Un communiqué de Karen Peace Support Network (KPSN)
18 janvier 2021 – Le Karen Peace
Support Network (KPSN) condamne l’intensification des attaques d’artillerie menées
par l’armée birmane dans les districts de Mutraw (Papun) et Kler Lwe Htoo
(Nyaunglebin) au nord de l’État de Karen, qui ont déplacé plus de 3700
villageois et tué un chef de village le 12 janvier.
Le 15 janvier, le bataillon d’infanterie
LIB 339 de l’armée birmane a tiré des mortiers lourds à Mae Wai, entraînant de
graves blessures à la tête pour un garçon de onze ans.
Ces attaques, visant sans discrimination
des civils, constituent des crimes de guerre. L’obstruction de l’accès à l’aide
humanitaire pour les personnes déplacées est également une violation du droit
international humanitaire.
La communauté internationale, y compris
le Conseil de sécurité des Nations Unies, a la responsabilité de faire
respecter le droit international et manque à ses responsabilités.
Le KPSN exige que l’armée birmane mette
immédiatement fin à ces attaques et retire les troupes de ces zones afin que
les villageois puissent rentrer chez eux.
Les donateurs internationaux du «processus
de paix», y compris le Fonds commun pour la paix, devraient suspendre le
financement du processus jusqu’à ce que l’armée birmane cesse de violer les
termes de l’Accord national de cessez-le-feu (NCA).
Depuis début décembre 2020, cinq
bataillons de l’armée birmane ont tiré des obus autour de leurs bases dans les
cantons de Luthaw et Dweh Lo à Mutraw (brigade KNU 5), faisant fuir 3176 villageois
de douze villages, contraints de se cacher dans la jungle environnante.
Beaucoup de ces villageois ont été
déplacés de la même manière l’année dernière par les bombardements de l’armée
birmane lors d’une violente offensive visant à franchir une route stratégique
vers le nord de Mutraw.
Des milliers de villageois de Kler Lwee
Htu et Mutraw ont publiquement protesté contre ces attaques, en particulier le
6 janvier 2021 à Mu Traw, appelant l’armée birmane à arrêter la construction de
routes et à supprimer les postes militaires de leur région.
Le 11 janvier 2021, l’armée birmane IB
57 a commencé à bombarder autour du village de Ta Kaw Der, dans le canton de
Ler Doh, Kler Lwe Htoo (Brigade KNU 3), à l’ouest de Mutraw, déplaçant 588
villageois supplémentaires et provoquant la fermeture des écoles communautaires
de la région.
Il s’agit du premier déplacement dans
cette zone depuis le début du processus de paix en 2012.
Les villageois déplacés font face à des
difficultés extrêmes, mais les groupes communautaires locaux ont été empêchés
d’y accéder par l’armée birmane.
Aucune déclaration des donateurs du
«processus de paix» n’a appelé à la fin de ces attaques et à l’accès humanitaire
pour ceux qui ont été déplacés.
Le 12 janvier, des soldats de l’armée
birmane LIB 404, sous le 8ème commandement des opérations militaires,
ont tiré des obus depuis leur base sur les champs autour du village de Ter Nay
Taw, dans le village de Mae Cho, dans la commune de Dweh Lo à Mutraw.
Un obus de 60 mm a touché et tué Saw Maw Tha Hser, 35 ans, le chef du village de Ter Nay Taw, qui cultivait son champ. Il est le père de six enfants.
Le KPSN condamne fermement cette agression non provoquée menée par l’armée birmane, qui ignore de manière flagrante l’Accord de cessez-le-feu à l’échelle nationale signé par le KNU, ainsi que son propre cessez-le-feu unilatéral à l’échelle du pays déclaré pendant la crise du Covid-19.
Le KPSN appelle de toute urgence l’armée
birmane à mettre immédiatement fin à ces attaques et à retirer ses troupes des
territoires karen, afin que des négociations de paix inclusives puissent
commencer.
Le KPSN exhorte également les donateurs
internationaux à suspendre tout financement du «processus de paix» jusqu’à ce
que l’armée birmane mette fin à ses attaques dans tout le pays et commence à
retirer ses troupes des zones ethniques contestées.
Cet opérateur de téléphonie mobile n’a rien de civil, comme l’illustre le rapport. Dans le prolongement du rapport de la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur les intérêts économiques de l’armée birmane, il révèle à quel point la Tatmadaw gangrène ce secteur de l’économie et en tire profit au service de ses crimes, avec tout un réseau d’entreprises birmanes et étrangères en toile de fond.
Pour Sophie Brondel d’Info Birmanie « le contenu de ce rapport tend à indiquer que la position française qui se cantonne à proscrire les liens commerciaux directs – avec des entreprises contrôlées ou détenues par l’armée birmane – ne permet pas d’appréhender la réalité du contexte birman dans toute sa dimension, même si elle constitue une première exigence à respecter scrupuleusement.»
L’enquête de JFM contient une liste d’entreprises étrangères, notamment françaises, visées pour leurs liens avec Mytel et Viettel, son principal actionnaire détenu par le Ministère de la défense vietnamien. ArianeSpace et Digital Virgo comptent parmi les entreprises françaises citées.
