Birmanie : Total doit cesser de financer la junte

Birmanie : Total doit cesser de financer la junte

CP – Paris, le 19 mars 2021 – Depuis le coup d’État en Birmanie du 1er février, Total est redevenu l’un des plus importants contributeurs financiers de la junte militaire, qui a repris les pleins pouvoirs par la force et réprime le mouvement de protestation de la population dans le sang. Plus de 200 morts, des centaines de blessés et plus de 2 000 personnes interpellées. Meurtres, torture, persécutions, exécutions extra-judiciaires, arrestations arbitraires… : le Rapporteur spécial de l’Onu sur la Birmanie évoque de probables crimes contre l’Humanité [1].   

Aujourd’hui, nous – Attac France, Greenpeace France, Les Amis de la Terre France, la Ligue des droits de l’Homme, Info Birmanie, Notre Affaire à Tous, Sherpa et 350.org – exhortons Total à suspendre tout paiement à la junte en plaçant les millions d’euros en jeu sur un compte bloqué[2].

Selon Justice for Myanmar, Total a notamment versé plus de 229 millions de dollars à l’Etat birman en 2019 en taxes et en parts du gouvernement dans la production de gaz[3]. Le Monde rapporte qu’en août 2020, sa filiale Moattama Gas Transportation Co, enregistrée aux Bermudes, a reçu le « prix du plus gros contribuable » dans la catégorie « entreprises étrangères » pour l’année fiscale 2018-2019[4]. Cet argent transite principalement par l’entreprise publique Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), dont les liens avec les milieux d’affaires militaires sont pointés du doigt par la société civile[5]. Mise en cause pour son opacité[6], cette entreprise représente la source de revenus la plus importante de l’Etat birman et se trouve désormais placée sous le contrôle direct de la junte. Le Rapporteur spécial de l’Onu sur la Birmanie demande d’ailleurs que des sanctions internationales soient prises à l’encontre de la MOGE[7].

Pendant que la junte tue, Total “évalue la situation”, se dit “préoccupée”[8], mais maintient le statu quo. Pourtant, d’autres entreprises ont réagi à la situation sur place :  l’entreprise singapourienne Puma Energy a suspendu ses activités et l’australienne Woodside annonce qu’elle va démobiliser ses opérations offshore.

Interpellée par des citoyens birmans, Total met en avant la fourniture d’électricité qu’elle apporte à une partie de la population, des arguments repris par l’Ambassade de France[9]. Mais la multinationale n’apporte pas de réponse face à l’enjeu central des paiements versés à la junte, et s’en remet aux sanctions décidées par les Etats[10]. Cette posture revient à alimenter un régime militaire brutal et illégitime.

Pourtant, des Birmans ont manifesté à Kanbauk le 12 février 2021 pour demander à Total et aux autres compagnies gazières de ne pas financer la junte[11]. Des employés de Total en Birmanie ont également rejoint le mouvement de désobéissance civile[12]. Et MATA (Myanmar Alliance for Transparency and Accountability), qui regroupe 445 organisations de la société civile birmane, appelle les compagnies pétrolières et gazières à cesser immédiatement tout paiement à la junte, seule mesure à même de garantir le respect des Principes directeurs de l’Onu sur les entreprises et les droits humains, ainsi que de la loi française sur le devoir de vigilance de mars 2017. Nous rappelons d’ailleurs que le plan de vigilance de Total est largement insuffisant, tant dans son contenu que sa mise en oeuvre, et que l’entreprise fait l’objet de deux actions en justice en France sur le fondement de cette loi[13].

Le message de la société civile birmane est clair : “Si vous continuez le “business as usual”, nous vous tiendrons pour responsables de la violence infligée par la junte au peuple birman.” A son tour, le Ministre de la planification, des finances et de l’industrie nommé par le CRPH (Committee Representing Pyidaungsu Hluttaw) – le parlement en résistance – demande à Total de ne plus collaborer avec le régime de la junte[14].

Le gouvernement français doit quant à lui agir pour que des sanctions soient adoptées contre les dirigeants de la junte et contre les entreprises, notamment la MOGE, dont les revenus financent la répression. Ne pas agir en ce sens revient à renforcer la junte dans sa volonté de se maintenir au pouvoir par la force des armes et au prix d’une répression sanglante.

