À la rencontre des villageois de Letpdaung, symbole de l’opposition aux projets d’investissements en Birmanie
L’équipe d’Info Birmanie est allée à la rencontre des habitants de deux villages situés autour de la mine de cuivre de Letpadaung, près de Monywa, au centre Ouest du Pays. Ce projet a eu pour conséquences directes des confiscations de terres et des dégradations environnementales catastrophiques.
Les villageois s’élèvent contre le projet et tentent de s’organiser pour protester contre la pollution générée et les faibles indemnisations reçues en compensation de la saisie de leurs terres par les autorités. Mais ils peinent à faire entendre leur voix face à la répression, au harcèlement, aux menaces et à l’intimidation des autorités…
Pour arriver à Letpadaung, il faut emprunter une longue route goudronnée, qui contrairement à la majorité des routes du pays est en excellent état. Bien que déserte, elle est parsemée de check-points que notre voiture passe sans encombre, mais à l’aller comme au retour, il faut payer pour passer et notre plaque d’immatriculation est soigneusement annotée aux registres.
Sur la route on longe une première montagne, Kyae Sin, ou plutôt ce qu’il en reste : un désert de petit monticules étalés sur des centaines de mètres, avec en toile de fond, un bloc aplati sur lequel se pressent des dizaines de camions qui s’activent dans la poussière. Sa bal, la deuxième montagne, a déjà totalement disparue depuis quelques mois.
En continuant, nous croisons une cinquantaine d’ouvriers courbés au milieu de cailloux rangés par petits tas. Ils élargissent la route pour que les camions, de plus en plus nombreux, qui travaillent sur le projet d’extraction de cuivre puissent passer facilement avec leur précieux chargement. Juste derrière, on aperçoit la troisième montagne : Letpadaung.
Ce projet massif d’extraction minière est mené par l’entreprise chinoise Wanbao et un conglomérat économique contrôlé par l’armée, en collaboration avec le gouvernement birman qui reçoit 51% des profits de l’activité.
La mine de cuivre de Letpadaung illustre le désastre écologique des projets d’extraction minière, leur impact économique et social sur les communautés locales. Elle est aussi le symbole d’un régime qui réprime brutalement des manifestations pacifiques seulement pour protéger ses intérêts économiques.
Les communautés locales n’ont jamais été consultées par les entreprises et n’ont jamais eu l’opportunité d’échanger avec elles. Les autorités se chargent directement de récupérer les terres jugées nécessaires au projet d’extraction, de déplacer les villages, d’encaisser et de gérer les compensations.
Chaque jour l’activité des camions s’intensifie et se rapproche du village provoquant bruit et poussière. Les dégâts environnementaux sont colossaux : l’utilisation de produits chimiques, comme l’acide, pollue l’eau, l’air et la terre affectant directement la santé des villageois. Des problèmes respiratoires, des tumeurs et d’autres problèmes de santé ont été détectés sur un grands nombre de villageois, sans qu’aucune mesure de dépistage n’ait été mise en place, ni aucun soin apporté. Sans parler de la déforestation et de la destruction de la faune et de la flore locale.
Arrivés au premier village, deux motards nous suivent déjà. Ont-ils déjà été prévenus de notre visite? Les autorités nous laissent nous déplacer librement, mais non sans épier tous nos faits et gestes. Les deux hommes nous suivront tout la matinée, y compris dans les monastères dans lesquels nous échangeons avec les villageois. Ceux-ci habitués aux policiers, ne leur prêtent pas attention et parlent ouvertement des violations des droits de l’homme qu’ils subissent ainsi que de ce qu’ils reprochent aux autorités.
Les paysans nous font découvrir les alentours de leur village, Watt Hmey. Une impression de malaise en ressort : la moitié des maisons ont déjà été détruites.
En poursuivant notre chemin à pieds pour aller à la rencontre des villageois partis travailler leurs terres, nous découvrons un aperçu de ce qu’était Letpadaung avant les bulldozers et la poussière : des rizières, des palmiers, des montagnes et une végétation luxuriante à perte de vue.
Nous apprenons que toutes les terres qui nous entourent, appartenant depuis des générations aux paysans, sont devenues « illégales » depuis le début de projet car elles ont été réquisitionnées par les autorités locales. Les paysans vivent donc dans un village fantôme et les terres sur lesquelles ils travaillent peuvent leur être retirées à tout moment.
En Birmanie il n’y a ni cadastre délimitant les parcelles de terre, ni titres de propriété : cela laisse le champ libre aux confiscations de terres. La constitution du pays permet à l’armée de réquisitionner des terres « pour l’intérêt de la Nation », mais le gouvernement confisque les terres des paysans pour les attribuer à des entreprises.
Harcelés et sous pression les paysans sont poussés à bout. Les autorités sont allées jusqu’à fermer le monastère et l’école du village tout en interdisant aux enfants d’aller étudier dans les écoles des villages voisins.
À peine arrivés dans un deuxième village, Moe Gyoe Pyin, une trentaine de personnes de tous âges se pressent dans la maison où nous avons été accueillis.
Tous veulent nous raconter ce qu’il se passe depuis deux ans et témoigner des violations dont ils ont été victimes. Ils veulent à tout prix que le monde connaisse leur sort, laissés pour compte au profit d’intérêts économiques.