ArianeSpace et le lancement d’un satellite à haut risque
JFM révèle que l’industrie de la communication par satellite implique de grandes entreprises susceptibles de contribuer directement aux crimes internationaux de l’armée birmane, à la fois directement et via Mytel[2]. Dans le cadre de la transition vers une « démocratie disciplinée », l’accès de l’armée birmane aux satellites s’est accru. Cette évolution a été appuyée par l’émergence d’une industrie nationale – Satcom – dans le contexte du mouvement de réforme des télécommunications.
JFM
fait valoir que l’armée birmane a obtenu
l’accès à des technologies satellitaires par le biais du Comité de suivi des
satellites de l’Etat birman (State
Satellite Oversight Committee) mis en place par le gouvernement LND. Ce
comité est présidé par un militaire nommé et comprend aussi les Ministres de la
défense et des affaires intérieures, qui sont également des militaires.
Digital Virgo et
Viettel
Parmi les entreprises françaises citées, figure également Digital Virgo[4]. En mai 2020, ce fournisseur de technologie de paiement mobile a annoncé un contrat avec Viettel Global pour appuyer le système de facturation directe de l’opérateur pour les filiales de Viettel, y compris en Birmanie. La campagne JFM ne sait pas si Mytel a déjà intégré la technologie de Digital Virgo dans son système de facturation. Elle demande à Digital Virgo de se retirer de son contrat avec Viettel et de s’assurer que l’armée birmane n’accède pas à sa technologie de paiement.
Pour Yadanar Maung de JFM, «l’implication d’ArianeSpace dans le programme satellite du Myanmar et la fourniture de logiciels financiers par Digital Virgo à Viettel et Mytel comportent un haut risque d’implication dans les graves violations des droits humains de l’armée birmane et violent leurs obligations en vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme. Ces contrats montrent un manque choquant de diligence raisonnable en matière de droits humains et peuvent entraîner un préjudice supplémentaire pour le peuple du Myanmar, qui souffre d’une armée qui enfreint régulièrement le droit international. Justice For Myanmar appelle toutes les entreprises à mettre fin à leurs relations avec Viettel, Mytel et toute autre entité détenue par l’armée birmane et leurs partenaires. Nous appelons la France à enquêter sur le rôle des entreprises relevant de sa juridiction dans les violations internationales des droits de l’Homme au Myanmar. «
***
Mytel, déjà épinglée par les enquêteurs de l’ONU, suscite de nombreuses préoccupations relatives aux droits humains. D’un côté, l’armée birmane met la sécurité nationale en danger en donnant à des entités de l’armée vietnamienne un accès à des infrastructures civiles et militaires et aux données personnelles, recueillies à une large échelle à travers Mytel. De l’autre, les profits générés par les parts du gouvernement dans Mytel sont détournés au profit de l’armée, dont les crimes sont rendus possibles tant par les revenus hors-budget générés par Mytel que par son accès aux technologies et services de Mytel et des entreprises qui lui sont liées.
La libéralisation du secteur des télécommunications appuyée par la Banque Mondiale a accouché d’un monstre : Mytel, « produit d’une transition démocratique corrompue, gérée par l’armée birmane afin de sauvegarder son pouvoir, ses privilèges et son impunité.»
Alors que les birmans ont très massivement rejeté les militaires et leurs affiliés dans les urnes lors des élections législatives du 8 novembre, JFM demande aux birmans de boycotter Mytel et à toutes les entreprises en lien avec Mytel et Viettel de couper les ponts. Jusqu’à ce que l’armée birmane soit placée sous contrôle civil, « désinvestie » de l’économie et rende compte de ses crimes.
[1] Si Mytel a été créée en 2018 par le gouvernement civil, qui en détient 28 % des parts, celles-ci sont gérées à travers Star High Co. Ltd., une entité privée qui n’est autre qu’une filiale du conglomérat militaire Myanmar Economic Corporation(MEC). Le plus gros actionnaire de Mytel est le Military Industry and Telecoms Group (Viettel), détenu par le Ministère de la défense vietnamien.
[3] Page 62 du rapport: ArianeSpace est une filiale d’ArianeGroup, une joint-venture française
entre Airbus et Safran SA.
[4] Page 95 du rapport: Domiciliée en France, Digital Virgo appartient à BNP
Paribas et à la société de capital-investissement Sofival, toutes deux
domiciliées en France, et à Ioda SA, domiciliée au Luxembourg.
CP 8 décembre 2020 – La campagne citoyenneJustice for Myanmar (JFM) publie aujourd’hui des documents relatifs à un projet d’achat d’Airbus par l’armée birmane, censé avoir lieu d’ici/le 30 décembre 2020. Il concerne 2 Airbus CASA C-295s[1] de la Royal Jordanian Air Force pour la somme de 38,6 millions de dollars USD.
JFM demande à la Jordanie de ne pas procéder à cette vente
qui, selon sa source, est en cours[2].
Si cet achat devait avoir lieu, toute implication de la société Airbus dans la maintenance
de suivi et la délivrance de formations certifiées au bénéfice de l’armée
birmane serait susceptible d’enfreindre le régime de sanctions de l’Union
Européenne en vigueur.