Signataires :

Attac France

Greenpeace France

Les Amis de la Terre France

Ligue des droits de l’Homme

350.org

Notre Affaire à Tous

Info Birmanie

Sherpa

Contacts Presse :

Sophie Brondel, Info Birmanie – sophie@info-birmanie.org 07 62 80 61 33

Laura Bourgeois, Sherpa – laura.bourgeois@asso-sherpa.org +33(0)1 42 21 33 25


[1] https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26885&LangID=E

[2] Total doit utiliser ses participations et son rôle d’opérateur dans des coentreprises pour suspendre les paiements effectués à la MOGE

[3] PWYP affirme que Total  a versé, dans le cadre du bloc Yadana (M5/M6),  768 millions USD en 10 paiements aux entités gouvernementales depuis 2015 : https://static1.squarespace.com/static/5dfc4510ad88600d53f93358/t/603dadae66cb1e4dc2cea3c4/1614654897372/Final+Brief_PWYP_Offshore+Gas.pdf ; voir aussi le document d’enregistrement universel 2019, publié en mars 2020, p. 422, dans lequel figure le chiffre de 229 597 000 USD, dont 51 millions d’impôts et taxes, et 178,597 millions de droits à la production, https://www.total.com/sites/g/files/nytnzq111/files/atoms/files/total_document_enregistrement_universel_2019.pdf.

[4]https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/03/accor-total-ces-entreprises-francaises-liees-a-la-junte-militaire-birmane_6071825_3234.html

[5] Justice for Myanmar https://www.justiceformyanmar.org/stories/how-oil-and-gas-majors-bankroll-the-myanmar-military-regime

PWYP : https://static1.squarespace.com/static/5dfc4510ad88600d53f93358/t/603dadae66cb1e4dc2cea3c4/1614654897372/Final+Brief_PWYP_Offshore+Gas.pdf

[6] Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Onu, “The economic interests of the Myanmar military” page 27 : https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/MyanmarFFM/Pages/EconomicInterestsMyanmarMilitary.aspx

[7] https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session46/Documents/A_HRC_46_56.pdf

[8] Voir notamment https://www.myanmar-responsiblebusiness.org/news/statement-concerned-businesses.html.

[9] reportage France Info TV : https://twitter.com/JulienPain/status/1371447008578396165?s=20

[10] reportage France Info TV :  https://twitter.com/JulienPain/status/1371447008578396165 et réponse de Total : https://twitter.com/TotalPress/status/1371469500260945933

[11] https://www.facebook.com/DaweiWatch/posts/3428861180575369

[12] https://www.facebook.com/Myanmar-Alliance-for-Transparency-and-Accountability-MATA-672103292860036/photos/pcb.5056835061053482/5057177711019217

[13] Les Amis de la Terre France, Survie et al. contre Total SE (Total Ouganda), https://www.amisdelaterre.org/campagne/total-rendez-vous-au-tribunal /; Notre Affaire à tous, Sherpa et al. contre Total SE (Total Climat), https://notreaffaireatous.org/actions/les-territoires-qui-se-defendent-et-si-nous-mettions-enfin-les-entreprises-face-a-leurs-responsabilites  / ; sur le plan de vigilance de Total SE voir aussi le radar du devoir de vigilance, https://plan-vigilance.org/company/total-sa   /.

[14]  https://twitter.com/JusticeMyanmar/status/1371800326270033922/photo/1

La communauté internationale dans l’impasse face à l’escalade de la répression

La communauté internationale dans l’impasse face à l’escalade de la répression

CP 3 mars 2021 – Le soulèvement birman de 2021 contre la junte a ceci de particulier que nous vivons quasiment en direct le décompte des morts, des blessés et des arrestations. Des images de plus en plus insoutenables circulent sur les réseaux sociaux, montrant la barbarie de la junte et de ses hommes en armes, qui s’acharnent avec une violence inouïe sur des innocents en toute impunité.

Dimanche dernier, l’adolescent qui s’était posté devant les bureaux de l’Onu à Yangon la semaine passée pour implorer de l’aide a été tué. D’autres sont morts depuis et bientôt nous ne serons malheureusement plus en mesure de compter les morts (des dizaines), les blessés  (des centaines) et les interpellés (plus d’un millier), dont on risque ensuite d’être sans nouvelles.

Face à la répression qui s’abat sur le mouvement de désobéissance civile, les condamnations internationales se multiplient mais n’ont aucun impact sur la junte, qui se moque de notre consternation. Son mépris de la vie humaine n’a que faire de considérations morales ou légales. Le « we are watching » finit par sonner creux.

La population birmane doit se sentir bien seule, comme ses persécutés l’ont toujours été face à la répression des militaires birmans. Si ses attentes vis-à-vis de la communauté internationale sont sans doute trop fortes, l’aptitude ou la volonté de celle-ci à faire levier est trop faible.

