Article rédigé par le journaliste birman San Yan Naing de l’Irrawaddy et traduit et complété par Info Birmanie pour illustrer les transformations que connaissent de plus en plus de villages aujourd’hui.
La ville de Thaton est située sur l’autoroute reliant la capitale commerciale de la Birmanie, Rangoon, avec la capitale de l’état Mon, Moulmein. Nous avons rendez-vous au bureau de liaison d’un groupe ethnique rebelle karen, l’Union Nationale Karen (KNU), pour nous rendre ensuite dans la base militaire de la brigade 1 de l’Armée de libération nationale karen (KNLA).
Le voyage pour s’y rendre dure quatre heures, pendant lesquelles j’entends à la fois du bien et du mal de l’accord de cessez-le-feu bilatéral conclu entre l’armée karen et l’armée birmane en 2012.
La route est partiellement construite et en traversant l’épaisse jungle, nous passons de petits ruisseaux, des villages, des rizières, des petits ponts en bois ou en béton et des bases de l’armée birmane. Je vois les villageois se baigner dans les cours d’eau, transporter de l’eau, se déplacer à pied ou en charrette, construire des maisons en bois et en bambou.
Certains villageois ont remplacé leurs charrettes par des motos. Étonnamment, certains utilisent des téléphones cellulaires, un signe que l’infrastructure des télécommunications est arrivé aussi loin dans cette campagne.
Devant nous, un camion avec des soldats birmans bien armés. Notre chauffeur Win Aung nous rappelle qu’avant, il n’aurait pas été possible de croiser ce camion de l’armée birmane, car ces zones étaient sous le contrôle de la KNU.
Avant 2012, cette région était un no-man’s-land. Les combats entre l’armée birmane et la KNU ont fait fuir plus de 3 000 villageois vers la Thaïlande voisine. Beaucoup disent qu’à l’époque, l’armée birmane pratiquait le travail forcé, les extorsions et autres violations des droits de l’homme.
Plus loin sur la route, nous croisons un pick-up tout neuf du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Je suis curieux de savoir ce qu’un véhicule de l’UNHCR fait si loin dans le territoire contrôlé par l’armée karen.
Notre chauffeur Win Aung dit qu’il y a des projets en cours avec quelques organisations non gouvernementales, dont le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le HCR. Il dit aussi que quelques ONG ont construit des cliniques et ont donné du bétail à des villageois. Mais d’après lui, ces dons sont loin de satisfaire les besoins des communautés, il s’agit surtout de rendre les ONGs plus visibles dans la région. Il affirme, par exemple, que ces cliniques ont été joliment construites, mais qu’elles sont fermées la plupart du temps. Utilisant un jeu de mots en birman, les villageois les appellent les « cliniques fermées » plutôt que les « centres médicaux ». Win Aung dit qu’une autre ONG américaine a également promis de fournir des chèvres aux villageois, mais elle leur a demandé de participer à un tirage au sort pour savoir qui recevrait le bétail.
Nous atteignons la base une fois la nuit tombée. Dans cette région, la terre est plate et présente un fort potentiel pour l’agriculture et le commerce car elle n’est qu’à quelques heures de Rangoon, Moulmein, ou Hpa-an, la capitale de l’Etat Karen, et des villes frontalières avec la Thaïlande, Myawaddy et Mae Sot.
Après l’accord de cessez-le-feu signé en 2012, les unités de la Brigade de la KNLA 1 sont revenues ici pour y établir des bases militaires qui coexistent avec l’armée birmane, alors qu’avant ils n’avaient que des bases temporaires.
« Nous ne construisions pas de camps et nous ne vivions pas dans la région par le passé car c’était une zone de conflit. Ces maisons ont toutes été récemment construites « , explique Saw Min Thein, un représentant de la KNLA Brigade 1.
Seules quelques maisons en bois forment le siège de la Brigade 1 de la KNLA, avec deux soldats armés gardant la porte d’entrée. Ils disent qu’avant c’était une zone de tir-à-vue et que les villageois n’osaient pas s’y déplacer.
De nos jours, les villageois peuvent voyager et travailler leurs terres librement. Les réseaux téléphoniques sont opérationnels dans certains villages et le quartier général de la Brigade 1 a même un accès internet. Les charrettes sont de plus en plus souvent remplacées par les motos, voitures et camions pour les déplacements.
Cependant, avec la fin des conflits armés dans la région, c’est un autre fléau qui risque de toucher les communautés locales si rien n’est fait pour le prévenir : l’arrivée d’investisseurs-rois qui s’octroient tous les droits.
Les grands conglomérats birmans ont construit depuis 2012 des plantations de caoutchouc, des usines de ciment et ils préparent d’autres projets massifs qui impactent directement les communautés de la région.
Le prix des terrains a augmenté avec ces nouveaux projets mais surtout, les villageois sont touchés de plein fouet par les confiscation des terres, la pollution des terres et la destruction de leur environnement. Si la LND ne prend pas le temps de réformer l’encadrement des investissements avant que les investisseurs étrangers n’arrivent, ce la risque de s’aggraver.
Le groupe Max Myanmar et l’entreprise Phyu Min Tun ont par exemple construit une plantation de caoutchouc d’une vingtaine de kilomètres carré. Celle-ci a donné lieu à des litiges fonciers houleux avec les habitants. De plus, en avril 2015, la société Phyu Min Tun a effectué des tests pour l’extraction de minéraux avec la permission de la KNU, mais sans consulter la population. Des tests à la dynamite ont eu lieu sur une colline qui mène au quartier général de la KNLA, un lieu considéré sacré par les habitants de l’ethnie Karen.
Un officier de la KNLA confie que des mines d’or existent dans la région limitrophe contrôlée par la KNLA. Des entreprises chinoises y feraient de bonnes affaires avec les officiers du groupe ethnique armé. Des hommes d’affaires se sont donc précipités sur place pour acheter des terres agricoles tandis que des cadres de la KNU et des petits propriétaires terriens ont divisés les terres en parcelles pour les revendre.
Saw Kaw Tha Blay, un officiel de la KNU pour le canton de Thaton a même déclaré : “Toutes ces terres sont aujourd’hui occupées alors qu’avant le cessez-le-feu, personne ne souhaitait vivre ici !” Il rajoute que certains créent de nouvelles démarcations quand des hommes d’affaires parcourent la région à la recherche d’opportunités.
Autrefois un no-man’s-land, cette région se transforme aujourd’hui en une terre d’opportunités! Il faut toutefois veiller à ce que ces opportunités profitent également aux communautés locales !