Or, le projet d’achat relatif à cet appareil de transport
tactique inclut, selon les documents dévoilés, la formation de 8 pilotes et de
4 mécaniciens « au sein des
installations de formation militaire d’Airbus CASA, basé à Séville en Espagne
(ou) d’une centre de formation adapté en un autre lieu (ou) chez le client en
Birmanie ». La société privée impliquée dans la transaction est Aero
Sofi Co. Ltd, basée au Novotel de Yangon et dirigée par l’ancien PDG de Air
Mandalay, Sai Kham Park Hpa. Elle s’engage à fournir une assistance
complémentaire dans la formation technique de l’équipage en fonction de ses
besoins, tandis que la proposition mentionne que « tous les services de maintenance après-vente et de pièces
détachées seront fournis de tout temps selon les lignes directrices de
Airbus-CASA-OEM ».
Dans le cadre de la publication de ces informations, Info Birmanie interpelle Airbus. La Birmanie fait l’objet d’un embargo sur les armes de l’Union Européenne, étendu en avril 2018 aux « biens à double usage » pour couvrir les produits et technologies qui peuvent être utilisés tant à des fins civiles que militaires[3]. Le rappel de cet embargo et de sa portée est d’autant plus important que, selon nos sources, une délégation d’Airbus Helicopters s’est rendue en Birmanie à l’automne 2019 pour prospecter sur le marché birman.
Il convient par ailleurs de s’assurer qu’Airbus met tout en
œuvre pour s’assurer du respect de ses obligations en matière de « diligence
raisonnable » dans le cadre des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux
entreprises et aux droits de l’Homme[4].
Yadana Maung de JFM
déclare : « Si l’achat des
C-295 se poursuit, ils seront probablement utilisés pour transporter des
troupes dans des zones ethniques, soutenant les crimes internationaux de
l’armée. Nous appelons le gouvernement jordanien à s’abstenir de vendre des
armes à l’armée birmane, y compris des avions C-295… Airbus et ses partenaires
doivent mettre fin à tous les liens directs et indirects avec l’armée birmane,
y compris la formation et le soutien technique ».
Selon les documents rendus publics par JFM, l’armée a également signé un contrat en 2019 pour le réaménagement luxueux d’un Airbus A 319-112, préalablement utilisé par Myanmar Airways International, une compagnie aérienne détenue par les groupes KBZ[5] et 24 Hours . La société Aero Sofi est également impliquée dans cette transaction de plus de 4,8 millions de dollars US, dont le statut ne peut être confirmé par JFM. Tout service après-vente incluant Airbus serait susceptible d’enfreindre l’embargo sur les armes de l’UE. Comme le souligne JFM, la propriété de cet Airbus de KBZ par l’armée soulève aussi des inquiétudes sur la « diligence raisonnable » d’Airbus en matière de droits humains et des parties tierces à la vente.
Airbus doit s’engager à respecter l’embargo en vigueur au sein de l’Union Européenne et a un rôle important à jouer pour bloquer le projet de vente documenté des 2 Airbus CASA C-295s de la Royal Jordanian Air Force en refusant de fournir la moindre assistance ou formation – qu’elle qu’en soit la forme – sur ses appareils au profit d’une armée mise en cause pour les crimes les plus graves en droit international.
[1] Selon
le site d’Airbus, le C-295 est « entièrement certifié et fonctionne
régulièrement jour et nuit dans des missions de combat dans
toutes les conditions météorologiques extrêmes ».
[2]JFM mentionne par ailleurs que les documents ont été fournis au Projet de signalement de la criminalité organisée et de la corruption (OCCRP), un consortium international de journalistes d’investigation qui a révélé des lacunes dans la réglementation des sanctions de l’UE. L’OCCRP a pu confirmer auprès d’une source jordanienne proche de l’accord en cause que la Jordanie vend les avions, bien que la source ne sache pas à quel pays ils sont vendus. L’OCCRP consacre un article à ce sujet. JFM publie également d’autres documents budgétairesdu Ministère de la défense, dans lesquels les technologies d’Alcatel sont identifiées dans les demandes de budget, destinées aux communications militaires.
[4] Ces principes directeurs ont été approuvés par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU dans sa résolution 17/4 du 16 juin 2011.
[5] Selon les enquêteurs de la Mission d’établissement des faits de l’ONU, KBZ doit faire l’objet d’une enquête pour sa contribution directe et substantielle à la commission de crimes contre l’Humanité : le groupe KBZ opère des mines de jades et de rubis avec la Myanmar Economic Holdings Limited (MEHL), conglomérat de l’armée, et a fait don de près de 2,5 millions de USD à l’armée en 2017 durant sa campagne contre les Rohingya.
Thinzar Shunlei Yi est une voix montante de la société civile en Birmanie. Très impliquée dans la défense des droits humains depuis son plus jeune âge, elle veut faire entendre les voix de la jeunesse dans son pays et milite pour sa participation dans la vie publique. Elle anime l’émission «Under 30 dialogue » à la télévision, dédiée à la jeunesse. Elle promeut aussi le dialogue entre toutes les communautés, combat l’intolérance et l’extrémisme. Son engagement pour les droits humains lui a valu l’attribution de plusieurs prix, parmi lesquels le « Women of the Future Southeast Award 2019 ».
