La visite du Président birman U Htin Kyaw en Chine au début du mois d’avril a relancé les interrogations autour du projet de barrage hydroélectrique de Myitsone, financé par la Chine à hauteur de 3,6 milliards de dollars.
Dès le début des travaux en 2008, le projet a essuyé de vives critiques. Initiée sans que les communautés locales n’aient été consultées, la construction de ce barrage géant doit entraîner à terme le déplacement de 11 800 personnes, en plus de conséquences désastreuses sur l’environnement. La finalité du projet est elle aussi très contestée: 90% de l’électricité produite est destinée à la Chine alors que 70% des Birmans n’ont toujours pas un accès continu à l’électricité. La résistance à ce projet de barrage situé dans l’État Kachin est rapidement devenue emblématique de la lutte des minorités ethniques pour le respect de leurs droits et de l’environnement, mais aussi pour plus d’autonomie. Le mouvement d’opposition au projet a connu un important essor au moment de l’ouverture politique de la Birmanie, à tel point qu’en 2011, le Président Thein Sein a annoncé la suspension des travaux. Une décision régulièrement dénoncée par l’entreprise chinoise en charge du projet, la State Power Investment Corporation (SPIC), ainsi que par le gouvernement chinois, qui n’ont jusqu’à présent pas réussi à obtenir la relance du projet.
L’arrivée au gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie, menée par Aung San Suu Kyi, a pourtant ravivé les inquiétudes des opposants au projet. Si Daw Aung San Suu Kyi avait critiqué le barrage avant son accession au gouvernement, sa position est aujourd’hui plus ambiguë. Il faut dire que l’enjeu est de taille pour le gouvernement birman. En pleine transition politique et économique, le pays cherche à maintenir de bonnes relations avec son puissant voisin. Le gouvernement civil a également besoin de l’appui de son voisin chinois au sujet des conflits qui continuent d’opposer Naypyidaw à certains groupes ethniques dans la zone frontalière avec la Chine.
La récente visite du Président birman en Chine a donc été suivie avec attention. S’il est certain que la question du barrage de Myitsone était inscrite à l’agenda et qu’un premier accord sur le sujet a été conclu, aucune précision n’a été donnée sur son contenu. Certains journaux, dont l’agence de presse Reuters, avancent cependant que le gouvernement de Xi Jinping serait prêt à renoncer au barrage de Myitsone, en échange de certains avantages économiques.
Une compensation financière pouvant atteindre 800 millions de dollars aurait ainsi été évoquée. Une somme que l’entreprise chinoise en charge du projet serait en droit de réclamer à la Birmanie en vertu d’un accord bilatéral d’investissement signé entre les deux pays en 2001. Ce traité permet aux entreprises, via un tribunal d’arbitrage, de réclamer un dédommagement à un État dont les décisions pourraient porter atteinte à ses profits. Très controversés, les tribunaux d’arbitrage favorisent les investisseurs privés au détriment des populations locales. Le cas du barrage de Myitsone renforce ce constat. Le versement de plusieurs centaines de millions de dollars par un pays en développement et en pleine transition démocratique à une entreprise pour un projet controversé et initié sous une junte militaire ne peut en effet que remettre en cause la légitimité d’un tel mécanisme.
Il semblerait cependant que la perspective d’une compensation financière ne soit évoquée que pour pousser le gouvernement birman à opter pour une seconde option, privilégiée par Beijing. Plutôt que le versement d’une importante somme d’argent, le gouvernement de Xi Jinping semblerait en effet préférer la concession de certains avantages économiques et stratégiques, notamment la possibilité de développer d’autres barrages hydroélectriques de plus petite taille en Birmanie. Les autorités chinoises souhaiteraient aussi accélérer le développement de projets de grande ampleur favorables aux intérêts chinois, en particulier la Zone Economique Spéciale (ZES) de Kyaukpyu. La Chine chercherait notamment à obtenir un accès préférentiel au port que comportera la zone, qui favoriserait grandement ses échanges maritimes avec le reste du monde en lui donnant un accès à l’océan Indien.
Si une telle solution peut à première vue paraître plus satisfaisante que la première, elle risque de ne faire que déplacer le problème. Le barrage de Myitsone est vivement critiqué parce que les populations touchées par le projet n’ont pas été consultées avant le lancement des travaux, alors même que son impact social et environnemental est particulièrement désastreux. Si d’autres projets similaires devaient voir le jour, il est indispensable que les communautés locales soient consultées et que des études d’impact environnemental (EIA) soient systématiquement menées. Or, si le contenu de ces études a été bien défini par la loi birmane, elles restent trop peu appliquées du fait d’un manque de personnel suffisamment formé et parce qu’elles sont limitées aux projets de grande ampleur. Et lorsqu’elles sont réalisées, les EIA servent trop souvent à légitimer les projets qu’elles précèdent, sans que leurs recommandations soient prises en compte. Il est donc fondamental que les autorités birmanes systématisent le recours aux EIA et rendent obligatoire la mise en œuvre de leurs recommandations, avant de permettre le développement de tout nouveau projet. Quant à la ZES de Kyaukpyu, elle fait l’objet de nombreuses controverses. Implantée dans l’Etat d’Arakan marqué par des tensions entre plusieurs ethnies, elle a entrainé d’importantes confiscations de terres qui contribuent à renforcer ces tensions. Plusieurs enquêtes sur le terrain ont démontré que les populations concernées n’avaient que peu d’informations sur l’avancée du projet alors qu’il pourrait entraîner l’expulsion de près de 20 000 personnes.
A l’heure actuelle, il semblerait que la décision du gouvernement birman quant au devenir du barrage de Myitsone soit suspendue à la publication du rapport final de la commission créée en 2016 par Daw Aung San Suu Kyi pour évaluer l’impact du projet. Il est fondamental que tout accord conclu entre les gouvernements chinois et birman prenne en compte les droits et les attentes des populations affectées. Une forte mobilisation a permis la suspension des travaux à Myitsone et la reconsidération de l’impact de ce projet sur les populations et l’environnement. Malheureusement, de nombreux autres projets d’infrastructures, souvent soutenus par des investisseurs étrangers, continuent de se développer en Birmanie au détriment des communautés locales. Le gouvernement birman doit reconsidérer ces projets et systématiser la consultation des populations affectées ainsi que la mise en œuvre d’études d’impact environnementales.
Marine Tagliaferri