CP 21 décembre 2020 – La campagne citoyenne Justice for Myanmar (JFM) s’est penchée sur l’implication de l’armée dans le secteur des technologies de l’information et de la communication en Birmanie à travers Mytel, 4ème opérateur de téléphonie mobile du pays[1]. Cela donne un rapport édifiant : « Nodes of corruption, lines of abuse: How Mytel, Viettel and a global network of businesses support the international crimes of the Myanmar military».
Cet opérateur de téléphonie mobile n’a rien de civil, comme l’illustre le rapport. Dans le prolongement du rapport de la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur les intérêts économiques de l’armée birmane, il révèle à quel point la Tatmadaw gangrène ce secteur de l’économie et en tire profit au service de ses crimes, avec tout un réseau d’entreprises birmanes et étrangères en toile de fond.
Pour Sophie Brondel d’Info Birmanie « le contenu de ce rapport tend à indiquer que la position française qui se cantonne à proscrire les liens commerciaux directs – avec des entreprises contrôlées ou détenues par l’armée birmane – ne permet pas d’appréhender la réalité du contexte birman dans toute sa dimension, même si elle constitue une première exigence à respecter scrupuleusement.»
L’enquête de JFM contient une liste d’entreprises étrangères, notamment françaises, visées pour leurs liens avec Mytel et Viettel, son principal actionnaire détenu par le Ministère de la défense vietnamien. ArianeSpace et Digital Virgo comptent parmi les entreprises françaises citées.
ArianeSpace et le lancement d’un satellite à haut risque
JFM révèle que l’industrie de la communication par satellite implique de grandes entreprises susceptibles de contribuer directement aux crimes internationaux de l’armée birmane, à la fois directement et via Mytel[2]. Dans le cadre de la transition vers une « démocratie disciplinée », l’accès de l’armée birmane aux satellites s’est accru. Cette évolution a été appuyée par l’émergence d’une industrie nationale – Satcom – dans le contexte du mouvement de réforme des télécommunications.
JFM fait valoir que l’armée birmane a obtenu l’accès à des technologies satellitaires par le biais du Comité de suivi des satellites de l’Etat birman (State Satellite Oversight Committee) mis en place par le gouvernement LND. Ce comité est présidé par un militaire nommé et comprend aussi les Ministres de la défense et des affaires intérieures, qui sont également des militaires.
Digital Virgo et Viettel
Parmi les entreprises françaises citées, figure également Digital Virgo[4]. En mai 2020, ce fournisseur de technologie de paiement mobile a annoncé un contrat avec Viettel Global pour appuyer le système de facturation directe de l’opérateur pour les filiales de Viettel, y compris en Birmanie. La campagne JFM ne sait pas si Mytel a déjà intégré la technologie de Digital Virgo dans son système de facturation. Elle demande à Digital Virgo de se retirer de son contrat avec Viettel et de s’assurer que l’armée birmane n’accède pas à sa technologie de paiement.
Pour Yadanar Maung de JFM, «l’implication d’ArianeSpace dans le programme satellite du Myanmar et la fourniture de logiciels financiers par Digital Virgo à Viettel et Mytel comportent un haut risque d’implication dans les graves violations des droits humains de l’armée birmane et violent leurs obligations en vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme. Ces contrats montrent un manque choquant de diligence raisonnable en matière de droits humains et peuvent entraîner un préjudice supplémentaire pour le peuple du Myanmar, qui souffre d’une armée qui enfreint régulièrement le droit international. Justice For Myanmar appelle toutes les entreprises à mettre fin à leurs relations avec Viettel, Mytel et toute autre entité détenue par l’armée birmane et leurs partenaires. Nous appelons la France à enquêter sur le rôle des entreprises relevant de sa juridiction dans les violations internationales des droits de l’Homme au Myanmar. «
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Mytel, déjà épinglée par les enquêteurs de l’ONU, suscite de nombreuses préoccupations relatives aux droits humains. D’un côté, l’armée birmane met la sécurité nationale en danger en donnant à des entités de l’armée vietnamienne un accès à des infrastructures civiles et militaires et aux données personnelles, recueillies à une large échelle à travers Mytel. De l’autre, les profits générés par les parts du gouvernement dans Mytel sont détournés au profit de l’armée, dont les crimes sont rendus possibles tant par les revenus hors-budget générés par Mytel que par son accès aux technologies et services de Mytel et des entreprises qui lui sont liées.
La libéralisation du secteur des télécommunications appuyée par la Banque Mondiale a accouché d’un monstre : Mytel, « produit d’une transition démocratique corrompue, gérée par l’armée birmane afin de sauvegarder son pouvoir, ses privilèges et son impunité.»
Alors que les birmans ont très massivement rejeté les militaires et leurs affiliés dans les urnes lors des élections législatives du 8 novembre, JFM demande aux birmans de boycotter Mytel et à toutes les entreprises en lien avec Mytel et Viettel de couper les ponts. Jusqu’à ce que l’armée birmane soit placée sous contrôle civil, « désinvestie » de l’économie et rende compte de ses crimes.
Pour aller plus loin :
Liens vers les constats et les recommandations du rapport de JFM (en français)
Contacts presse :
Yadanar Maung, JFM media@justiceformyanmar.org
Sophie Brondel, Info Birmanie + 33 (0)7 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org
[1] Si Mytel a été créée en 2018 par le gouvernement civil, qui en détient 28 % des parts, celles-ci sont gérées à travers Star High Co. Ltd., une entité privée qui n’est autre qu’une filiale du conglomérat militaire Myanmar Economic Corporation (MEC). Le plus gros actionnaire de Mytel est le Military Industry and Telecoms Group (Viettel), détenu par le Ministère de la défense vietnamien.
[2] Pages 55 et suivants du rapport
[3] Page 62 du rapport: ArianeSpace est une filiale d’ArianeGroup, une joint-venture française entre Airbus et Safran SA.
[4] Page 95 du rapport: Domiciliée en France, Digital Virgo appartient à BNP Paribas et à la société de capital-investissement Sofival, toutes deux domiciliées en France, et à Ioda SA, domiciliée au Luxembourg.