1/ Pour la plupart des
observateurs au cours de ces derniers mois, la Ligue Nationale pour la Démocratie
(LND) allait probablement remporter le scrutin, mais avec une majorité réduite
par rapport à sa victoire de 2015. Les résultats officiels des élections
législatives de dimanche ne sont pas encore publics, mais on parle d’une nouvelle
victoire écrasante de la LND, qui pourrait même dépasser son score de 2015.
Comment expliquez-vous ce résultat ?
L’organisation des élections en pleine crise sanitaire nous a fait craindre une plus faible participation. La Birmanie est aussi en proie à la guerre, en particulier dans l’état Rakhine et dans le nord de l’état Shan : cela allait mener à de nombreuses privations du droit de vote. Nous avons interpellé les autorités à ce sujet, mais au final la Commission électorale a décidé de maintenir le scrutin au 8 novembre. En réalité, le jour du scrutin, beaucoup d’électeurs sont allés voter, avec une victoire écrasante du parti au pouvoir. La société civile elle-même a été étonnée de ce résultat. PACE, une organisation de suivi des élections, annonçait dans une étude un taux de participation de 45 %… Il y a plusieurs facteurs d’explication. On ne connaît pas encore le taux de participation. Il sera sans doute moins important qu’en 2015 (69 %), mais il est élevé au vu du contexte. Le facteur clé, à mon sens, ce sont les remarques du commandant en chef de l’armée à quelques jours du scrutin. Il a critiqué le processus électoral, la Commission électorale, et affirmé que le gouvernement devrait rendre des comptes de la mauvaise gestion de celle-ci. En parallèle, Aung San Suu Kyi a très ouvertement répondu à l’armée. Au sein de la population, cela est apparu comme une interférence de l’armée dans le processus démocratique, ce dont elle ne veut pas. Il y a aussi eu une explosion dans un bureau de vote au niveau de Bago. Cela a incité les gens à aller voter contre ces menaces. Il y a aussi eu l’apparition de Wirathu, ce moine extrémiste, à quelques jours du scrutin, appelant les ultranationalistes à descendre dans la rue. Cela est venu rappeler que nous sommes toujours sous le joug de l’armée, qui garde 25 % des sièges au Parlement, et qu’il fallait garantir le maintien de la LND au pouvoir. La question reste posée : Pourquoi cette joute avec la LND, qui a répondu aux militaires alors que d’habitude elle ne le fait pas ? C’est curieux pour les analystes et une interprétation réside dans l’alignement de ces deux acteurs politiques plutôt que dans leur opposition.
2/ La marginalisation des minorités ethniques a augmenté dans le cadre de ce scrutin, notamment avec l’annulation des élections pour plus de 1 500 000 électeurs issus de ces minorités (sans parler des Rohingya privés de citoyenneté). Qu’en est-il de leur représentation politique au vu des premiers résultats ?
La place des candidats des partis ethniques est faible, que ce soit en 2010, en 2015 ou en 2020. La Shan Nationalities League for Democracy (SNLD) dans l’état Shan et les partis politiques dans l’état Rakhine remportent des voix, notamment, mais les résultats ne sont pas ceux qui étaient projetés. Deux candidats musulmans de la LND ont été élus, donc nous ne pouvons plus dire que le Parlement ne compte aucun musulman. Mais en parallèle les Rohingya demeurent exclus et des candidats musulmans se définissant comme Rohingya ont été empêchés de se présenter. Il y a aussi eu la censure des partis ethniques dans les médias d’Etats. Ces partis ne se présentent pas avec les mêmes moyens. Des études montrent que même si les partis ethniques gagnaient tous les sièges pour lesquels ils sont candidats, cela ne représenterait que 20 % des sièges en compétition. Leur représentation politique en 2020 sera encore faible. Il n’y a pas de forte opposition. Or nous voulons une démocratie multipartite, pas un parti monolithique. Cela n’arrive pas encore.
3/ Qu’en est-il de la participation et de la représentation politique des jeunes et des femmes ?
Les femmes représentaient 13 % des parlementaires en 2015,
plus qu’en 2010. On en attend plus cette année, mais nous n’avons pas encore
les résultats. Certaines femmes candidates de partis ethniques ont été élues.
Quant aux jeunes, 8 % des parlementaires avaient moins de 35 ans en 2015 alors
que la jeunesse représente 50 % de la population. C’est un faible pourcentage
et il va le rester, même s’il devrait augmenter un peu cette année. La question
des jeunes et des femmes est un thème populaire, appuyé par la communauté internationale
et par les bailleurs, qui poussent à les inclure davantage. Nous appuyons la participation
des jeunes au niveau de tous les processus, notamment de paix. Mais la jeunesse
n’est pas encore prise assez au sérieux.
4/ L’Union Européenne a
d’ores et déjà salué la forte participation et un vote paisible lors du scrutin
du 8 novembre. Elle aussi souligné les limitations liées à la Constitution de 2008
et appelé à l’inclusion de toutes les minorités, y compris les Rohingya, à la
garantie des droits civils et politiques pour tous, et à la refonte du système
électoral. Que vous inspire cette déclaration, alors que la communauté
internationale n’a pas émis de pré-conditions avant la tenue des
élections?