Plus d’un mois après le coup de force du 1er février, aucun Etat, aucune organisation – internationale ou régionale – n’a été en mesure d’infléchir le cours des événements. Le Conseil de sécurité de l’Onu reste jusqu’à nouvel ordre paralysé par les vetos russe et chinois et on se demande encore si l’ASEAN, regroupement à dominante économique, finira (ou certains de ses membres) par faire levier sur la junte. Les Etats-Unis et Londres ont au moins décidé de sanctions, même si elles ne vont pas encore assez loin. Quant à l’Union européenne, elle annonce des mesures à prendre, mais tarde à les adopter. On peine à comprendre tous les ressorts de cet attentisme.

Pourtant, la répression qui s’accroît depuis dimanche, devenue « Bloody Sunday » sur les réseaux sociaux, suivie d’un « Bloody Wednesday », appelle des actes, précis et ciblés, clairement identifiés par la société civile. Le mouvement de désobéissance civile doit être relayé, appuyé et soutenu sur le terrain, comme y exhorte notamment l’ONG Burma Human Rights Network qui appelle à un soutien direct du mouvement. Les intérêts économiques de la junte doivent faire l’objet d’une attaque concertée et mondiale et ses crimes jugés devant une juridiction internationale.

Encore combien de morts pour que la communauté internationale agisse ? En Birmanie, poser cette question expose à la mort.

Contact presse : Sophie Brondel, coordinatrice d’Info Birmanie sophie@info-birmanie.org 07 62 80 61 33

Version anglaise du communiqué

Sanctionnez l’armée, pas le peuple birman

Sanctionnez l’armée, pas le peuple birman

un communiqué de Justice for Myanmar et Burma Campaign UK

CP 5 février 2021 – Justice For Myanmar et Burma Campaign UK sont des organisations indépendantes distinctes qui ont toutes deux appelé à une action internationale contre les intérêts économiques de l’armée, conformément aux recommandations de la Mission internationale d’enquête indépendante des Nations Unies sur le Myanmar.

Nous nous opposons à toute forme de sanctions larges et non ciblées contre le Myanmar qui pourraient avoir un impact sur les citoyens ordinaires. Nous nous opposons au retrait des privilèges commerciaux, qui affectera davantage les gens ordinaires que les militaires. Nous ferons activement campagne contre ces sanctions si elles sont proposées.

Les entreprises internationales ont un rôle important à travers la mise en place de co-entreprises et d’accords commerciaux avec des entreprises militaires. Les sanctions internationales contre ces entreprises auront par conséquent un impact sur les bénéfices qu’elles réalisent pour l’armée et ses principaux généraux. Nous sommes cependant pleinement conscients qu’en elles-mêmes, des sanctions ciblées sur les intérêts économiques de l’armée ne changeront pas le comportement de l’armée. C’est une tactique, pas une panacée.

Nous appelons à une action internationale de grande envergure contre l’armée du Myanmar, en commençant par des sanctions ciblées contre les entreprises détenues et contrôlées par l’armée et leurs partenaires commerciaux importants. Nous appelons également à d’autres mesures, notamment des pressions diplomatiques, des pressions juridiques internationales et un embargo mondial sur les armes.

Bien que nous soutenions des sanctions ciblées contre des membres individuels de l’armée et leurs familles qui ont abusé de leur pouvoir et de leur position pour bâtir leur propre empire commercial, ces sanctions doivent s’ajouter à la sanction des entreprises détenues et contrôlées par l’armée et de leurs partenaires commerciaux importants. Il est essentiel que l’armée en tant qu’institution soit touchée par des sanctions internationales ciblées, et pas seulement des membres individuels.

C’est la seule manière d’aider le Myanmar à progresser vers la démocratie.

Nous nous félicitons de la réévaluation en cours de l’aide internationale au Myanmar que de nombreux pays entreprennent après le coup d’État. Il est essentiel que l’aide internationale ne bénéficie pas aux militaires. En plus d’examiner l’aide vers le régime militaire ou bénéficiant au régime, tous les donateurs devraient mettre en place des politiques visant à garantir que les organisations qui reçoivent leur aide ne la dépensent pas en biens et services de sociétés militaires. Les ambassades et les agences des Nations Unies au Myanmar devraient faire de même.

Nous appelons les donateurs à maintenir l’aide au Myanmar, en accordant la priorité aux victimes de violations des droits de l’Homme, en particulier aux centaines de milliers de déplacés internes et de réfugiés dans les régions ethniques qui ont tout perdu à la suite d’attaques militaires.

