Le 3 février 2017, à la suite d’une mission au Bangladesh, le Haut-commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme a publié un rapport éclair (Flash report) sur les atrocités perpétrées au nord de l’Etat Rakhine. Des entretiens avec plus de 200 Rohingyas ayant fui la Birmanie après les violences d’Octobre 2016 ont confirmé les suspicions d’exécutions extrajudiciaires, de violences sexuelles et de déplacements forcés. A la publication de ce rapport ont succédés des appels répétés à la constitution d’une commission d’enquête indépendante (COI). Les voix d’une partie de la société civile birmane, d’ONG mais également de Haut-fonctionnaires des Nations-Unies et d’acteurs politiques internationaux ont suscité une dynamique inédite et favorable à sa concrétisation.
Dans une déclaration récente, le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du Génocide préconisait vivement qu’un organe « indépendant et impartial », composé d’observateurs internationaux, mène une enquête.[1] Le 16 février, huit ONG majeures se sont adressées conjointement au Secrétaire Général des Nations Unies Antonio Guterres, l’exhortant à soutenir l’établissement d’une commission d’enquête indépendante.[2] Une telle commission, composée d’une poignée d’experts, aurait pour rôle d’établir les faits se déroulant dans l’Etat Rakhine et d’examiner les abus présumés commis à l’encontre des Rohingya et des Rakhine, à la lumière du droit international.
A la suite d’une série d’attaques perpétrées à l’encontre de postes de gardes-frontières le 9 octobre 2016, l’armée birmane a engagé une opération de contre-insurrection dans l’Etat Rakhine. L’armée a bloqué tout accès au nord-ouest de l’Etat – rendant toute vérification indépendante des faits extrêmement difficile. Malgré cela, plusieurs groupes de défense des droits de l’homme ont réussi à collecter des témoignages et des preuves attestant des violations commises.
Par le biais de photos satellitaires, Human Rights Watch a mis en évidence la mise à feu de maisons et de quartiers dans plusieurs villages.[3] Selon le Bureau pour la Coordination de l’Aide Humanitaire des Nations Unies (UNOCHA), plus de 69 000 individus ont fui l’Etat Rakhine pour le Bangladesh depuis octobre 2016. Sous couvert d’anonymat, deux hauts responsables des Nations Unies travaillant avec des réfugiés au Bangladesh ont déclaré au journal Reuters que le bilan des morts – entre le 9 Octobre et le début du mois de février – dépassait vraisemblablement le millier.[4] Ce chiffre est supporté par les témoignages recueillis par le Haut-commissariat lors de sa mission au Bangladesh : 65% des 204 personnes interrogées ont signalé avoir été témoin de meurtres et 56% de disparitions. Par ailleurs, parmi les 101 femmes interviewées, plus de la moitié (52%) a affirmé avoir subi des violences sexuelles ou avoir été violées.[5]
Le rapport éclair du Haut-commissariat conclut que les attaques commises à l’encontre des Rohingya dans l’Etat Rakhine semblent avoir été “généralisées ainsi que systématiques, indiquant la très probable perpétration de crimes contre l’humanité ». [6] Pourtant, le gouvernement birman persiste à démentir la perpétration de tels abus dans l’Etat d’Arakan.
Les commissions instituées par les autorités birmanes ne sont aucunement indépendantes ni même fiables. La police et l’armée – dont certains membres ont supposément commis les atrocités mentionnées précédemment – conduisent respectivement une enquête. En décembre 2016, le gouvernement a créé une commission pour l’Etat d’Arakan, dirigée par Myint Swe, un ancien lieutenant général récemment rayé par les Etats-Unis de sa liste de sanctions.[7] Après six jours d’enquête dans le nord de l’Etat au mois de février, le secrétaire de la commission a déclaré que « Le rapport du HCDH est en décalage avec la situation sur le terrain».[8]
La Commission Consultative sur l’État d’Arakan, qui avait suscité beaucoup d’espoirs du fait de la présence de l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, n’a pas le mandat pour enquêter sur ces accusations.
Les commissions existantes – bien que nombreuses – n’ont pas les moyens, mais surtout la volonté politique, d’examiner de manière neutre et objective les évènements se déroulant depuis octobre 2016 en Arakan. Après avoir rencontré la Commission Myint Swe lors de sa visite au mois de janvier, le Rapporteur Spécial Yanghee Lee a déclaré au journal IRIN : « [La situation] a dé ?passé le point de non-retour, au delà duquel il ne relève plus du gouvernement de mener une enquête crédible». [9]
Alors que le gouvernement birman apparaît disqualifié, la création de cette commission nécessite un surcroît de légitimité que seules les Nations Unies sont capables d’engendrer. Lors de précédentes violations massives des droits, le Conseil des droits de l’homme a établi des Commission d’Enquête notamment pour la Syrie (2011),[10] la Corée du Nord (2013)[11] et le Burundi (2016).[12]
Depuis plusieurs années pendant sa session de mars, le Conseil des droits de l’homme adopte une résolution sur la situation en Birmanie – avec le soutien des Etats-Unis et de l’Union Européenne. Par ce biais, le Conseil a donc jusque là renouvelé le mandat du Rapporteur Spécial sur les droits de l’homme pour le Myanmar. En février, Yanghee Lee – actuel Rapporteur Spécial – a annoncé qu’elle exhorterait les Etats membres du Conseil des droits de l’homme à voter une résolution pour une commission d’enquête lors de la présentation de son rapport à Genève le 13 mars.[13]
La 34ème session du Conseil des droits de l’homme pourrait donc être le théâtre d’une décision historique. A cette fin, deux conditions doivent être réunies : que l’un des 47 Etats membres du Conseil avance la résolution nécessaire et que la Birmanie coopère à la mise en œuvre de cette résolution. Il faudra donc du courage politique à la communauté internationale mais également au gouvernement birman pour effectivement acter la fin de l’impunité dans l’Etat d’Arakan et plus largement en Birmanie.