Pourquoi maintenant, en effet c’est la question que l’on se pose. Ces prises de position n’ont été adoptées qu’en privé, elles auraient dû être publiques avant le scrutin. On apprécie ce rappel sur la Constitution de 2008 et sur le système électoral, c’est ce qu’on a appuyé. Nous luttons contre ce cadre. Mais cette déclaration vient sur le tard, le mal a été fait. Je participe à la campagne « no vote », qui n’a rien d’officiel. Je ne pouvais pas faire valoir mon droit de vote dimanche, je me sentais coupable par rapport aux minorités exclues du scrutin, privées de voix. Les Rakhine, les Rohingya, les autres minorités… personne ne prend en compte leurs voix. Ils se sentent très mal. La communauté internationale doit s’assurer que ces atteintes seront réparées. Les Rakhine se sentent ignorés et laissés pour compte. Qu’allons-nous faire ?
5/ L’engagement de la
communauté internationale avec le gouvernement LND va-t-il continuer sur le
même mode, alors que le bilan est fait de lois et de politiques
répressives ?
J’espère voir un changement. Nous apprécions le soutien de la communauté internationale pour la démocratie depuis la fin de la junte, la libération d’Aung San Suu Kyi… mais on a testé la Constitution de 2008 depuis plus de 10 ans. Il faut que nous voyions quelles sont les opportunités dans ce cadre ou que nous prenions acte qu’il s’agit d’une illusion dès lors que nous voulons aller vers une démocratie fédérale. C’est le moment de se pencher sur cette question. J’ai soutenu le processus électoral, mais quelque chose ne fonctionne pas. Je crains un système à parti unique et une répétition des souffrances. Je ne veux pas que cela arrive : un parti majoritaire qui remporte tout et une répétition du même cycle que nous avons connu, de la même souffrance. L’armée tire avantage de la Constitution de 2008 et la LND aussi, en même temps, en ne la réformant pas ou en ne réformant pas les lois répressives : les minorités sont toujours opprimées et ce n’est pas ce que nous voulons. Ce n’est pas une base sécurisante pour tous. La communauté internationale connaît ce terrain, maintenant la question posée est : quels sont les critères définis pour le pays et pour évaluer les progrès ? Un progrès pour les droits et les libertés de base.
6/ A la veille de
l’élection, Aung San Suu Kyi s’est engagée à renforcer la démocratie, mais sous
les 5 ans de la LND la liberté d’expression a subi de très fortes atteintes et
des lois répressives ont été appliquées au lieu d’être réformées par le Parlement,
notamment… Quelles sont les réformes à mettre en œuvre pour que cette parole devienne
réalité ?
Nous avons soulevé plusieurs de ces priorités au gouvernement,
en vain. Nous avons aussi été exclus du processus parlementaire. Les
représentants de la société civile devaient montrer leurs cartes
d’enregistrement pour accéder à un rendez-vous officiel avec un parlementaire,
ce qui nous a amené à multiplier les réunions informelles. Les organisations de
la société civile ne sont pas prises au sérieux, l’engagement pour les droits
humains est faible. Je ne suis pas optimiste pour les prochaines années, nous
avons assez entendu d’excuses. J’ai notamment milité pour la réforme de la
Commission nationale des droits de l’Homme. Nous avons obtenu un rendez-vous
officiel par le biais d’une organisation accréditée, mais aucune de nos
propositions n’a été retenue. Le contexte est déprimant. Les lois qui
criminalisent la diffamation doivent être réformées, beaucoup de personnes sont
poursuivies devant les tribunaux et ne peuvent pas se défendre en prouvant leur
innocence. Aucun effort n’a été fait sur la liberté d’expression, nous avons
soumis des propositions de réforme, toutes ont été rejetées. Personnellement,
je vais me consacrer au développement local et aux élections locales qui vont
avoir lieu dans quelques mois. Elles sont négligées localement et par la
communauté internationale. Le parti au pouvoir l’emporte et les modalités de
vote sont d’un autre âge : un représentant par foyer, le père de famille
en général. Je ne peux donc pas voter à ces élections. Nous voulons un
processus démocratique à tous les niveaux. Je veux aussi plaider pour la
libération de tous les prisonniers politiques. La Birmanie en compte près de 600,
certains sont en prison. Nous devons plaider pour leur libération, ils ne
doivent pas être oubliés.
7/ La tenue d’élections
législatives partielles dans les plus de 56 cantons où le scrutin a été annulé
par la Commission électorale est aussi un enjeu, évoqué par l’Union Européenne.
Quelles sont les perspectives, compte tenu de la persistance des combats ?
C’est un point important pour l’inclusion et la représentation politique au niveau des états. Veulent-ils encourager les Rakhine à être du côté de la solution militaire ou de l’issue politique ? C’est la décision des responsables au niveau de l’Etat. La jeunesse Rakhine est forcée vers une certaine direction, alors qu’ils veulent faire partie de l’Union, prendre part à l’option politique, participer aux élections. Mais ils sont discriminés dans le cadre des mesures mises en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19, stigmatisés à cause de l’Arakan Army (AA), prêts à rejoindre l’AA… On devrait leur offrir des alternatives, les droits dont on bénéfice quand on est à Yangon, Mandalay ou Naypyidaw. Les organisations de la société civile qui travaillent sur les élections vont appuyer la tenue d’élections partielles là où le scrutin a été annulé. Je vais de mon côté me focaliser sur les droits de base, la situation des prisonniers politiques. J’ai été poursuivie, mais je n’ai pas été placée en détention. Je me sens solidaire, je ressens leur souffrance.
