Le 8 août 1988, des manifestations massives menées par les étudiants et les moines éclataient dans tout le pays. Les manifestants réclamaient de meilleures conditions de vie, et surtout l’avènement de la démocratie. Ils seront brutalement réprimés par la junte militaire avec plus de 3 000 morts et des milliers d’arrestations. Le général Ne Win quitte alors le pouvoir et c’est le Conseil d’État pour la Restauration de la Loi et de l’Ordre (SLORC) qui s’y installe, avec le général Than Shwe à sa tête. Une junte remplace une junte…
Mais ces événements ont marqué le début d’une forte opposition aux militaires. Le mécontentement populaire était tel que le régime a annoncé la tenue d’élections pour 1990. Entre temps, une réelle opposition aux militaires se structure à travers le parti démocrate de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND). Les leaders de ce parti inquiètent les généraux, c’est ainsi qu’Aung San Suu Kyi et la plupart des membres de la LND sont assignés à résidence peu avant les élections qui ont lieu le 27 mai 1990. Cela n’empêche pas la LND de remporter plus de 80% des voix, soit 392 sièges sur 485 au Parlement. Malgré cette écrasante victoire, la junte se maintient au pouvoir et annule les résultats.
En 2007, une forte hausse du prix du pétrole par la junte a provoqué de nouvelles manifestations réunissant plus de 100 000 personnes à Rangoun, principalement des moines. La répression de la « Révolution Safran » sera brutale.
Ces mouvements ne sont pas vains : ils poussent la junte à s’auto-dissoudre. Lors des élections de 2010, entachées par les fraudes et l’exclusion de la LND, 80% des sièges du Parlement sont « remportées » par le parti des anciens militaires, l’USDP. Puis Aung San Suu Kyi est libérée. Le parlement nomme président l’ancien premier ministre Général Thein Sein – héritier de la junte militaire –, et la LND se fait réenregistrer comme parti politique. On parle alors de gouvernement « quasi civil ».
Enfin, la transition démocratique s’enclenche véritablement avec les élections de novembre 2015 qui, contre toute attente, seront les premières élections générales libres depuis des décennies. La LND remporte 78% des voix.
ET AUJOURD’HUI ?
La décision d’auto dissolution de la junte a permis aux militaires de préparer leur départ. À travers la constitution de 2008, les militaires se sont octroyés trois ministères clés (le Ministère de l’Intérieur, le Ministère de la Défense et le Ministère des frontières) ; ainsi que 25 % des sièges du Parlement, ce qui leur accorde de fait un droit de veto sur l’amendement de la constitution qui nécessite un vote à plus de 75% au Parlement. Une situation qui semble leur être particulièrement favorable : en matière de sécurité nationale, ce sont eux qui prennent les décisions et les critiques se dirigent vers le gouvernement civil, maintenant responsable sur la scène internationale.
Depuis le transfert de pouvoir et l’arrivée au pouvoir de la LND, nous avons pu observer que l’armée agissait en toute impunité. Une crise majeure l’a démontré, dans l’État d’Arakan ou l’armée a mené une opération de « nettoyage »[1] et a bloqué l’accès à la zone nord de cet État aux organisations humanitaires et aux médias pendant près de quatre mois. Les violences ont poussé près de 74 000 Rohingya à se réfugier au Bangladesh, et il y a encore 120 000[2] déplacés internes au sein de l’État d’Arakan. L’armée birmane est accusée de graves violations des droits de l’Homme : un rapport des Nations Unies évoque un nettoyage ethnique et de possibles crimes contre l’humanité.
Dans les États Kachin et Shan, au nord du pays, les conflits entre les forces gouvernementales armées et les groupes ethniques armés n’ont cessé de s’intensifier. L’armée birmane n’a pas hésité à utiliser de l’artillerie lourde à proximité des civils. Dans cette zone, ce sont près de 100 000 personnes qui restent déplacées en raison des hostilités. Pourtant, les négociations pour la paix n’ont pas sérieusement progressé et le processus de paix n’est toujours pas inclusif.
En 29 ans, il est vrai que le chemin parcouru est considérable. Cependant, il sera encore long en vue d’une véritable transition démocratique, et afin que les perspectives de paix se concrétisent. Une première étape doit être la coopération du gouvernement birman avec la mission d’établissement des faits – résolution de la 34e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU – mandatée par les Nations Unies pour les États d’Arakan, Shan et Kachin.
[1] Suite à l’attaque de postes de frontières le 9 octobre, revendiquée par le groupe armé Arakan Rohingya Salvation Army, qui ont fait 9 morts du côté des forces gouvernementales.
[2] Les camps ou (sur)vivent les déplacés internes ont été ouvert suite aux violences intercommunautaires de 2012.