Dès mon arrivée en Birmanie à seulement trois jours des élections, je ressens une atmosphère particulière. Une sorte de latence mêlée à une grande l’excitation émerge de la capitale économique du pays. Rangoun connaît toujours son effervescence habituelle mais on sent que la journée de dimanche occupe tous les esprits. L’ambiance ne laisse pas place au doute : un événement historique se prépare. Faute de pouvoir apposer sur les murs les affiches électorales, les birmans décorent leurs sacs, parent leur voiture ou leur maison avec les drapeaux ou les tracts du parti qu’ils soutiennent. Aung San Suu Kyi, celle que les birmans nomment « la mère » de la Birmanie, est sur toutes les lèvres, dans toutes les conversations et sur nombre de T-shirts et articles portés ou vendus dans la rue. Son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), est donné grand favori du scrutin de dimanche, et même Shwe Mann, ancien homme fort de la junte militaire et Président de la chambre basse du Parlement, a témoigné du respect qu’il lui portait et a déclaré qu’il travaillerait avec elle, après les élections.
Yan Myo Thein, un analyste politique birman estime – comme beaucoup de birmans – que « si les élections sont libres et équitables, la LND gagnera une majorité des sièges – au moins 55% – si elles ne sont pas libres et équitables, les votes [en faveur de la LND] seront inférieur à 55% ». Toutefois personne ne sait vraiment à quoi s’attendre et beaucoup pensent que les élections seront de nouveau truquées ou volées par le parti au pouvoir. « Cela a déjà commencé avec les votes par anticipation » explique Kiaw Linn, un conducteur de taxi. De plus en plus de personnes craignent également que la situation ne dégénère et n’aboutisse à des violences. Certains anticipent même déjà la fermeture des magasins, comme le note mon conducteur de taxi qui vit dans le quartier musulman et me confie avoir préféré faire des réserves de vivres « au cas où ».
Hier, Aung San Suu Kyi s’est exprimée devant une centaine de médias locaux et internationaux. Elle estime que la situation a changé depuis 2010 et qu’aujourd’hui « si des irrégularités sont constatées, des gens les dénonceront ». Dans ce cas, le peuple birman devrait se mobiliser massivement et attendre de la communauté internationale une réaction ferme. Aung San Suu Kyi a également déclaré que même si elle ne pouvait pas être présidente elle dirigerait quand même le gouvernement si son parti était élu puisque « la constitution ne précise rien sur un éventuel poste au-dessus du président » et que « si le soutien de peuple est suffisant, changer la constitution ne devrait pas être impossible ». Elle a également indiqué « avoir déjà un plan » pour y parvenir.
La Campagne électorale prend fin aujourd’hui et si plus de 30 millions de personnes s’apprêtent à voter dimanche, près de 20% de la population n’aura pas cette chance. Restrictions électorales, manipulation des zones de conflits armés, mauvaise gestion des listes électorales, obstacles au vote par anticipation à l’étranger, etc. Les zones de minorités ethniques sont particulièrement visées et l’ambiance n’y est pas la même que dans les Etats à majorité bamar.
Le 15 octobre, le gouvernement birman a conclu un accord de cessez-le-feu dit national, mais 7 groupes armés sur 15 ont refusé de signer le document. Depuis, les affrontements entre l’armée birmane et les groupes armés non signataires se sont intensifiés et la Commission Électorale (UEC) a annulé le vote du 8 novembre dans près de 600 villages à travers le pays « pour des raisons de sécurité ». Les organisations de la société civile craignent que les conflits et les violations des droits de l’homme ne s’aggravent encore, après les élections.
Quoi qu’il advienne dimanche, les manipulations pré-électorales ainsi que la constitution en vigueur, empêcheront toutes élections libres et équitables. Il ne faut pas non plus oublier que quelque soit les résultats, les militaires garderont toujours une grande influence au sein du gouvernement et auront toujours le contrôle du pays.
Toutefois si le scrutin se déroule sans irrégularités et que le gouvernement birman reconnait le résultat des élections, les partis de l’opposition et les partis issus des minorités ethniques pourraient obtenir une représentation politique beaucoup plus favorable et influente.
Dimanche, plus de 40 000 bureaux de vote ouvriront leurs portes aux électeurs de 6h à 16h. Selon la Commission Électorale 9 400 observateurs locaux et plus de 1 000 observateurs internationaux veilleront au bon déroulé du scrutin. Celui-ci sera également couvert par 290 journalistes étrangers.
Il ne nous reste plus qu’à attendre dimanche et le résultat des élections.
Info Birmanie depuis Rangoun.