Le 9 novembre 2018, 42 ONG humanitaires présentes sur le terrain en Birmanie et au Bangladesh ont publié une lettre ouverte pour faire part de leur très grande inquiétude à l’annonce du rapatriement programmé de Rohingya ayant trouvé refuge au Bangladesh. Elles soulignent l’effroi des Rohingya qui découvrent ce projet et les risques auxquels ils seraient exposés en cas de retour en Birmanie.
Les autorités bangladaises et birmanes ont en effet annoncé avoir programmé le rapatriement de quelques 2000 Rohingya à compter de la mi-novembre, dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord conclu entre les deux pays à ce sujet en novembre 2017. Les Rohingya concernés sont censés passer par le centre de réception de Nga Khu Ya, avant d’être transférés dans le camp de transit de Hla Poe Kaung.
Cette annonce s’inscrit dans un contexte d’échéances électorales pour le Bangladesh et de pressions internationales pour la Birmanie. Or, ce rapatriement annoncé, soutenu par la Chine, loin de représenter une quelconque avancée pour les Rohingya, les expose à de nouvelles persécutions.
La situation actuelle est critique : les Rohingya ne disposent d’aucun statut protecteur au Bangladesh et Human Rights Watch indique que les listes de Rohingya destinés à être « rapatriés » ont été établies sans que les principaux intéressés ne soient consultés, ni informés. Le processus en cours ne répond à aucun standard international. Les Rohingya devraient en particulier bénéficier du principe de non-refoulement, selon lequel aucun réfugié ne peut être renvoyé dans le pays dans lequel il craint d’être persécuté sans qu’il y consente.
Le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), qui n’a pas été associé à l’établissement des listes, a d’ores et déjà rappelé, comme le font les 42 ONG signataires de la lettre ouverte, que les conditions pour un retour des Rohingya ne sont pas réunies. Tant les enquêteurs de l’ONU que les acteurs de terrain appellent le Bangladesh et la Birmanie à renoncer à ce projet. Car les Rohingya sont exposés à un « haut risque de persécution » en Birmanie. La rapporteur spécial sur les droits humains en Birmanie, Mme Yanghee Lee, fait aussi état des très fortes craintes exprimées par les Rohingya à Cox’s Bazar : ils redoutent de voir leurs noms sur les listes établies.
Frontier Myanmar rapporte par ailleurs dans son édition du 5 novembre 2018 qu’un adolescent Rohingya qui faisait paître ses vaches aurait été blessé par balle à la suite de tirs émanant d’un poste de sécurité birman au niveau du no man’s land qui sépare la Birmanie et le Bangladesh. Un officiel bangladais sous couvert d’anonymat aurait affirmé que cet incident pourrait en réalité avoir pour but de différer le rapatriement des Rohingya.
Cela ne ferait que confirmer nos craintes sur la nature véritable du rapatriement annoncé : un « élément de communication » des autorités birmanes dans un contexte de pression internationale accrue, sans qu’aucune mesure n’ait été prise pour garantir les droits et la sécurité des Rohingya en Birmanie. Le contexte reste au déni des crimes documentés par les enquêteurs de l’ONU et la situation des quelque 128 000 Rohingya qui se trouvent encore dans des camps de déplacés dans l’état d’Arakan, camps dont la fermeture a été annoncée, reste très préoccupante.
Comme en réaction aux très fortes critiques exprimées sur le rapatriement planifié, les autorités bangladaises ont sollicité le HCR pour qu’il s’assure du caractère volontaire de chaque retour de Rohingya en Birmanie. Ce qui devrait retarder, si ce n’est empêcher, le démarrage du processus de rapatriement annoncé. Les autorités birmanes ont quant à elles estimé que le Bangladesh serait responsable en cas de retard et déclaré qu’elles étaient prêtes à accueillir les rapatriés. En arrière-plan, la Chine encourage vivement la mise en route du rapatriement comme « solution » à la crise.
Il ne s’agit pourtant que de s’assurer que les droits des Rohingya sont respectés. Ces derniers doivent en effet être associés à tout processus de rapatriement. Et celui-ci doit être conditionné à des garanties préalables et effectives en matière de sécurité, de liberté de mouvement et de droits. Les causes profondes de la crise doivent d’abord être traitées.
Il en va de la vie et de la sécurité des Rohingya qui, déjà durement éprouvés, ne peuvent de nouveau être exposés à des persécutions et des violences. La communauté internationale, les organisations de défense des droits humains et les organisations humanitaires doivent rester mobilisées.