L’aide doit être sensible aux conflits, fondée sur les droits de l’Homme et ne jamais porter atteinte aux droits des nationalités ethniques à l’autodétermination. Il devrait y avoir un soutien accru aux organisations de la société civile qui travaillent sur la documentation, la défense et la promotion des droits de l’Homme. La discrimination systémique du Myanmar à l’égard des communautés ethniques et religieuses doit toujours être prise en considération. Les bailleurs de fonds doivent veiller à ce que leur soutien ne renforce pas la « bamarisation » du pays. Aucune personne ni organisation ne peut parler au nom de tout le peuple du Myanmar. Les donateurs doivent être ouverts à l’utilisation de différents mécanismes de soutien, y compris à des mécanismes transfrontaliers.

Lorsque nous appelons à l’action de la communauté internationale, c’est pour appuyer les populations du Myanmar opprimées et persécutées par les militaires, qui résistent au contrôle militaire et poursuivent leur lutte pour les droits de l’Homme, la démocratie, le fédéralisme et la paix. Cette lutte est menée par le peuple du Myanmar. Cependant, le peuple ne peut à lui seul apporter les droits de l’Homme et la démocratie au Myanmar sans le soutien de la communauté internationale, alors que des programmes et des engagements internationaux en cours profitent aux militaires et renforcent leur impunité. La communauté internationale a un rôle important à jouer pour changer d’orientation et garantir le respect du droit et des normes internationales. Un effort concerté doit être fait par la communauté internationale pour faire pression sur l’armée à la hauteur de la résistance du peuple du Myanmar à l’armée.

Il est également important de reconnaître que cela peut prendre du temps avant que l’impact des sanctions économiques ciblées et d’autres mesures prises par la communauté internationale ne se manifeste. Personne ne s’attend à ce que l’armée change immédiatement de cap le lendemain de l’imposition de sanctions économiques ciblées.

La communauté internationale doit fonctionner sur le principe suivant : tout ce qui peut être fait doit être fait. Tous les points de levier potentiels doivent être utilisés. Aucun gouvernement au monde ne peut prétendre avoir fait tout ce qu’il pouvait pour aider à promouvoir les droits de l’Homme et la démocratie au Myanmar, alors que la population est davantage opprimée et persécutée, vivant avec l’extrême violence de l’armée.

Justice for Myanmar et Burma Campaign UK continueront de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour persuader la communauté internationale d’appliquer le maximum de pression possible sur l’armée et de prendre des mesures pratiques pour appuyer les droits de l’Homme et la démocratie en Birmanie, en solidarité avec leurs alliés du monde entier.

Coup d’État en Birmanie – L’Europe doit sanctionner les entreprises militaires

Coup d’État en Birmanie – L’Europe doit sanctionner les entreprises militaires

Déclaration des membres de l’European Burma Network (EBN)

4 février 2021 – L’European Burma Network (EBN) condamne sans équivoque le coup d’État militaire en Birmanie et appelle à la libération immédiate et inconditionnelle d’Aung San Suu Kyi, du Président, des ministres, des militants pour la démocratie et de tous les autres civils arrêtés aujourd’hui.

Nous exhortons le commandant en chef et l’armée à respecter les résultats des élections du 8 novembre et à œuvrer par des moyens constitutionnels et juridiques pour résoudre la crise politique.

Nous appelons les militaires à renoncer à l’état d’urgence et à restaurer le gouvernement civil démocratiquement élu.

Nous exhortons la communauté internationale à répondre au coup d’État par une action vigoureuse.

Nous nous félicitons des déclarations énergiques du secrétaire d’État des États-Unis, du président du Conseil européen et du Premier ministre britannique, entre autres. Cependant, une rhétorique forte ne suffit pas et doit s’accompagner d’une action significative.

Nous exhortons l’Union européenne et les autres membres de la communauté internationale à faire comprendre à l’armée birmane qu’à moins qu’elle n’annule le coup d’État et ne respecte la volonté du peuple birman exprimée lors des élections, des sanctions solides et ciblées contre les hauts dirigeants militaires, les entreprises militaires et les ressources militaires seront utilisées.

Le coup d’État marque le renversement d’une décennie de réforme politique en Birmanie. Alors que de nombreuses et graves préoccupations en matière de droits de l’Homme ont marqué ces cinq dernières années de gouvernement élu démocratiquement dirigé par des civils, les événements d’aujourd’hui risquent de replonger le pays dans l’ère du régime militaire répressif direct que nous pensions être une caractéristique du passé.

La communauté internationale ne doit pas laisser cet outrage persister.

Signataires :

Burma Action, Irlande

Burma Campaign UK, Royaume-Uni

Burma Human Rights Network – BHRN

Burmese Rohingya Organisation UK, Royaume-Uni

Christian Solidarity Worldwide

Civil Rights Defenders, Suède

Info Birmanie, France

Swedish Burma Committee, Suède

Swiss Burma Association (Association Suisse Birmanie)

Society for Threatened Peoples, Allemagne

Version anglaise de la déclaration