8/ L’historien Thant Myint-U déclare au sujet de ces élections : « la majorité Bamar a très massivement voté pour Aung San Suu Kyi parce qu’elle lie l’élection à l’histoire de son combat contre le règne militaire et pense que cette histoire n’est pas encore terminée. » Qu’en pensez-vous ?
En effet, cette histoire tourne et ne cesse de tourner. Pour être honnête, en 2010, je défendais la cause de la LND au sein d’une famille qui ne l’appréciait pas à cause de toute la propagande ambiante. J’ai fini par les convaincre. En 2020, je ne soutiens plus la LND, mais ma famille continue de soutenir ce parti ! La jeunesse est en avance sur son temps en termes d’idéologie et de pensée. Cette histoire créée il y a 20 ans par la communauté internationale et les médias continue et va encore durer 10 ans. En Birmanie, le respect dû aux femmes âgées joue aussi, tout contribue à ce soutien, jusqu’au sacrifice d’Aung San Suu Kyi pour son pays. Cela va continuer. Mais cela va au-delà du soutien à la LND. Il y a la volonté de voir l’armée et ses affiliés perdre. Même si certains ne soutiennent plus la LND, ils continuent de voter LND comme une revanche sur l’armée.
9/ L’USDP (Union Solidarity and
development Party), le parti allié aux militaires, va vers un score encore plus
bas qu’en 2015 ?
Oui, il perd plus que jamais, mais il ne représentait pas une
forte opposition et il ne devrait d’ailleurs pas être une opposition. En réalité,
il n’y a pas d’opposition et le monde doit le savoir. La LND, sans opposition,
risque d’incarner un régime autoritaire centré sur les Bamar. Nous avons besoin
d’une opposition forte. Ce à quoi nous assistons n’est pas un bon signe.
10 / Un universitaire australien, Lee Morgenbesser, qualifie la Birmanie de démocratie autoritaire, un régime dans lequel les élections ont lieu mais où les citoyens sont privés de droits politiques fondamentaux et de libertés publiques. Que vous évoquent ces mots ?
J’approuve ce constat. La démocratie ce n’est pas que l’élection, mais le processus électoral, la transparence, l’inclusion, la participation politique etc… Nous n’avons pas encore assez d’éducation sur la démocratie et les droits humains. Cela va prendre du temps pour que les gens comprennent comment cela fonctionne. La population pense que la politique ce sont les élections et que les élections c’est la démocratie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ceux qui se réclament du « no vote » sont critiqués. Mais l’élection ce n’est qu’un des aspects du système démocratique.
Au matin du 8 novembre, à Rangoun, le soleil se lève sur une journée électorale qui s’annonce chaude. Malgré la mise en place de mesures sanitaires contre le Covid 19, et la victoire annoncée sans surprise du parti au pouvoir, la Ligue Nationale pour la Démocratie, les habitants se sont déplacés en nombre pour aller voter. La tension de ces dernières semaines autour de soupçons de fraude et d’accusations à l’encontre de la Commission Electorale Nationale s’est très peu ressentie, le sentiment d’accomplissement du devoir citoyen l’ayant emporté.
Alors que les bureaux de vote ouvrent leurs portes à 6h du matin, les rues sont vides, et toute trace de la campagne a disparu. Depuis le « Silent Day » d’hier, les habitants et les partis n’ont plus le droit d’afficher de signes d’appartenance politique. Les nombreux drapeaux et t-shirt visibles dans toute la ville, majoritairement colorés du rouge de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), ont été enlevés jusqu’aux balcons des sympathisants.
Devant l’entrée d’un bureau de vote du quartier de Pabedan, dans le centre historique, Daw Moh Moh, 56 ans, réajuste son masque et sa visière transparente. Elle n’en est plus à son premier vote, mais elle a longuement hésité à se déplacer cette année. « J’ai très peur du Covid 19 », nous explique-t-elle.
Alors que le nombre de cas frôle les 62 000, le gouvernement a relâché ses mesures de confinement et de distanciation sociale depuis quelques semaines, poussé par la précarité économique croissante d’une partie de sa population. Même si, en théorie, il nous est toujours interdit de quitter notre domicile ou de sortir du quartier, l’activité a repris presque à la normale, les habitants se déplacent en transports en commun, et les employés reviennent au travail petit à petit.
En revanche, devant les bureaux de vote, démultipliés afin d’éviter la formation de queue interminable en temps de pandémie, les consignes sont strictes. Au sol, des croix entourées d’un cercle, situées tous les un mètre 80, marquent l’emplacement des électeurs qui attendent leur tour. Un employé du bureau parcourt la file d’attente pour distribuer des visières en plastique, et parfois des masques. A quelques mètres de l’entrée, un policier braque son thermomètre sur le front des nouveaux arrivants, et un autre dispense du gel hydro-alcoolique dans la foulée. Cette machine bien huilée ne manque personne. Les larges panneaux expliquant les règles à respecter pour éviter la contamination sont placardés à l’entrée.
