié le 8 octobre 2020, 19 organisations de la société civile pointent par ailleurs la menace que font peser les discours de haine sur le pays à la veille des élections. Le « rôle des discours de haine, des campagnes de désinformation et de l’ultranationalisme dans la résurgence de l’oppression et des violations des droits humains » y est décrypté, ainsi que « le nouvel alignement du gouvernement et de l’armée » : une « série de discours construits… se renforcent mutuellement et visent à promouvoir la domination bamar-bouddhiste au détriment des minorités ethniques et religieuses du pays.»
Pour les partis ethniques : un scrutin plus compétitif, marqué par d’énormes défis
En 2020, le manifeste de campagne de la LND reprend les grands thèmes de la réforme de la Constitution, de la paix et de l’amélioration des conditions de vie. Mais face au bilan de son mandat, de quels espoirs est-il porteur pour ceux qui n’ont vu aucune avancée dans leur situation ; voire qui l’ont vue se dégrader ? Face aux déceptions des minorités qui s’expriment au grand jour, la question est posée de savoir pour qui elles voteront. L’un des enjeux de ce scrutin est donc bien de voir s’il se traduira par de nouvelles opportunités de représentation politique pour les partis ethniques et leurs revendications.
55 des 94 partis politiques en
compétition pour ces élections législatives sont des partis ethniques. Si la
plupart d’entre eux n’ont aucune chance d’obtenir le moindre siège, le score des
partis plus importants est un véritable enjeu pour la représentation des
minorités dans les instances parlementaires, tant au niveau des 7 états
ethniques qu’au niveau de l’Union.
En 2020, le scrutin semble présenter plus d’alternatives. A l’option « les militaires ou la LND » viennent s’ajouter d’autres concurrents et les partis ethniques élargissent leur spectre, en se présentant non plus seulement dans les états ethniques mais dans toutes les circonscriptions. Selon U Yan Myo Thein, un analyste politique interrogé par l’Irrawaddy, « si on se base sur le sentiment actuel au sein des minorités ethniques, les partis ethniques peuvent très probablement remporter la majorité dans des parlements étatiques. Ils ont aussi une forte chance de remporter plus de sièges au Parlement de l’Union. Dans ces circonstances, la LND devra forger des alliances avec les partis ethniques si elle ne remporte pas assez de voix pour former un gouvernement [4].»
Si ce scrutin est plus
compétitif, en particulier dans les états ethniques, les partis ethniques sont cependant
confrontés à de nombreux défis. La crise sanitaire sur fond de pandémie de
Covid-19 impacte fortement le déroulement de la campagne électorale. Les restrictions
adoptées par les autorités ont tendance à désavantager les « petits partis »
par rapport aux partis principaux. Dans l’état d’Arakan en proie aux combats,
il est d’autant plus difficile pour les candidats d’aller à la rencontre des
électeurs. Cette situation se retrouve dans d’autres contextes de conflit actif,
notamment dans le nord de l’état Shan.
En raison de ces restrictions et
de la persistance de zones de combats actifs, la participation des électeurs risque
aussi d’être impactée. Transnational Institute (TNI) souligne qu’en raison du
risque accru de Covid-19 et de l’impact des combats en cours, ce scrutin est
encore plus imprévisible. Ce contexte peut considérablement desservir les
partis ethniques. Deux études récentes menées par People’s Association for Credible Elections (PACE) – une
organisation de la société civile qui suit les élections – montrent qu’une faible
participation a tendance à favoriser les partis principaux. Sous cet angle, le maintien
du calendrier des élections sur fond de crise sanitaire ne dessert pas le parti
de gouvernement.
Fait nouveau, plusieurs partis
ethniques ont formé des coalitions dans le but de battre la LND dans les états
ethniques et de remporter la plupart des sièges de leurs états au Parlement de
l’Union pour y défendre leurs revendications d’égalité de droits et d’union
fédérale. Ces coalitions tendent à ne pas se définir sur une base identitaire
et à développer des bases programmatiques. Dans l’état Kachin, une coalition de
six partis Kachin s’est ainsi constituée. Elle demande notamment l’abandon du
projet de barrage controversé de Myitsone. Des partis ethniques constitués en
coalition se préparent aussi à négocier avec la LND dans le cadre d’un éventuel
nouveau rapport de force, bien que la Constitution de 2008 le rende peu
probable.
