Lundi 4 mai, un événement historique s’est déroulé à Loikaw, capitale de l’État Karenni (aujourd’hui Etat Kayah), le plus petit de Birmanie. Environ 350 paysans, originaires des 8 districts de l’État Karenni, se sont rassemblés devant le tribunal de la ville, pour attendre le jugement de six autres paysans, accusés de violation de propriété privée.
Ces cultivateurs ont écopé d’une amende de 500 kyats (environ 50 centimes d’euro) ou vingt-cinq jours en prison pour avoir labouré les champs qui leur ont été confisqués par l’armée . Cette amende peut sembler faible elle est pourtant importante pour un fermier Karenni. Elle représente surtout une occasion pour les autorités locales de montrer qu’elles ont toujours le dernier mot.
Les procès de ce genre sont nombreux dans l’État Karenni. En effet, le petit Etat comprend de nombreux projets voraces en terre : deux projets de cimenterie, deux projets de barrages et de nombreuses mines. L’armée se charge de confisquer les terres des paysans pour les attribuer aux entreprises locales et étrangères.
Souvent dans l’Etat Karenni, les paysans ne touchent aucune compensation financière, les lois protégeant la propriété privée des petits propriétaires agricoles n’existant pas en Birmanie. « Nous sommes venus aujourd’hui parce que nous voulons que les droits des paysans soient respectés. Les gens ont aujourd’hui [malgré l’apparente démocratisation du pays] toujours peur des soldats », explique un manifestant.
Mené par les activistes locaux de UKSY (Union of Karenni State Youth) et de KSFU (Karenni State Farmers Union), le cortège a quitté le tribunal pour défiler dans les rues de Loikaw, avec des chapeaux de paille flanqués des inscriptions “sauvez notre terre” ou « nous sommes paysans ». La police, a maintenu une surveillance étroite pendant toute la durée de la marche, bloquant l’accès à certaines parties de la ville et gardant les bâtiments officiels. Les moines et les étrangers n’étaient pas autorisés à rejoindre les protestataires.
Au moins « on leur a donné une autorisation de manifester, pour la première fois », s’est réjouit Kyaw Htin Aung, un membre du comité central de UKSY, précisant qu’il s’agissait d’une belle avancée pour les paysans. La manifestation s’est achevée sans heurts dans l’après midi.
S’il s’agit d’une des premières manifestations de paysans à Loikaw, ce ne devrait pas être la dernière. En effet en janvier dernier, les paysans, épaulés par UKSY, ont créé un syndicat : le KSFU. À la mi-février, un comité central a été élu et les activistes se sont mis d’accord sur leurs lignes d’action et objectifs.
Ce comité permet aux paysans de s’informer sur leurs droits et de se sentir moins seuls face aux autorités. « Beaucoup ont perdu leurs terres parce qu’ils se sentaient menacés et ont conclu qu’ils n’avaient pas d’autre choix », explique Than Tun, un membre du syndicat. Unis et soutenus par les activistes locaux, ils ont l’intention ferme de pousser l’armée à respecter leurs droits. Certains espèrent même récupérer les terres qui leur ont été confisquées vingt-cinq ans plus tôt.
Carole Oudot – Correspondante pour Info Birmanie à Loikaw.
Retrouvez l’article sur son blog : http://newburmachronicles.com/2015/05/06/les-fermiers-marchent-sur-loikaw/