La responsabilité sociale des entreprises à l’épreuve du contexte birman

La responsabilité sociale des entreprises à l’épreuve du contexte birman

LEVÉE DES SANCTIONS ET AFFLUX DE CAPITAUX ÉTRANGERS

La Birmanie connait actuellement un processus de démocratisation initié par le nouveau président Birman, Thein Sein, en mars 2011. Ce processus est marqué par la libération de prisonniers politiques, dont l’emblématique Aung San Suu Kyi, ou encore de leaders de la génération 88[1], qui tire son nom de l’année où s’est déroulé l’un des principaux soulèvements populaires contre la junte militaire. Les élections partielles tenues en avril 2011, bien que ne portant pas atteinte à la mainmise de l’ancienne junte sur le pouvoir[2], a permis l’entrée de la Ligne Nationale pour la démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi au parlement[3].    

L’ouverture politique actuelle a conduit de nombreux gouvernements occidentaux à réviser leurs positions à l’égard de la Birmanie et à lever la quasi-totalité des sanctions qui avaient été imposées au pays. La suspension de ces sanctions va de pair avec l’intérêt grandissant que manifestent les entreprises internationales pour investir en Birmanie.

 Mais dans le cadre d’un système économique birman opaque et corrompu, où des liens directs existent entre développement d’infrastructures, exploitation des ressources naturelles et violations des droits de l’homme et de l’environnement, il est primordial de mettre en lumière la nécessité de transparence et de redevabilité des investissements étrangers en Birmanie.

 Ainsi, l’Union Européenne a levé ses sanctions à l’exception de l’embargo sur les armes. Celles-ci concernaient « le commerce et les investissements dans les secteurs de l’exploitation forestière et de la transformation du bois, ainsi que de l’extraction de métaux précieux et de pierres précieuses. De plus, « des personnes impliquées dans les politiques qui empêchaient la transition de la Birmanie (…) vers la démocratie et des entreprises détenues par des militaires ou contrôlées par le gouvernement de la Birmanie (…) étaient visées par des mesures de gel des avoirs et d’interdiction de se rendre dans l’UE. »[4]

 C’est aussi le cas des Etats Unis qui ont choisis d’être plus prudents en autorisant certains services financiers tout en maintenant les sanctions imposées aux « personnes liées à l’ancienne junte »[5]. Le cadre des sanctions américaines reste donc en place. Le président

 Reconnaissant les progrès démocratiques effectués par le régime birman, le président des États-Unis Barack Obama a ordonné le en  juillet 2012 un allègement des sanctions économiques sur les investissements et les services financiers pesant contre la Birmanie. Cela permettra aux entreprises américaines de commercer avec la Birmanie, « de façon responsable », a promis Barack Obama, et notamment d’investir dans les ressources naturelles telles que le pétrole et le gaz.

 Les Etats-Unis ont émis des licences générales permettant aux entreprises d’opérer en Birmanie, tout en conservant officiellement les lois sur les sanctions. La nouvelle politique n’empêche pas les entreprises américaines de faire un partenariat avec la Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE), compagnie pétrolière qui constitue la principale source de revenus du précédent gouvernement militaire. Elle exige seulement qu’elles en informent le gouvernement des États-Unis dans les 60 jours après signature du contrat. En Juin 2012, Aung San Suu Kyi a appelé les gouvernements à bloquer les investissements conclus avec la MOGE jusqu’à ce que l’entreprise réponde aux normes internationales permettant que les fonds publics sont gérés de manière transparente et responsable.

 Se disant préoccupé par le manque de transparence de l’environnement économique birman et de l’implication des militaires, l’administration américaine a décidé que les entreprises appartenant à l’armée et au Ministère de la défense ne seront pas couvertes par les licences générales permettant d’investir en Birmanie. Les entreprises américaines seront aussi tenues de rendre compte de leurs nouvelles activités en Birmanie et d’adhérer aux normes internationales de gouvernance des entreprises.

Cette nouvelle politique du gouvernement des États-Unis permettant l’activité des entreprises dans le secteur du pétrole en Birmanie incluant une obligation de compte-rendu  ne sera pas suffisante pour empêcher les nouveaux investissements d’alimenter les abus et de compromettre la réforme.