Keith Harper, l’ambassadeur des Etats-Unis auprès du Conseil des droits de l’homme sous l’administration Obama, a décrit le statut iconique d’Aung San Suu Kyi comme inhibiteur de toute critique de la part d’un grand nombre de diplomates occidentaux et défenseurs des droits de l’homme.[14] Si l’administration Trump offre peu d’espoir, c’est certainement à l’Union Européenne que reviendra la responsabilité de mettre le sujet sur la table des négociations. En effet, Roland Kobia, l’ambassadeur de l’Union Européenne au Myanmar, a laissé entendre que l’Union Européenne pourrait parrainer une telle résolution.[15]
La pression exercée sur le gouvernement birman pour instituer une commission d’enquête soutenue par les Nations Unies est sans précédent. A la lumière des atrocités perpétrées dans l’État d’Arakan, une telle commission constitue une étape indispensable dans la transition démocratique de la Birmanie. Si cette avancée est menacée par l’armée, elle constitue pourtant une opportunité unique pour Aung San Suu Kyi et son gouvernement de s’affranchir de son influence en identifiant et condamnant les responsables des exactions.
[1] UN News Centre, Violence in Myanmar’s Rakhine state could amount to crimes against humanity – UN special adviser, 6 février 2017, http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=56117#.WJlDMmNCI6h
[2] Ce groupe de huit ONG comprenait: Amnesty International, Burma Task Force, la Fédération Internationale des droits de l’Homme (FIDH), Fortify Rights, Global Centre for the Responsibility to Protect, Physicians for Human Rights, Refugees International, U.S. Campaign for Burma.
Voir Global Centre for the Responsibility to Protect, Joint NGO letter to UN Secretary-General Antonio Guterres about the situation in Myanmar’s Rakhine State, 16 février 2017, http://www.globalr2p.org/publications/476
[3] Human Rights Watch, Burma: New Wave of Destruction in Rohingya Villages – 820 newly identified destroyed buildings; UN-aided investigation urgently needed, 21 novembre 2016, https://www.hrw.org/news/2016/11/21/burma-new-wave-destruction-rohingya-villages
[4] Reuters, More than 1,000 feared killed in Myanmar army crackdown on Rohingya – U.N. officials, 8 février 2017, http://www.reuters.com/article/us-myanmar-rohingya-idUSKBN15N1TJ
[5] HCDH mission au Bangladesh, Flash report – Interviews with Rohingya fleeing from Myanmar since 9 October 2016, 3 février 2017, http://www.ohchr.org/Documents/Countries/MM/FlashReport3Feb2017.pdf, p.9
[6] Traduction de l’auteur: “The attacks against the Rohingya population in the area […] seems to have been widespread as well as systematic, indicating the very likely commission of crimes against humanity”. Voir HCDH mission au Bangladesh, Flash report – Interviews with Rohingya fleeing from Myanmar since 9 October 2016, 3 février 2017, http://www.ohchr.org/Documents/Countries/MM/FlashReport3Feb2017.pdf, p.42
[7] IRIN, UN rights envoy urges inquiry into abuses of Rohingya in Myanmar, 9 février 2017, https://www.irinnews.org/analysis/2017/02/09/exclusive-un-rights-envoy-urges-inquiry-abuses-rohingya-myanmar
[8] Traduction de l’auteur: “The OHCHR’s report is far from the situation on the ground”, voir Radio Free Asia, Myanmar Commission prepares to submit report on Rakhine, 21 février 2017, http://www.rfa.org/english/news/myanmar/myanmar-commission-prepares-to-submit-report-on-rakhine-02212017152640.html?platform=hootsuite
[9] Traduction de l’auteur, “It’s gone beyond the point of depending on the government to do a credible investigation”, voir IRIN, UN rights envoy urges inquiry into abuses of Rohingya in Myanmar, 9 février 2017, https://www.irinnews.org/analysis/2017/02/09/exclusive-un-rights-envoy-urges-inquiry-abuses-rohingya-myanmar
[10] Voir Résolution S-17/1 du Conseil des droits de l’homme, 22 août 2011, http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/CoISyria/ResS17_1.pdf
[11] Voir Résolution A/HRC/RES/22/13 du Conseil des droits de l’homme, 21 mars 2013, daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?Open&DS=A/HRC/RES/22/13&Lang=E
[12] Voir Résolution 33/24 du Conseil des droits de l’homme, 30 septembre 2016, http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/CoIBurundi/Pages/CoIBurundi.aspx
[13]The Guardian, UN rights envoy calls for inquiry into abuses of Rohingya in Myanmar, 16 février 2017, https://www.theguardian.com/global-development/2017/feb/16/un-united-nations-rights-envoy-calls-for-inquiry-into-abuses-of-rohingya-in-myanmar
[14] Keith Harper, Will the World be Silent in Face of the Rohingya Calamity ? – The time has come for a UN Commission of Inquiry, 27 février 2017, https://www.justsecurity.org/38149/world-silent-face-rohingya-calamity-the-time-commission-inquiry/
[15] Voir IRIN, UN rights envoy urges inquiry into abuses of Rohingya in Myanmar, 9 février 2017, https://www.irinnews.org/analysis/2017/02/09/exclusive-un-rights-envoy-urges-inquiry-abuses-rohingya-myanmar