Dans un rapport récent, Transnational Institute (TNI) souligne que le système institutionnel issu de la Constitution de 2008 acte la sous-représentation des minorités[5]. Dans un pays marqué par l’une des configurations ethnico-politiques les plus complexes au monde, le système en place laisse peu de leviers politiques aux minorités pour promouvoir leurs revendications de réformes démocratiques, de droits et de paix.
A titre d’illustration, le Président désigne les ministres en chef de chaque état et région, même lorsque le parti de gouvernement n’y a pas remporté la majorité des sièges lors des élections législatives[6]. Aucun amendement à la Constitution n’est venu traduire en acte les engagements pour une réforme fédérale des gouvernements qui se sont succédé depuis 2011…
Plusieurs partis ethniques font
valoir que « la Constitution
exacerbe les défis d’une représentation équitable et de l’inclusion politique
des minorités. Le rôle phare dévolu à l’armée ne fait qu’accroître la
représentation politique bamar ; et le système politique accentue la
marginalisation et la fragmentation ethnique ».
***
Extrait du rapport de Transnational Institute (TNI) : « Myanmar: Ethnic Politics and the 2020 General Election »
« Le contexte est délicat. La crise sanitaire de la Covid-19 est venue introduire de nouvelles complexités. Mais de nombreux partis ethniques espèrent encore parvenir à de meilleurs résultats lors du scrutin qui approche. Le risque d’une forte attente en matière de victoire électorale est d’être frappé d’une déception encore plus grande en cas de scores moins bons. Ou, tout aussi dommageable, de ne pas voir une victoire se traduire par des droits politiques et une meilleure représentation… si les partis ethniques réussissent.
Le déni de droits démocratiques est à la base de plus de sept décennies de conflit. Si une nouvelle élection mène à un échec en matière d’inclusion nationale, la confiance sera encore plus érodée. Pour que la paix et la stabilité soient atteints, le système politique doit fournir des moyens permettant à toutes les composantes de la population d’atteindre leurs aspirations à travers des moyens démocratiques, par les urnes.
De grands espoirs sont placés dans les élections en vue d’appuyer une transition pacifique en Birmanie, après des décennies de conflit ethnique et de régime militaire. Cependant, le système électoral actuel n’est pas adapté pour assurer une représentation et une influence politique des minorités du pays. Le système uninominal à un tour et l’attribution d’une majorité de sièges aux régions Bamar du centre se traduit par la domination d’un seul parti politique au service des intérêts du groupe ethnique majoritaire et d’institutions non-représentatives. Cette donnée est peu susceptible de changer après les prochaines élections.
Ce déséquilibre et le manque d’égalité font partie intégrante de l’échec de l’État et de l’instabilité du pays depuis son indépendance en 1948. Au 21e siècle, ils sont encore les plus grands obstacles à la paix nationale et à la mise en place d’une nation qui englobe véritablement sa diversité.
Depuis 2011, on s’éloigne d’un gouvernement militaire et on tend vers un système quasi-civil. Il y a eu une libéralisation générale dans de nombreux aspects de la vie nationale. Les élections générales de 2015 ont été marquées par la victoire de la LND et il faut espérer que le scrutin de 2020 marquera une nouvelle étape vers le changement démocratique.
Cependant, le système politique actuel et l’approche retenue par les dirigeants nationaux sont peu susceptibles de permettre de relever les défis des droits ethniques et de l’inclusion. Il reste à construire un avenir pacifique pour le pays dans lequel toutes les composantes de la population puissent être égales. »
***
Comme en 2015, la LND a décidé de faire cavalier seul pour ces élections, déclinant toute alliance avec des partis ethniques avant le scrutin. Ces alliances devront-elles être scellées après ? En fonction des résultats, c’est une éventualité que certains espèrent. Pour pouvoir porter des revendications d’autonomie, de fédéralisme et d’égalité des droits, mais aussi pour amener la LND à un fonctionnement moins hégémonique.
Union fédérale, auto-détermination et égalité des droits : des mots simples sur le papier, mais en réalité d’une très grande complexité face à la diversité des perceptions de ces notions par les multiples acteurs en présence. Quoiqu’il en soit, le vote des minorités sera assurément sous le feu des projecteurs.
