Par l’équipe d’Info Birmanie depuis Rangoun.
Aujourd’hui, dimanche 8 novembre, c’était le Jour J des élections législatives en Birmanie. A la fermeture des bureaux de votes de taux de participation s’élevait à environ 80% selon la commission électorale. Des files d’attentes gigantesques, un processus électoral lent et complexe pour des électeurs novices, ainsi que des premiers soupçons d’irrégularité et d’achat de votes dans certains villages, marquent le début d’un processus post-électoral encore long et incertain, notamment lors du décompte ou du transport des urnes
L’équipe d’Info Birmanie a pu suivre en direct le déroulement de cette journée historique, et recueillir les témoignages des électeurs et de la société civile.
Les portes des bureaux de vote ont ouvert à 6 heures ce matin, mais dès 5h30 on pouvait voir de longues files d’attente d’électeurs impatients de voter. Cette foule matinale contrastait cependant avec le calme de la ville : magasins fermés, rue désertes, véhicules rares dans les rues habituellement encombrées et grouillantes de Rangoun.
Mon premier tour à l’extérieur des bureaux de vote m’a donné l’impression que tout se déroulait dans l’ordre, comme si voter était chose habituelle en Birmanie. Les policiers étaient à leur poste, les listes électorales affichées dans la rue, les urnes prêtes à recevoir des bulletins déjà préparés en petits tas et les électeurs attendaient leur tour, dans le calme. Alors que depuis plus de 50 ans, les birmans attendaient cet événement, c’est comme s’ils n’osaient pas faire un pas de travers, de peur de voir s’échapper leur avenir.
Au fur et à mesure de la journée, la patience et le calme des premières heures ne se sont pas estompés. Toutefois les premières crispations ont vu le jour. A la sortie d’un bureau de vote à Rangoun, un électeur m’affirme que certains responsables de bureaux de vote ont limité l’entrée des électeurs créant ainsi des files d’attente longues de plusieurs heures. Chaque électeur nécessitant en moyenne 10 minutes pour voter, les dix heures d’ouverture du bureau ont rapidement semblé bien insuffisantes pour que les 1500 à 2000 personnes enregistrées en moyenne par bureau puissent effectivement voter.
Ce sont ensuite les observateurs locaux qui m’ont alarmé lorsqu’ils ont réalisé que dans plusieurs bureaux de vote, les électeurs n’étaient pas invités à signer le registre électoral. Mal informés sur le processus électoral, et peu habitués à demander aux autorités des explications, les électeurs n’ont pas demandé à signer ce document. Certains observateurs locaux se sont alors rendus compte qu’ils avaient signé la liste électorale mais pas le registre de vote. Et pourtant sans cette signature, aucune preuve ne permet d’attester de leur passage. Affolés, les trois observateurs avec lesquels je me trouvais se sont mis à téléphoner à tout va, pour faire passer le message et dénoncer cette irrégularité à la commission électorale.
Alors que chaque électeur doit voter trois fois (pour élire un député dans chacune des trois chambres : la chambre haute, la chambre basse, et les assemblées régionales) et même quatre fois dans les zones ethniques, certains électeurs n’en étaient pas informés et les agents électoraux semblent bien s’être gardés de le leur rappeler. Certains électeurs auront donc voté seulement pour un siège sur trois.
Enfin, et comme nous nous y attendions, certaines personnes n’ont jamais réussi à trouver leur nom sur les listes électorales et ont dû simplement renoncer au vote.
Difficile de dire si les organisateurs électoraux ont intentionnellement profité du manque d’éducation au vote des birmans ou si ces événements sont uniquement liés à leur manque d’expérience électorale ?
En me rendant – accompagnée d’organisations de la société civile – dans plusieurs villages à quelques heures de Rangoun, nous apprenons également que les votes par anticipation n’ont pas été conformes aux règles électorales. C’est le cas des fonctionnaires qui représentent au moins 500 000 personnes à travers le pays. Lors de leur vote par anticipation ils n’auraient souvent pas bénéficié de bulletins secrets et leurs enveloppes n’auraient pas été fermées. Par ailleurs, les observateurs internationaux n’étaient pas présents pour contrôler le bon déroulé de ce scrutin.
En surface, ce scrutin semble toutefois s’être bien déroulé à Rangoun où aucune tension apparente n’est venue gâcher ce jour historique. Aucune fraude ouverte n’a été – du moins encore – dénoncée et les birmans étaient particulièrement souriants, brandissant fièrement leur doigt gauche, taché d’encre indélébile, pour dire « a voté ! ».
La population qui s’attendait à une large victoire de la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD), le parti d’Aung San Suu Kyi semble avoir obtenu gain de cause. Nos dernières informations –issues de la NLD – parlent de 65% de votes en sa faveur et plus de 70% des sièges. Depuis trois semaines, la mobilisation des artistes et des sympathisants de la LND auraient notamment permis de contrebalancer les discours des moines extrémistes.
Le parti au pouvoir, l’USDP aurait par contre subi une amère défaite : le président du parti a perdu dans sa circonscription, tout comme le président du Parlement, Shwe Mann. A Rangoun et près de Mandalay il y a des bureaux de vote où l’USDP, n’aurait gagné aucune voix.
Alors que les résultats officiels n’ont pas encore été publiés, il est clair que la LND peut déjà parler d’une large victoire. Bien que le gouvernement ne se soit pas encore exprimé, l’incertitude reste grande quant à la réaction du pouvoir, qui a promis de respecter le verdict des urnes, tout en mettant en garde contre un soulèvement populaire et en plaçant la police en alerte rouge. L’annonce des résultats pourrait prendre plusieurs jours, notamment pour le décompte dans les régions isolées.
A Rangoun, le rendez-vous a été donné pour célébrer cette journée si spéciale, devant le siège de la LND, dans une ambiance jubilatoire où l’émotion des milliers de sympathisants présents était palpable.
Cécile Harl