Les pierres précieuses : une manne pour le gouvernement et les transactions illégales

Les pierres précieuses : une manne pour le gouvernement et les transactions illégales

La Birmanie est exceptionnellement riche en pierres précieuses dont les rubis, les saphirs, les perles et les jades, ainsi qu’en minerais comme le cuivre, l’étain, le tungstène et l’or.

L’industrie minière du pays a été lourdement militarisée pendant des décennies et la junte birmane s’est appuyée sur les ventes de ces pierres pour financer son régime. Monopole d’état en 1964, l’exploitation des mines de pierres précieuses a été ouverte au secteur privé en 1992. La terre appartenant à l’État, le régime birman a choisi les entreprises auquel il délivrait ses licences d’exploitation. Sélectionnées sur critères obscurs, ces grandes sociétés privées se sont engagés à partager leurs bénéfices miniers avec les généraux au pouvoir. Elles et eux ont contrôlé à partir de 1964, la majorité du marché birman. Les petits mineurs nocturnes eux, n’ont pas besoin de ces licences pour grappiller des rubis, il suffit de soudoyer la police.

Le premier « Myanmar Gem Emporium » a été organisé en 1995. Il s’agit d’expositions officielles de pierres et de ventes aux enchères, organisées une ou deux fois par an à Rangoun par le régime. Ces événements attirent une foule toujours plus nombreuse et les autorités ponctionnent des taxes sur les transactions (on parle d’au moins 10% sous la junte). À tire d’exemple, les enchères de novembre 2010, se sont élevées à 1,4 milliard de dollars et celle de 2013, à 2.4 milliards de dollars malgré les affrontements entre les forces gouvernementales et l’Armée de l’indépendance kachin (KIA) dans les zones où les pierres sont très nombreuses. 

1ère vente aux enchère de jade dans la capitale
1ère vente aux enchère de jade dans la capitale

Entre 1964 et 2007 les généraux birmans auraient gagné environ 750 millions de dollars grâce au commerce officiel des pierres précieuses sans compter le trafic clandestin vers la Thaïlande ou la Chine. Pendant cette période, les conditions de travail dans les mines, interdites aux visiteurs extérieurs, étaient réputées épouvantables. Le réseau Asean Alternatif détient des témoignages selon lesquels les mineurs étaient drogués par leurs employeurs pour améliorer la productivité. Les aiguilles partagées entre les hommes, accroissaient le risque d’infection au virus HIV.

Aujourd’hui ce secteur reste totalement opaque. Bien que les ventes aux enchères de Rangoun soient un peu plus encadrées depuis 2011, le commerce de pierres en dehors de Rangoun n’est absolument pas transparent. Il s’appuie sur des partenariats illégaux et personne ne sait, où, ni à qui va l’argent généré par le trafic. En outre, ces ressources naturelles sont concentrées dans les régions du pays encore en proie aux conflits, où l’armée continue de commettre de graves violations des droits de l’homme contre la population civile.

Le gouvernement contrôle toujours toutes les opérations minières de Birmanie et les transactions sont intraçables. Elles passent par les membres du gouvernement et les oligarques proches de la junte militaire, et une grande partie des marchandises seraient transportée illégalement en Thaïlande et en Chine pour être transformées là-bas et revendues.

Au total la moitié des pierres vendues seraient non déclarées et donc non taxées. Les statistiques officielles indiquent que la Birmanie produit plus de 43 million de kilos de jade sur l’année fiscale 2011/2012. Même estimé à une valeur standard de 100$ le kilo, les revenus du jade s’élève au moins à $4,3 milliard par an. Toutefois officiellement, la Birmanie n’aurait exporté que $34 million de jade la même année.

Les chiffres officiels chinois renforcent le mystère : la Chine ne publie les montants de ses importations de jade en provenance de Birmanie mais la part du jade dans les importations de pierres précieuses  et de métal de la Chine fait état de $293 millions. Ce montant n’explique toujours pas  où sont passé les milliards de dollars manquant…

La perte de revenu est colossale pour les birmans. Leurs ressources rapportent gros à quelques personnes alors qu’elles pourraient permettre de développer les secteurs de base, les infrastructures et les services publics du pays, étouffés par presque un demi-siècle de dictature militaire.

Ces industries monopolisées par les militaires, sont gérées d’une manière qui alimente la corruption, et ont pour effet d’augmenter l’autonomie et l’impunité des militaires vis-à-vis des autorités civiles.

Le jade : La Birmanie produit la quasi-totalité du jade dans le monde. Près de 90% de la jadéite – le jade la plus précieuse- provient des gisements de Hpakant, dans le nord de la Birmanie. Une manne pour le gouvernement…  Au cours des huit dernières années, les prix n’ont cessé de grimper, dopés par l’appétit croissant des millionnaires chinois et les craintes d’une pénurie de l’offre. Les analystes tablent sur un éclatement de la bulle.

Les rubis : La Birmanie produit 90% des rubis dans le monde. Ceux-ci  constituent sans doute l’une des plus importantes sources de revenus du gouvernement. Le gouvernement contrôle toutes les opérations minières du Myanmar, y compris la « vallée des rubis », une région montagneuse autour de la ville de Mogok, à 200 km au nord de Mandalay. Le site est fameux pour ses rubis couleurs sang de pigeon, rouge brun, et ses saphirs bleus dont la valeur unitaire se chiffre en dizaines de milliers de dollars.

SANCTIONS:

En 2008, alors que le régime birman venait de réprimer dans le sang la révolution de safran menée par les moines du pays, les États-Unis et l’Union européenne ont adopté un embargo sur les importations de pierres précieuses, de bois, de métaux et de minerais en provenance de Birmanie. La Chine, continuait de son coté à fermer les yeux et à laisser passer les importations illégales.

En 2012, l’Union Européenne a décidé de suspendre pour un an l’embargo sur les pierres précieuses en même temps que l’ensemble des sanctions économiques, à l’exception de l’embargo sur les armes. Cette décision est intervenue alors que l’exploitation des pierres précieuses est toujours à l’origine de violations des droits de l’homme et que le secteur est toujours aussi touché par la corruption et le manque de transparence. En 2013, l’Union européenne les a définitivement levée alors que les États-Unis ont choisis d’être plus prudents en autorisant certains services financiers tout en maintenant les sanctions imposées aux « personnes liées à l’ancienne junte et en renouvelant l’embargo sur l’importation de pierres précieuses en provenance de Birmanie.

Par cette décision, les États-Unis veulent montrer qu’ils restent vigilants sur l’évolution du processus de démocratisation du pays. Le cadre des sanctions américaines reste donc en place.

Pour en savoir plus:

Rompre le lien entre ressources naturelles et conflit : les arguments en faveur d’un règlement européen – septembre 2013 – Lire le rapport