Alors que les premières élections, censées être « libres et équitables » auront lieu le 8 novembre en Birmanie, il devient évident que les autorités tentent depuis des mois, par tous les moyens, d’étouffer les voix des activistes.
Le 14 Octobre 2015, des policiers en civil ont arrêté Patrick Khum Jaa Lee pour avoir partagé sur Facebook une photo d’un homme vêtu d’un longyi kachin (vêtement traditionnel) en train de marcher sur un portrait du chef des armées birmane. Celui-ci a aussitôt qualifiée la photo « d’insultante » et fait emprisonner le célèbre activiste qui encoure une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. Début octobre, un incident similaire avait déjà eu lieu. Chaw Sandi Htun, militante âgée de 25 ans, a été arrêtée et poursuivie pour diffamation pour avoir comparé sur Facebook la nouvelle couleur des uniformes de l’armée birmane à celle du htamein d’Aung San Suu Kyi, un sarong traditionnel porté par les femmes en Birmanie. Elle risque jusqu’à 5 ans de prison.
L’excessivité de ces sanctions contraste avec l’impunité dont bénéficient les militaires et hauts fonctionnaires birmans lorsqu’il s’agit de violations des Droits de l’Homme mais aussi de liberté d’expression. L’année dernière l’épouse du porte-parole du gouvernement, Ye Htut, avait publié des photos retouchées d’Aung San Suu Kyi portant ce qui semblait être un hijab. Alors que les tensions interreligieuses rendaient le climat extrêmement tendu, Ye Htut, n’avait eu qu’à présenter ses excuses publiquement.
S’il est vrai que la liberté d’expression en Birmanie s’est améliorée depuis la sortie de la dictature en 2011, on assiste depuis 2013 à un véritable recul qui s’est aggravé à l’approche des élections de novembre. Cette affirmation a été appuyée par un nouveau rapport d’Amnesty International, judicieusement intitulé « Retour aux Anciennes Méthodes ». Ce rapport insiste sur l’inquiétante augmentation du nombre d’arrestations des défenseurs des droits humains par rapport à 2013-2014.
La répression brutale des étudiants et des militants qui protestaient le 10 mars 2015 contre la Loi Nationale sur l’Éducation à Letpadan est un exemple flagrant de violation de la liberté d’expression. Selon Fortify Rights, 77 des manifestants – dont beaucoup ont subi des abus en détention – ont été arrêtés et encourent des peines allant de six mois à neuf ans d’emprisonnement. Leurs tords ? Avoir participé à une manifestation pacifique.
De même, l’an dernier, après un reportage sur une usine soupçonnée de produire des armes chimiques, 5 journalistes de Unity Weekly ont été arrêtés et condamnés à des peines allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement.
Le rapport conjoint de l’Association d’Assistance aux Prisonniers Politiques et de Burma Partnership, « Comment Défendre les Défenseurs des Droits », détaille les intimidations dont font l’objet les activistes. Dans ce rapport sont notamment mises en avant les discriminations, les violences, y compris sexuelles, les pratiques de harcèlements législatif et judiciaire, les arrestations et détentions arbitraires, ainsi que les exécutions extrajudiciaires.
De façon assez ironique, le président Thein Sein a récemment publié une vidéo sur sa propre page Facebook et déclarait : « Autrefois, [la Birmanie] était un pays où la censure régnait et où les gens ne pouvaient rêver de la liberté d’expression… Depuis que le président Thein Sein a pris le contrôle, tout a changé. »
Il apparaît clairement que les autorités birmanes ne sont pas prêtes à laisser le peuple birman s’exprimer librement sur tous les sujets. Dans le cadre de la campagne électorale, la Commission Électorale (UEC) a par exemple interdit aux partis politiques de l’opposition de critiquer l’armée birmane et la Constitution de 2008. De plus les milliers d’activistes exilés sous la dictature et revenus en Birmanie à partir de 2012, ont perdu leur citoyenneté et ne seront pas en mesure de voter en novembre. Dans ces conditions, les élections de novembre risquent de ne pas être aussi démocratiques que le prétendent les autorités birmanes.
Outre le recul de la liberté d’expression, le gouvernement birman fait tout pour réduire au silence une partie de la population, surtout à l’approche du scrutin de novembre. Les restrictions électorales concernant les candidats et les électeurs, la mauvaise gestion des listes électorales, l’intimidation des représentants politiques et des électeurs, illustrent notamment les tentatives du gouvernement de faire taire son opposition.
Dans un communiqué de presse suivant la publication du rapport d’Amnesty International, Laura Haigh, chercheuse pour l’organisation note que la répression s’est accentuée neuf mois avant le début de la campagne électorale de septembre. Elle ajoute qu’« il est évident que les autorités birmanes ont fait preuve d’anticipation. Leur objectif a été simple et direct – éloigner les voix « indésirables » des rues bien avant les élections afin de s’assurer qu’elles ne soient pas entendues. ».
Si la liberté de critiquer librement le gouvernement de la Birmanie, l’armée birmane, ou même la Constitution de 2008 est limitée, la volonté du peuple birman sera éclipsée et les élections ne produiront rien de plus qu’une répression continuelle. En outre, la puissance militaire dans la sphère politique birmane en sortira d’autant plus renforcée. Si le gouvernement veut vraiment tenir ses premières élections «libres et équitables», il doit démontrer son engagement pour la liberté d’expression. Les prisonniers politiques et les détenus doivent être libérés, les accusations contre les activistes doivent être levées, les militants doivent être libres d’organiser des manifestations pacifiques, et les électeurs doivent être habilités à exprimer leurs préoccupations.
Pour en savoir plus sur les lois repressives en Birmanie consultez notre rapport en français : « Birmanie : un cadre légal peu démocratique – Rapport sur les lois répressives » (English version : « Report on repressive laws ») – Info Birmanie – Octobre 2015
Pour en savoir plus sur les élections de novembre 2015, consultez notre Rapport « Des élections libres et équitables en Birmanie ? » – Info Birmanie – Septembre 2015