22 août 2019
Le 25 août 2019 marquera les deux ans du début des opérations militaires menées contre les Rohingya en Birmanie, provoquant l’exode de plus de 700 000 d’entre eux au Bangladesh. Au cours de celles-ci, 10 000 Rohingya ont été tués, des milliers de femmes violées et des centaines de villages brûlés. Les éléments génocidaires des crimes alors commis par l’armée birmane sont désormais reconnus.
A l’approche de cette date commémorative, les autorités bangladaises et birmanes semblent rejouer la partition de janvier et de novembre 2018 en annonçant, pour la troisième fois, le rapatriement imminent de quelques milliers de Rohingya, sur la base d’une liste de noms soumise par les autorités bangladaises.
Alors que la pression internationale devrait amener à un véritable changement de politique des autorités birmanes vis-à-vis de cette minorité apatride et opprimée, elle se borne malheureusement à susciter des effets d’annonce de ce type. Car sur le terrain, la politique d’apartheid à l’encontre des Rohingya se poursuit.
Le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR), qui participe à l’évaluation du caractère volontaire de ce retour annoncé, émet de fortes critiques sur le processus de rapatriement lui-même et sur les conditions du retour. Celles-ci ne sont toujours pas réunies et les Rohingya expriment de nouveau toutes leurs craintes et leur refus d’un retour en l’absence de perspectives de justice et de garanties en termes de sécurité, de restitution de leurs terres, de reconnaissance de leur citoyenneté et de leurs droits. En toute logique, ce rapatriement ne devrait donc pas – comme les fois précédentes – avoir lieu.
Dans un communiqué du 20 août, Human Rights Watch (HRW) appelle les autorités bangladaises et birmanes à ne pas mettre en œuvre le rapatriement annoncé. Et rappelle que le Bangladesh – qui n’a pas ratifié la Convention de Genève de 1951 sur le statut de réfugié – ne peut procéder au rapatriement forcé des réfugiés Rohingya par application du droit international coutumier.
HRW rapporte également les propos d’un réfugié Rohingya au Bangladesh : « Nous savons que des milliers de Rohingya en Birmanie demeurent dans des camps de détention » – faisant référence aux 125 000 Rohingya confinés dans des camps à ciel ouvert dans le centre de l’Arakan depuis 2012. « S’ils sont libérés et qu’ils retournent dans leurs villages, alors nous saurons que nous pouvons rentrer en sécurité et nous le ferons ».
Malheureusement, deux ans après l’exode de 2017, la situation des Rohingya est alarmante. Dans une déclaration commune du 20 août 2019, 61 organisations humanitaires alertent la communauté internationale sur leur précarité dans les camps et sur l’aggravation de la crise en Birmanie. Elles soulignent aussi que pour l’année 2019 seuls 34 % des engagements de financement au titre de l’aide humanitaire ont été couverts. La générosité internationale s’étiole tandis que les perspectives du retour s’éloignent ?
Le rapport récemment publié par l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI), que nous avions évoqué dans un article du 25 juillet, met en doute, images satellitaires à l’appui, les affirmations des autorités birmanes selon lesquelles des mesures seraient prises en vue d’assurer le retour des Rohingya dans des « conditions sûres et dignes ». Rien n’indique qu’un tel retour soit préparé, la nouveauté de ce rapport consistant dans ses sources documentaires, qui révèlent, en particulier, que la destruction de villages Rohingya a continué bien après août 2017, tout au long de l’année 2018 et jusqu’à présent.
Quant à la Mission d’établissement des faits de l’ONU, elle affirme dans son nouveau rapport du 5 août 2019 que des projets menés par l’UEHRD dans le nord de l’état d’Arakan (Union Enterprise for Humanitarian Assistance, Resettlement and Development in Rakhine) ont en réalité contribué à la commission de crimes en droit international. Le 4 mars dernier, le MEDEF avait reçu l’UEHRD à Paris, un programme « de développement » mené par Aung San Suu Kyi sous la forme de partenariats public / privé.
Dans ce contexte, et face à l’impuissance de l’ONU – et d’un Conseil de sécurité paralysé – l’ASEAN ne propose pas d’alternative. Ce regroupement régional à vocation économique cultive le principe de non-ingérence et s’aligne sur la politique des autorités birmanes dans un récent projet de rapatriement des Rohingya fortement décrié.
S’il y a eu, depuis 2017, des avancées dans la documentation et la caractérisation des crimes dont les Rohingya ont été victimes (l’ONU évoquant des éléments de génocide, des crimes contre l’Humanité et des crimes de guerre), dans la décision de mettre en place un mécanisme international ad hoc de recueil des preuves de ces atrocités et dans l’auto-saisine de la Cour Pénale Internationale (CPI), force est de constater que ce sont les seules.
La Birmanie maintient sa posture de déni face aux crimes documentés et inscrit toujours les Rohingya dans le processus de demande d’une « National Verification Card » (NVC) en cas de retour. Cette carte a pourtant toujours servi à renvoyer les Rohingya à un statut d’étrangers depuis qu’ils ont été rendus apatrides par application de la Loi de 1982 sur la citoyenneté. En réponse au Ministre des affaires étrangères japonais qui lui enjoignait d’améliorer son programme de rapatriement, Aung San Suu Kyi déclarait : « les problèmes liés au migrants doivent principalement être résolus par le Bangladesh et le Myanmar, mais j’apprécie la bonne volonté des autres nations qui veulent nous aider ».
Si une délégation birmane s’est rendue à deux reprises dans les camps au Bangladesh pour y rencontrer des Rohingya, rien n’indique, jusqu’à présent, que la politique des autorités birmanes puisse être infléchie en termes de reconnaissance de leur identité et de leurs droits en Birmanie. Un Ministre a récemment utilisé le terme de « nationaux » pour qualifier les Rohingya dans un média d’Etat? Le porte-parole de la Présidence birmane annonce des poursuites judiciaires.
500 000 réfugiés Rohingya en exil au Bangladesh viennent de se voir attribuer une carte d’identité dans le cadre d’un programme d’enregistrement mené par le Bangladesh et le HCR. Il y est fait mention de leur pays d’origine : Myanmar. Une avancée… de papier ?
Contact : Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org