Les communautés continuent de lutter pour la défense de leurs droits et pour leur autonomie dans la gestion de ressources naturelles qui, trop souvent, sont exploitées par l’armée et par des groupes peu soucieux du développement local. Se sentent-elles représentées par les partis ethniques en lice pour les élections législatives de 2020, et pour qui voteront-elles ? L’organisation PACE souligne que la déception qui s’exprime face au mandat de la LND ne se traduira pas forcément par un vote.
Pour les minorités, l’enjeu des déplacements de population et de la situation des déplacés est crucial. En plus des 750 000 réfugiés Rohingya au Bangladesh, il y a près de 300 000 déplacés internes dans l’état d’Arakan et le sud de l’état Chin, plus de 100 000 déplacés dans le Kachin et le nord de l’état Shan, et près de 100 000 Karen et Karenni réfugiés en Thaïlande, ainsi qu’environ 150 000 déplacés le long de la frontière thaïlandaise dans les états Shan, Karen et Kayah. Parmi ces populations, peu sont prises en compte par la Commission électorale de l’Union.
En Birmanie, l’exclusion concerne les minorités ethniques et religieuses dans leur ensemble. Dans les états ethniques, on comptabilise de nombreux citoyens qui ne figurent pas sur les listes électorales. Ainsi, dans l’état Kachin, on estime à environ 150 000 personnes le nombre de birmans privés de vote pour ne pas avoir pu présenter de carte d’identité. Dans les états Karen, Chin et d’Arakan, les citoyens « privés de vote » sont aussi nombreux et des voix se lèvent pour dire que le scrutin à venir ne sera ni représentatif, ni équitable. Si la LND a désigné 2 candidats musulmans, cette initiative non dénuée de calculs politiques ne suffit pas à masquer le fait que les citoyens musulmans sont discriminés dans le pays.
Les Rohingya demeurent privés de citoyenneté et du droit de vote qui l’accompagne. Les recommandations de l’ONU visant à les restaurer dans leurs droits et à cesser les persécutions n’ont pas été mises en œuvre par la Birmanie. Mis en cause pour violations de la Convention de 1948 sur le génocide devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), l’Etat birman n’a pas infléchi sa politique d’apartheid à l’approche des élections, bien au contraire.
La question du vote des citoyens birmans vivant en zone de conflit se pose aussi avec beaucoup d’acuité, en particulier dans les états d’Arakan et dans le nord de l’état Shan. La Commission électorale doit encore préciser au courant de ce mois quels cantons pourraient être privés d’élections au motif de l’insécurité.
En conclusion
Lors des élections partielles de 2018, la LND n’a remporté que 7 sièges sur 13. Face à ce revers, elle a alors concédé qu’elle devait faire plus pour les minorités ethniques. Les résultats des élections législatives générales de 2020 l’amèneront-elle à traduire ces mots en actes ?
A l’approche des élections, la LND s’engage de nouveau à défendre une démocratie fédérale à travers la réforme de la Constitution de 2008 et à améliorer les conditions de vie des populations. Lors de son discours de campagne du 17 septembre, Aung San Suu Kyi s’est prêtée à une critique imagée du pouvoir militaire. Mais elle a aussi mis en avant un besoin primordial de sécurité et de barrières face aux « ennemis de l’extérieur », appelant à l’unité et annonçant la décision du gouvernement de financer la construction d’un mur entre la frontière ouest et le Bangladesh. Elle a aussi insisté sur le défi consistant à défendre la Birmanie sur la scène internationale. Les élans pro-démocratie ont cédé le pas à une autre rhétorique, qui illustre le tournant pris par l’alternative que la LND affirme incarner… dans un contexte qui reste assujetti au pouvoir des militaires garanti par la Constitution.
– « 2020 Elections: Ethnic Minority Representation » : Recording of a seminar held by the Swedish Burma Committee on September 23rd with panelists Ying Lao of the Salween Institute and Ko Sai Ye Kyaw Swar Myint of PACE Myanmar
– REPORT, « HATE SPEECH IGNITED: UNDERSTANDING HATE SPEECH IN MYANMAR », October 8, 2020
[1]
En 2015, les minorités ont, dans
l’ensemble, davantage voté pour la LND que pour les partis ethniques aspirant à
les représenter. En 2015, la LND a remporté 59,4 % des sièges du Parlement de
l’Union et les partis ethniques 8,7 %. Dans les parlements des états ethniques
Chin, Kayah, Kachin, Kayin et Mon, la LND a remporté plus de 50 % des sièges.
