Birmanie : l’opération de répression contre les Rohingya prend fin mais le problème reste entier

Birmanie : l’opération de répression contre les Rohingya prend fin mais le problème reste entier

« La situation dans l’État d’Arakan est maintenant stable. Les opérations de nettoyage entreprises par les militaires ont cessé, le couvre-feu s’est assoupli et la police toujours présente a pour seul objectif de maintenir la paix ». Cette citation du nouveau Conseiller en sécurité U Thaung Tun a été reprise par le Bureau de la Conseillère d’État – Aung San Suu Kyi – mercredi 15 février.

Il semblerait que ce soit la fin d’une vaste opération de répression à l’encontre des Rohingya lancée par l’armée birmane à la suite de l’attaque de postes de frontières en octobre dernier. Le bilan est terrible : des centaines de morts, 22 000 déplacés internes et 66 000 réfugiés au Bangladesh. Le gouvernement civil a longtemps affirmé que l’armée agissait selon la loi. Il a ainsi participé à légitimer les actes de l’armée birmane et pire, sa présence au sein du gouvernement.

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Pour autant, malgré l’arrêt des opérations de l’armée, la question Rohingya reste une problématique majeure. Apatrides, privés de leurs droits élémentaires, visés par des campagnes haineuses et subissant la répression de l’État, cette minorité musulmane est, selon l’ONU, l’une des plus persécutées au monde. Les discriminations sont incessantes pour les Rohingya qui seraient environ 800 000 à vivre dans l’État d’Arakan. L’aspect ethnique se mêle évidemment à l’aspect confessionnel. Dans cet État, deux communautés cohabitent difficilement : les Arakanais, assimilés à l’ethnie majoritaire birmane Bamar car ils sont bouddhistes et les Rohingya musulmans, considérés comme Bengalis par les premiers.

En 1978 et 1992, de fortes campagnes de répression menées par l’armée avaient poussé les Rohingya à se réfugier au Bangladesh par centaines de milliers. En 2012, des violences interconfessionnelles avaient éclaté entre Rohingya et Arakanais bouddhistes. L’histoire se répète et aucune solution durable n’est envisagée pour cette minorité.

En 1982, sous le régime militaire de Ne Win, la loi sur la nationalité reconnaissait 135 ethnies considérées de « nationalité birmane » en raison de leur présence sur le territoire avant la colonisation. Les Rohingyas en sont exclus et deviennent alors apatrides. La propagande étatique, basée sur un discours nationaliste bouddhiste, fait tout pour le justifier. Ils n’apparaissent plus sur les cartes et documents officiels : dans l’État d’Arakan, il n’y aurait que des Arakanais et quelques autres groupes minoritaires reconnus par la loi.

Dans une région aux frontières étatiques longtemps mouvantes et aux migrations complexes, les théories pleuvent quant à l’origine des Rohingya. Il reste difficile d’être catégorique. Mais des éléments historiques sérieux et précis justifient de la présence d’une forte population musulmane dans le nord de l’Arakan depuis plusieurs siècles. Tourné du côté du Bengale, le royaume de Rohang/Rashang n’avait pas de contact avec la Birmanie, jusqu’à l’invasion birmane sous le règne de Bodowpaya, à la fin du XVIIIè siècle. La racine même du nom Rohingya fait référence à cette région.

Mais pourquoi nier un nom et rejeter toute une population ? La construction de la nation birmane s’est fait sur le centralisme Bamar, avec des frontières arbitraires qu’il s’agissait de « birmaniser » en transformant l’histoire, afin de repousser toute trace « d’indianité ». Pour justifier sa légitimité politique, le nationalisme birman a eu besoin d’ennemis intérieurs.

Après l’arrivée au pouvoir de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), l’espoir était grand de voir s’exprimer d’autres conceptions politiques, dépassant le récit imposé par les militaires. Mais Aung San Suu Kyi a qualifié l’utilisation du terme Rohingya de contreproductive. Waï Waï Nu, militante Rohingya, témoigne : « Je suis née en Birmanie, mes parents sont nés en Birmanie et leurs parents sont nés en Birmanie. Ma mère, ma sœur, mon père, mon frère et moi avons été emprisonné en raison du travail de mon père aux côtés d’Aung San Suu Kyi et de la LND dans l’opposition démocratique. Et même sous ce nouveau gouvernement, qualifier mon ethnie et évoquer ma langue et ma culture est devenu un acte politique controversé ».

La fin de l’opération de répression lancée par l’armée birmane est un réel soulagement. Néanmoins, cela ne résout en rien la question Rohingya si ce n’est pas accompagné de politiques de lutte contre les discours de haine et d’un réel dialogue interreligieux. Il est temps que le gouvernement civil s’éloigne du discours dominant construit sous la junte, qui donne une importance centrale au groupe majoritaire Bamar et bouddhiste, pour se diriger  vers une reconnaissance des Rohingya. Dans un pays en transition démocratique, ou les conflits entre groupes ethniques armés et l’armée birmane font rage depuis des décennies, tant que le gouvernement n’affronte pas ce problème et ne trouve pas de solutions durables pour les Rohingya qui n’ont ni résistance armée ni revendication territoriale, il est difficile d’être confiant quant aux perspectives de paix.