Aucune loi internationale ne contraint en effet les entreprises européennes qui développent des activités en dehors du territoire européen à suivre les règles et principes de fonctionnement de leur pays d’origine.

Le régime a quant à lui décidé d’attirer les capitaux étrangers en libéralisant ses règles d’investissement. Un projet de loi devant permettre aux investisseurs étrangers de « détenir la totalité du capital de leur entreprise »[6] dans le pays existe. Il prévoit aussi que ceux-ci puissent « louer des terres à l’Etat ou à des particuliers autorisés à le faire (…). Le bail initial pourrait aller jusqu’à 30 ans selon le type d’investissement et son importance, et pourrait être renouvelé deux fois par tranches de 15 ans. »[7]. L’instauration d’un taux de change flottant de puis le premier avril 2011, à la place de l’ancien taux de change multiple devrait aussi contribuer à rassurer les investisseurs[8].

UNE LÉGISLATION NATIONALE PEU SOUCIEUSE DES DROITS DE L’HOMME

Aujourd’hui le cadre juridique birman souffre de carences graves dans le domaine de la protection des droits des travailleurs, le respect de l’environnement, la réglementation du secteur privé ; et l’absence d’une institution judiciaire indépendante et la corruption endémique sont autant de freins à la mise en application de ces lois, dans l’un des pays les plus corrompus au monde.

La législation nationale ainsi que les pratiques des autorités en termes de droits des travailleurs est aussi lacunaire, voire embryonnaire.  La loi reconnaissant le droit de grève et la liberté syndicale des travailleurs birmans, n’est entrée en vigueur qu’au mois de mars 2012, près d’un an après son vote par le parlement[9]. La culture des revendications et du dialogue sociaux n’est donc pas encore rentré dans les mœurs dans le pays, d’autant plus que le processus n’en étant qu’à ses débuts, très peu de syndicats ont été enregistrés jusqu’ici[10].

 Un Etat de droit faible ne permet pas d’investir en Birmanie sans  entraîner de graves risques pour le respect des droits d’Homme dans le pays. Cela est renforcé par l’implication de grande envergure de l’armée dans l’économie ainsi que son utilisation du travail forcé et d’autres pratiques abusives destinées à assurer la sécurité des opérations commerciales.  Le gouvernement birman reste dominé par les militaires qui, selon la Constitution de 2008, bénéficie d’une suprématie juridique sur les autorités civiles.

 Par ailleurs,  les conflits avec les différentes armées ethniques se poursuivent avec plus ou moins d’intensité[11] avec leur lot de violations de droits de l’Homme[12]. Aung San Suu Kyi appelle d’ailleurs elle-même à une grande prudence de la part des investisseurs étrangers, allant jusqu’à les déconseiller de s’engager dans des joint-ventures avec la MOGE (Myanmar Oil and Gas Enterprise), entreprise nationale, tant que le gouvernement n’aura pas adopté des standards internationaux de transparence tels que le « code de bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques »[13] du FMI[14].

 De plus, tant la Confédération Syndicale Internationale[15], que les Nations Unies, par la voix de son secrétaire général[16] et de l’OIT[17] reconnaissent que le travail forcé et le travail des enfants est un phénomène qui est loin d’avoir été éradiqué en Birmanie.

Enfin, la sécurité foncière demeure aussi un problème majeur, notamment pour les paysans birmans. La plateforme BEWG (Burma Environmental Working Group) a notamment dressé une liste de plus de dix projets à travers le pays, où des violations du droit à la propriété de milliers de villageois, a été bafoué[18].

L’ARMÉE ET SES ALLIES, DES PRÉDATEURS ECONOMIQUES 

 Comme nous l’avons déjà avancé dans le cadre d’un rapport d’information[19] en Mai 2012, des pans entiers de l’économie birmane sont entre les mains des militaires et de leurs proches, notamment grâce à une vague de privatisation en 2010 qui s’est avérée être une simple vente aux enchères, permettant aux magnats de l’économie proches du régime de s’accaparer d’importants secteurs économiques : gestion des ports, distribution d’énergie… Le pays est de plus l’un des plus corrompus au monde, se classant 180 ème sur 183 en 2011, devant la Corée du Nord et la Somalie, dans l’indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International[20].