La situation est cependant différente dans l’état Shan, où la LND n’a remporté
que 16,2 % des sièges, l’USDP en ayant raflé 23,2 %. Quant à l’état d’Arakan, où
la minorité Rohingya était privée du droit de vote, l’Arakan National Party
(ANP) a remporté 48,9 % des sièges du parlement, la LND n’obtenant que 19,1 %.
[2]
En 2018 et 2019, la Mission d’établissement des
faits de l’ONU – mandatée pour enquêter sur la situation dans les états
d’Arakan, Kachin et Shan à partir de 2011 – a documenté des éléments
génocidaires, des crimes contre l’Humanité et des crimes de guerre à l’encontre
de la minorité Rohingya, des violations systématiques des droits humains à
l’encontre de la population Rakhine, et des crimes contre l’Humanité et des
crimes de guerre dans les états Kachin et Shan. En septembre 2020, l’ONU a fait
état de nouveaux crimes de guerre, voire de crimes contre l’Humanité, commis
par l’armée birmane dans l’Arakan.
[3]
L’armée dispose de 25 % des sièges du Parlement selon
la Constitution, et donc d’un droit de veto sur la réforme de ce texte : il
faut plus 75 % des voix au Parlement pour le modifier. Un système mis en place
par et pour l’armée en 2008 !
[4] Les militaires disposent d’office de 25 % de sièges au Parlement, une donnée de taille pour le calcul de la majorité nécessaire à la mise en place d’un gouvernement…
[6] La Birmanie comprend 21 subdivisions administratives – parmi lesquelles 7 états ethniques et 7 régions – réunies dans le cadre d’un système politique centralisé. Les régions sont majoritairement peuplées de Bamar, mais y vivent aussi des personnes appartenant à des minorités ethniques. Les Bamar représentent environ 70 % de la population.
CP 10 septembre 2020 – Dans un rapport publié aujourd’hui,« Military Ltd : the company financing human rights abuses in Myanmar », Amnesty international expose comment le conglomérat Myanmar Economic Holdings Limited (MEHL) sert à financer les crimes de l’armée birmane. Après avoir détaillé son mode opératoire, l’ONG dévoile sa participation dans les violations des droits humains et les crimes internationaux de la Tatmadaw. L’ONG, qui s’est adressé à 8 entreprises opérant avec le MEHL, interpelle par ailleurs les partenaires d’affaires de celui-ci en leur demandant de mettre fin à une relation qui les met en lien direct avec les crimes commis par l’armée.
La campagne citoyenne « Justice for Myanmar » (JFM), dont le site internet a récemment été bloqué par les autorités[1], a fourni à Amnesty International un document confidentiel qui dévoile la liste des actionnaires de MEHL sur la période 2010-2011, analysé dans ce rapport. Ce document et les données actuelles peuvent désormais être consultés en anglais sur le site internet de JFM : « HOW BUSINESS FINANCES THE CRIMES OF THE MYANMAR MILITARY: MEHL FILES».
Il ressort des données 2019 que le MEHL est détenu par 381 636 actionnaires individuels, qui sont tous des militaires en exercice ou à la retraite, et par 1 803 actionnaires « institutionnels » constitués de commandements régionaux, de divisions, de bataillons de l’armée ou d’associations de vétérans.
Le document datant de 2010-2011 contient des données sur les actionnaires et le montant des dividendes perçus sur la période 1990-2010 : 18 milliards de dollars (USD), desquels le MEHL a transféré environ 16 milliards de dollars (USD) à des unités de l’armée.
La conclusion formulée par JFM est sans appel : « les documents relatifs aux actionnaires de MEHL établissent que toutes les relations commerciales et tous les investissements financent les crimes internationaux de l’armée et alimentent une corruption systémique. Cela doit prendre fin. Toutes les entreprises de l’armée doivent être démantelées et les auteurs des crimes poursuivis. Les entreprises qui continuent de faire des affaires avec l’armée, nationales ou internationales, ne peuvent pas continuer ; elles doivent couper les liens. »