Dans le quartier de Pabedan, une jeune femme et son père feuillettent les listes électorales à l’entrée d’un bureau de vote. Mais une minute plus tard, ils tournent les talons et rentrent chez eux, dans l’immeuble d’en face. « Une erreur d’enregistrement sur la liste électorale », me glisse Ei Ei Min Thein, ma collègue.
Même si la Commission Electorale Nationale a affiché les listes électorales dans chaque quartier, beaucoup de birmans n’ont pas pu, ou pas su, corriger leurs coordonnées à temps pour pouvoir voter. Restrictions de déplacement en temps de Covid 19, incompréhension du fonctionnement du système, désintérêt pour la politique face aux contraintes de la vie quotidienne après des mois de ralentissement économique : certains partis, comme le Mon Unity Party, s’estiment chanceux si la moitié de leurs électeurs arrivent à voter. Saw Clever Shine, 25 ans, raconte que même après avoir corrigé son nom sur la liste, il a retrouvé la même erreur sur la carte d’électeur délivrée par le responsable de son quartier. Même si seule la carte d’identité est obligatoire pour voter, il s’y est pris à temps pour pouvoir modifier sa carte d’électeur, au cas où.
« Je suis heureux de savoir que je peux voter librement pour un parti qui a une vraie chance, démocratiquement, de gagner », explique-t-il. Il a rejoint la file d’attente du bureau de vote près de chez lui, dans le quartier de Mayangone, dès 8h30. Il lui faudra une heure et demi pour en ressortir, fier de son acte citoyen. « C’était un peu la galère, parce que toutes les listes sont sur papier, et pas dans l’ordre alphabétique. Ils laissent entrer les gens irrégulièrement, ce qui créé des bouchons. A part ça, tout est bon, j’ai pu voter ! » sourit-il en montrant son annulaire gauche, dont le bout est recouvert d’encre violette, l’équivalent du « a voté » français.
Malgré ces difficultés, U Htin Kyaw, représentant de la Commission Electorale du bureau où Saw Clever Shine vient de déposer son vote, assure que tout est fait pour que ceux qui sont correctement enregistrés puissent voter en toute quiétude. « Je ne pense pas qu’il puisse y avoir de fraude, parce que tout est sécurisé », raconte-t-il sans plus de précisions. « On entend plein de choses en ce moment, comme quoi certaines urnes électorales sont mouillées [et donc inutilisables], ou comportent de faux tampons », nous racontait Daw Moh Moh un peu plus tôt ce matin, en haussant les épaules. « Je veux juste que cette élection se passe bien, et soit juste et équitable. »
A l’entrée d’un bureau de vote du quartier de Dagon, la longue file d’attente se réparti en grappes à l’intérieur des quelques taches d’ombre disponibles le long des arbres. Le soleil de midi tient les électeurs bien plus à l’écart les uns des autres que ne le fait la peur du Covid 19. A ce moment, Ei Ei Min Thein me tape sur l’épaule en me montrant son fil d’actualité Facebook sur son téléphone. Nombre de ses amis commentent des photos d’électeurs à Nay Pyi Taw, faisant la queue dans des centres commerciaux luxuriants, assis sur une chaise. Il s’agirait apparemment de bureaux de vote recevant les familles les plus aisées de la capitale, et les utilisateurs de Facebook commentent furieusement. « ça fait un mini-buzz sur Facebook », m’explique-t-elle. « D’après eux, ils font la queue sous la climatisation, alors que les familles les plus pauvres de la ville n’ont pas de bureau de vote aussi confortable ».
Thet*, 19 ans, et Moe Thu, 25 ans, font la queue depuis quelques minutes devant ce bureau, situé à cent mètres de la pagode Shwedagon. Ils nous expliquent que ce bureau de vote, installé dans un « dharmayon », un centre de prière bouddhiste, est voisin d’une caserne militaire, et accueille aujourd’hui principalement les familles des soldats. L’annonce par le gouvernement, quelques semaines avant les élections, que les membres de la Tatmadaw et leurs familles devront désormais voter à l’extérieur de leur baraquement en a surpris plus d’un. Cette volonté de faire preuve de transparence a cependant rencontré ses limites lorsque les quelques soldats rencontrés près du bureau n’ont pas souhaité partager leur expérience électorale. « Nous ne sommes pas autorisés à nous exprimer », explique l’un d’eux, avant de cacher son visage devant l’objectif de l’appareil photo.
Moe Thu, fils de militaire, est cependant content de voir que les membres de la Tatmadaw ne votent plus cachés aux yeux du grand public. « Il y a cinq ans, je suis allé voter avec ma famille dans notre baraquement. Aujourd’hui, on est enfin libres de voter pour qui on veut, il n’y a plus de contrôles ».
Alors que nous voyons arriver de plus en plus de plateaux repas destinés aux bénévoles du bureau de vote, plusieurs électeurs consultent leur téléphone et sourient. Sur Facebook, de nombreux restaurants et services de livraison proposent des promotions sur présentation de l’annulaire teinté d’encre. « C’est une bonne idée pour aller manger un morceau après avoir voté », me glisse ma collègue.