Le chef du village est un homme de 40 ans, il a une déformation au niveau de la gorge, très probablement liées à la pollution de l’eau et de la terre. Il nous parle des injustices, mais aussi du manque total d’information auquel ils sont confrontés.
Il nous raconte ensuite les événements récents du mois de novembre 2013. Du jour au lendemain et sans les consulter, les militaires ont entourés de clôtures la terre d’un des villageois qui avait refusé les compensations, puis ils ont construit un bâtiment surveillé par des gardes armés.
Cette décision soudaine est stratégique. C’est sur ce lopin de terre que passe le chemin qui permet aux villageois d’accéder à leurs champs et aux animaux d’aller paitre. Les autorités usent de tous les moyens de pression possibles pour que les villageois abandonnent leurs revendications et quittent leurs terres.
Excédés et pensant ne plus rien avoir à perdre, une centaine d’habitants du village de Moe Gyoe Pyin, se sont allongés sur la route face au bâtiment des militaires, en déclarant « vous n’avez qu’à nous tirer directement dessus car privés de nos moyens de subsistance, nous mourrons de toute façon ».
La réponse des autorités a été immédiate et fidèle aux vieilles habitudes répressives : une dizaine de camions ont été appelés en renfort et la police a tiré avec des balles en caoutchouc sur la petite foule de paysans non armés. Onze villageois ont été blessés, mais seulement sept se sont plaints aux autorités, cinq craignant les représailles.
Deux des protestataires montrent fièrement les cicatrices des balles qui les ont atteintes au bras et au pied. Les images prises par quelques villageois pendant la répression de la protestation ont été confisquées par les autorités : leurs blessures constituent donc leurs uniques preuves.
Ce n’est pas la première fois que les autorités ont recours à la violence pour mettre un terme à un mouvement de protestation qui s’amplifie. En 2012, La police anti-émeute a attaqué des camps des manifestants situés autour de la mine de Letpadaung, utilisant des canons à eau et des bombes fumigènes contenant du phosphore. Une centaine de blessés – majoritairement des moines – ont dû chercher des soins médicaux dans des hôpitaux de fortune.
Nous rencontrons ensuite Ma La Mia, 47 ans. Elle refuse depuis des mois les compensations qu’on lui offre contre sa terre, et subit sans cesse les pressions des autorités. Elle nous raconte comment les policiers jouent avec le manque d’information et de connaissance que les paysans ont de leurs droits. Des policiers ont par exemple offert à Ma La Mia une somme d’argent importante si elle les suivait au poste de police pour signer un « contrat ». Craignant d’être arrêtée, elle a refusé de les suivre, sachant aussi pertinemment qu’il s’agissait d’une proposition malhonnête et qu’elle ne toucherait jamais rien. La corruption des autorités locales dans ce type de contexte est répandue, subtilisant souvent l‘argent allouée aux compensations des villageois.
À force d’opposer de la résistance, la terre de Ma La Mia a été détruite le 27 octobre dernier par un bulldozer. Lorsqu’elle a demandé au conducteur de l’engin pourquoi ils réduisaient en miette ses haricots prêts à être récoltés, il a répondu « j’obéis aux ordres » et a menacé de lui tirer dessus. Ma La Mia nous raconte fièrement avoir répondu « Allez-y, tirez-moi dessus ! ».
Le message est sans équivoque : quoi qu’il advienne, tous les villageois seront chassés de leur village et de leurs terres.
Ces derniers mois, la pression des autorités s’est accentuée. En novembre, de nouvelles clôtures ont été installées autour des terres de paysans. Malgré leurs protestations elles n’ont pas été retirées et ils ont reçu l’ordre de quitter leurs maisons.
Si des centaines de villageois se sont résignés à céder leurs terres, d’autres, comme les habitants des villages de Watt Hmey et de Moe Gyoe Pyin ont choisi de résister contre cette situation injuste où leur gouvernement protège les intérêts des entreprises étrangères plutôt que ceux de sa population.
La mine de Letpadaung est devenue le symbole de la résistance des populations locales contre des projets industriels gigantesques dans un pays où les nouveaux investisseurs affluent. Le nombre de terres confisquées a augmenté depuis l’ouverture de la Birmanie au monde.
Il semble que le gouvernement accepte de réformer tant que cela sert ses intérêts et que cela ne contrecarre pas ses perspectives économiques et sa main mise politique et judiciaire. La protection des intérêts du gouvernement semble outrepasser ce qui devrait constituer les éléments fondamentaux de la transition birmane, notamment le respect des droits des populations de Birmanie.
Pour en savoir plus:
– Quels droits pour les paysans de Birmanie? Lire l’article
– Lire l’article: La Mine de cuivre de Monywa
– Explorer la Galerie de Photo de Letpadaung
– Lire le communiqué de presse d’info Birmanie du 30 novembre 2012 : « Les organisations de la société civile et les groupes communautaires condamnent la répression violente des protestations contre la mine de cuivre de Letpadaung en Birmanie »
– Regarder la vidéo de la DVB sur la protestation en cours (octobre 2013)
Crédit Photo: www.burma2015.com pour Info Birmanie