Samedi dernier, une quarantaine d’habitants de Myitkyina, la capitale de l’état Kachin, ont brièvement manifesté devant le Palm Spring Resort pour demander l’arrêt définitif du projet de barrage hydroélectrique de Myitsone.
Il s’agit d’un barrage géant financé par la Chine à hauteur de 3,6 milliards de dollars et situé à 30 km au nord de Myitkyina, sur un confluent du fleuve Irrawaddy dans l’État Kachin. Ce projet controversé prévoyait que l’électricité produite soit destinée à 90% à la Chine, bien que près de 70% des birmans n’a pas un accès continue à l’électricité. A la source d’impacts sociaux et environnementaux désastreux, le barrage de Myistone a été ciblé en 2010 par une campagne lancée par des organisations de la société civile, des journalistes, artistes, écrivains et hommes politiques kachins et birmans pour « sauver l’Irrawaddy ».
Aung San Suu Kyi, elle-même, avait demandé àla Birmanie et à la Chine de « réexaminer » ce projet pour éviter des « conséquences qui pourraient mettre en danger des vies et des habitations ». Au-delà de l’importance économique et écologique de l’Irrawaddy pour le pays, le barrage de Myistone était devenu le symbole de la lutte pour plus d’autonomie des groupes ethniques minoritaires.
Le 30 septembre 2011, le gouvernement de Thein Sein avait annoncé que les travaux du barrage seraient suspendus jusqu’à la fin de son mandat. Le risque de dégradation environnementale était la principale raison invoquée. Cette décision ne reflétait pas seulement l’opinion publique mais envoyait aussi un signal à l’occident que la Birmanie n’était plus sous l’influence de la Chine. Mais avec l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, la question de la reprise de la construction du barrage se pose à nouveau et la Chine multiplie les rencontres en ce sens.
Les manifestants qui se sont réunis la semaine dernière devant l’hôtel de luxe, visaient la réunion qui se tenait entre l’ambassadeur chinois Hong Liang, la China Power Investment et Tun Ja, le leader du parti kachin le plus important. Au cœur de leurs discussions : la reprise du chantier du barrage soutenu par la chine.
Bien que la manifestation ai été brève et n’ai pas rassemblé foule, elle reflète l’opinion majoritaire en Birmanie. La population considère que l’actuel gouvernement ne doit pas relancer le projet mais plutôt le réviser, tout comme les autres projets controversés de méga-développement.
Mais tout est aujourd’hui entre les mains du nouveau gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND). Si celui-ci décide de relancer le barrage, beaucoup de kachins et plus largement de birmans, pourraient demander sa démission.
Au sein de la LND et du Parlement, beaucoup sont d’anciens activistes sensibilisés aux impacts environnementaux, économiques et sociaux des projets et sont ainsi opposés aux projets d’infrastructures géants de la Chine en Birmanie. Ils ne souhaitent pas que le barrage de Myitsone se poursuive.
La décision appartient désormais aux décideurs politiques et en particulier à Aung San Suu Kyi. Mais même les militants de son parti ne savent pas à quoi s’attendre, a t elle passé un compromis avec les militaires ou avec le gouvernement chinois sur le sujet ? Pensera t-elle d’abord au peuple kachin et birman ou favorisera t-elle ses relations avec la Chine ?
Quoi qu’il en soit, quelques mois avant les élections, Aung San Suu Kyi, a été invitée à Pékin pour rencontrer le président Xi Jinping. Personne n’a connu la teneur de leurs échanges. De plus, une semaine après la prise de fonction du gouvernement dirigé de facto par la leader de la NLD, le ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, a fait une visite surprise à Suu Kyi.
Durant leur conférence devant les journalistes, elle a déclaré : « Je ne discuterais pas du barrage de Myitsone avec le ministre parce que je ne suis pas assez familière avec les détails du contrat. » Avant de rajouter, en qualité de ministre des affaires étrangères : « les relations sociales et économiques entre nos deux pays sont très importantes. », […] “la politique de notre gouvernement est de coopérer amicalement avec le reste du monde, et j’espère que les pays voisins se joindront à nous pour travailler pour la paix et le développement humain. ».
La Birmanie a besoin de maintenir des relations amicales avec la Chine, dont elle est toujours très dépendante. En même temps, la Birmanie a besoin de voisins et d’investisseurs qui soient constructifs et responsables. Par ailleurs, un sentiment anti-chinois, dangereux, est en train de se développer dans le pays.
Relancer le projet du barrage ternirait sérieusement l’image d’Aung San Suu Kyi auprès de son peuple et des minorités ethniques, et pourrait même déclencher une révolte au sein de son propre parti.
Il est temps pour le gouvernement birman de reconsidérer le projet de barrage de Myitsone et beaucoup d’autres projets d’infrastructures irresponsables, qui peuvent être à l’origine d’impacts environnementaux et sociaux considérables