Au cœur des revendications des électeurs interrogés, l’éducation remporte la majorité des suffrages, comme l’explique Daw Moh Moh, 56 ans : « On espère beaucoup du prochain gouvernement, surtout pour la génération de nos enfants, car leur éducation est primordiale ». Thet*, encore étudiant, approuve : « Le gouvernement doit faire des changements encore plus visibles dans le domaine éducatif ». « La situation actuelle de mon pays me convient bien, donc je voudrais que cela continue », explique Moon shine, 27 ans, employée de banque. « Mais je veux que le gouvernement fasse en sorte que l’éducation ouvre des opportunités de travail à l’étranger », conclut-elle.
A Sanchaung, l’un des bastions historiques de la LND, le bruit d’un hautparleur attire notre attention vers le bureau de vote d’une petite rue ombragée. Un membre du bureau porte l’instrument à sa bouche : « Veuillez choisir la file d’attente en fonction de votre circonscription, d’après votre adresse de domicile ! Si vous avez oublié votre carte d’identité, rentrez chez vous la récupérer ! ». Malgré les trois circonscriptions que rassemble ce bureau, l’organisation semble bien en place. Il est déjà 14h30, et les files d’attente diminuent rapidement. On nous tape sur l’épaule. « Je veux bien être interrogé », nous dit un homme du nom d’U Thant Zaw. Cet employé de 49 ans nous explique que quels que soient les résultats, il faudra les accepter : « Puisque notre pays est bouddhiste, je vais voter pour un parti qui protègera la religion. Je suis venu voter parce que je veux que l’élection soit juste. Le peuple veut connaître les vrais résultats, sans triche ».
We Media, l’un des sites d’information les plus suivis par les birmans, publie tout au long de la journée les dernières actualités sur sa page Facebook. Parmi elles, une photographie retient notre attention : plusieurs personnes y montrent leur annulaire gauche, et là où devrait se trouver l’encre violette du vote, on peut lire « no vote ». Même si la Birmanie est une très jeune démocratie, les premières voix contre le vote se font largement entendre grâce aux réseaux sociaux.
« Nous sommes effectivement un tout petit mouvement », nous raconte Zarni, par téléphone. Cet ancien prisonnier politique, membre de l’association Society for Peace and Justice, entretient une longue histoire d’arrestations et de libérations avec le gouvernement depuis la révolution de 1988, qu’il avait alors rejointe en tant qu’étudiant. Initialement fondée pour aider la population, toute catégories confondues, son organisation cible aujourd’hui les quartiers les plus impactés par les restrictions contre le Covid 19, et y distribue nourriture et fournitures. Il n’a pas voté depuis 1990, date des dernières élections générales avant la mise en place de la Constitution de 2008. « D’après cette Constitution, nous ne pouvons pas avoir de véritable gouvernement qui représente la population, résolve les conflits religieux, les problèmes de confiscation des terres, les inégalités de droits … Depuis cette date, aucune avancée majeure n’a pu avoir lieu », explique-t-il.
D’après lui, les membres du Parlement national ne peuvent pas abolir, ou amender la Constitution sans l’aide d’organisations de la société civile. « J’ai de bonnes relations avec certains parlementaires, qui sont d’anciens prisonniers politiques, comme moi. Je crois en eux en tant que personnes, mais en tant que parlementaires, ils sont coincés. Sans abolir la Constitution, comment peuvent-ils travailler pour le peuple ? Leur seul travail est de protéger la Constitution. Pour que notre gouvernement représente véritablement toute la société, le Parlement et le gouvernement doivent travailler avec des associations étudiantes, des syndicats … mais ils n’entretiennent aucune relation aujourd’hui », déplore-t-il.
Pour Zarni, la victoire de la LND ne fait – malheureusement – aucun doute. « Même si les gens savent que la LND n’aura jamais le pouvoir d’abolir la Constitution, pour qui d’autre voteraient-ils ? Si l’on n’aime pas l’armée, on n’a pas le choix. Seule la LND est assez puissante pour leur faire face », explique-t-il. Les partis d’opposition ont fleuri ces dernières années, comme le People’s Pioneer Party de l’ex-LND Daw Thet Thet Khine, ou l’Union Betterment Party de l’ancien leader militaire U Shwe Mann. Mais Zarni pense qu’il n’y a aucune chance qu’ils puissent contrer la LND. « Par exemple, le People’s Party, fondé par l’ancien leader étudiant U Ko Ko Gyi, ne sait pas comment faire campagne ! C’est l’un des partis qui pourrait réellement représenter nos droits et notre communauté, bien mieux que la LND, mais ils ne sont pas encore assez puissants », raconte-t-il, avant d’appeler la communauté internationale à soutenir ces nouveaux membres du paysage politique birman. « S’ils deviennent un jour de véritables opposants, j’envisagerai d’aller voter à nouveau », conclut-il en riant.
Alors que les résultats de ces élections parlementaires devraient être publiés en début de semaine, l’ambiance était déjà à la victoire parmi les partisans de la Ligue Nationale pour la Démocratie, qui se sont rassemblés à la nuit tombée devant le quartier général du parti à Rangoun. Malgré le « Silent Day » toujours en vigueur, leurs chants et leur danses se sont prolongées jusqu’aux dernières minutes avant le couvre-feu.
*le prénom a été modifié
Texte & photos de Juliette Verlin, journaliste indépendante