 Face à cette réalité, partagée entre opportunités de développement à l’international et important risque d’image, ce document se propose de réaliser un double objectif, d’une part, permettre aux investisseurs d’avoir un aperçu des mécanismes de RSE les plus connus à l’échelle européenne et internationale et d’autre part, offrir au grand public un outil lui permettant de mieux évaluer l’efficacité et la légitimité de ces labels souvent mis en avant par les multinationales afin de redorer leur image.


[1] « Le régime birman libère des prisonniers politiques », le nouvel observateur, 13/01/2012, http://tempsreel.nouvelobs.com/birmanie-la-liberte/20120113.OBS8699/le-regime-birman-libere-des-prisonniers-politiques.html.

[2] L’élection ne portait que sur 45 des 664 sièges que comporte le parlement birman.

[3] PAGET (Ch.) « Aung San Suu Kyi et la LND accèdent au Parlement birman », RFI, 02/04/2012. http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20120402-aung-san-suu-kyi-lnd-accedent-parlement-birman.

[4] Communiqué de presse du Conseil de l’Union Européenne, « Birmanie/Myanmar: suspension des sanctions de l’UE », Bruxelles, 14/05/2012.
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/FR/foraff/130189.pdf

[5] « Barack Obama lève certaines sanctions contre la Birmanie pour encourager les réformes », France 24, 18/05/2012. http://www.france24.com/fr/20120517-birmanie-liberation-prisonniers-politique-securite-etats-unis-reformes-obama-sanctions.

[6] « La Birmanie va s’ouvrir davantage aux investissements étrangers », Challenges, 13/03/2012.
http://www.challenges.fr/entreprise/20120316.REU2004/la-birmanie-va-s-ouvrir-davantage-aux-investissements-etrangers.html

[7] « La Birmanie s’ouvre aux investisseurs étrangers », Les Echos, 28/03/2012.
http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201978260067-la-birmanie-s-ouvre-aux-investisseurs-etrangers-306902.php

[8] « Mise en place d’un taux de change flottant pour aider à la reprise économique en Birmanie », RFI, 28/03/2012.
http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20120328-birmanie-mise-place-taux-change-flottant-aider-reprise-economique

[9] «New labour law goes into effect in Burma», Mizzima News, 12/03/2012.http://www.mizzima.com/business/6744-new-labour-law-goes-into-effect-in-burma.html

[10] Welcome Changes in Burma on Forced Labour and Freedom of Association: Cautious Optimism by FTUB, OIT, 12 Juin 2012.
http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/press-and-media-centre/news/WCMS_182895/lang–fr/index.htm

[11] « Dans l’Etat Kachin, la guerre se poursuit », Courrier International, 09/05/2012.
http://www.courrierinternational.com/article/2012/05/09/dans-l-etat-kachin-la-guerre-se-poursuit

[12] Rapport 2012 d’Amnesty International.
http://www.amnesty.org/fr/region/myanmar/report-2012

[13] NEBEHAY (S.), MILES (T), « Suu Kyi says Myanmar needs responsible investment », REUTERS, 14/06/2012.
http://www.reuters.com/article/2012/06/14/us-myanmar-swiss-suukyi-idUSBRE85C1NA20120614

[14] Site du FMI.
http://www.imf.org/external/np/fad/trans/fre/codef.pdf.

[15] International Trade Union Confederation: Burma Sanctions Benchmarks, ITUC/CSI, 2011.
http://www.ituc-csi.org/burma-sanctions-benchmarks.html?lang=fr

[16] Report of the Secretary-General to the Security Council on children and armed conflict, Developments in Myanmar, 23 Avril 2011.
http://www.un.org/children/conflict/english/myanmar.html

[17] FORBES (T.), «The ILO and forced labour in Burma, Mizzima News», 07 Mars 2011.
http://www.mizzima.com/edop/interview/4973-the-ilo-and-forced-labour-in-burma.html

[18] Housing, Land and Property Rights and Development: briefing paper for UN special procedures, BEWG, GENEVA, 2011.
http://www.bewg.org/pubs/finish/3/30

[19] Transparence financière et investissement responsable en Birmanie, Info-Birmanie, Mai 2012.
http://www.info-birmanie.org/web/images/stories/transparence_financire_et_investissement_responsable_en_Birmanie__Info_Birmanie_Mai_2012.pdf

[20] Corruption perceptions index 2011, Transparency International, 2011. http://cpi.transparency.org/cpi2011/results/