« On nous dit que la transition démocratique birmane ne se fera pas du jour au lendemain, qu’il faut du temps et de l’espace. De la même manière, la surveillance constante et les mécanismes de contrôle ne seront pas supprimés du jour au lendemain. Cela n’arrivera pas avant qu’il n’y ait un progrès réel et perceptible de la situation des droits humains ». Ce sont les mots de Yanghee Lee, rapporteuse spéciale des Droits Humains en Birmanie pour les Nations Unies, lors d’une conférence de presse le 21 juillet à Rangoun clôturant sa mission de 12 jours dans le pays. Yanghee Lee a exprimé sa déception, évoquant un nouveau gouvernement utilisant les mêmes pratiques que le régime militaire. La rapporteuse spéciale fait savoir que sa mission a été rythmée par plusieurs restrictions géographiques dans les États d’Arakan, Shan et Karen.
Pourtant, il y a presque deux ans, l’espoir était au rendez-vous alors que la Ligue Nationale pour la Démocratie – avec à sa tête Aung San Suu Kyi – venait de remporter les premières élections générales libres depuis des décennies. Qui aurait cru que le bilan en matière de droits humains serait si catastrophique ? Plus le temps passe et plus le poids des militaires au sein de ce « nouveau » gouvernement se fait ressentir : fréquentes restrictions d’accès à certaines zones, de nombreuses offensives de l’armée birmane à l’encontre des groupes ethniques armés dans le nord-est du pays, un processus de paix non-inclusif, des forces gouvernementales accusées de graves violations des droits humains, les Nations Unies qui évoquent des possibles crimes contre l’humanité … Et récemment, des demandes de visa refusées pour trois experts internationaux mandatés par l’ONU pour la réalisation d’une mission d’établissement des faits.
En effet, suite à « l’opération de nettoyage » menée par l’armée birmane dans l’État d’Arakan en octobre dernier, plusieurs organisations internationales, suivies par les Nations Unies, ont publié des rapports basés sur des témoignages de certains des 75 000 réfugiés Rohingya alors au Bangladesh, dénonçant les différentes formes de violations des droits humains par les militaires. Parallèlement, les combats dans les États Kachin et Shan ont continué de s’intensifier, menant au déplacement de milliers de civils. Dans ces deux zones, l’accès humanitaire est restreint. Alors, la 34e session du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a adopté en mars 2017 la mise en place d’une mission d’établissement des faits, afin d’enquêter sur les allégations de violation des droits humains par l’armée. Mais dès le lendemain, le gouvernement s’en est dissocié. Depuis, il refuse de coopérer, argumentant que ce n’est pas approprié à la situation, et que cela risquerait d’alimenter les tensions intercommunautaires. Ce raisonnement semble fragile étant donnée les récents incidents entre bouddhistes Arakanais et musulmans Rohingya à Sittwe, capitale de l’État d’Arakan, faisant un mort et cinq blessés Rohingya.
Par ailleurs, si le gouvernement se préoccupe de la stabilité au sein de l’État d’Arakan, il serait grand temps de prendre des dispositions à propos de la Zone Économique Spéciale de Kiauk Phyu. À ce sujet, Yanghee Lee souligne des confiscations de terres liées à ce projet, sans consultation des populations affectées, ni compensations adéquats.
Aung San Suu Kyi, Conseillère d’État et Ministre des Affaires Étrangères – de facto dirigeante –, s’est entretenue avec Yanghee Lee. Mais cette dernière n’a pas été en mesure de rencontrer le Général Min Aung Hlaing, chef des armées. C’est pourtant lui qui est à la tête des militaires accusés de graves violations des droits humains, de possibles crimes contre l’humanité… Évidemment, il est toujours nécessaire de rappeler que la position de la LND n’est pas aisée, les militaires avaient préparé leur départ avant d’auto-dissoudre la junte. Et il semble qu’aujourd’hui, le système leur convient parfaitement : les voix s’élèvent contre Aung San Suu Kyi, mais le chef des armés s’en sort plutôt bien. Il ne cesse de voyager, pour discuter des relations (actuelles et futures) de militaires à militaires, et de commerce d’équipements. Il est d’ailleurs récemment passé en Allemagne et en Hongrie. Les tensions entre gouvernement civil et militaires restent vives sur certains sujets, c’est par exemple le cas à propos des discussions sur la réforme de l’article 66 (d) de la loi sur les Télécommunications.
Suite à la déclaration de fin de mission de Yanghee Lee, 13 parlementaires ont décidé de s’élever contre cette déclaration, à travers une motion qui a été adoptée à l’unanimité. De nombreuses voix se sont élevées, dénonçant des « allégations catégoriques et un grand nombre d’erreurs factuelles ». Et pendant ce temps, la transition démocratique, les conditions de vie de milliers de civils et la paix sont en jeu.