Au carrefour de deux grandes puissances – la Chine et l’Inde – possédant un accès privilégié sur l’Océan Indien grâce à un littoral d’environ 2 000 km, et d’importantes ressources naturelles, la Birmanie tient une place géostratégique majeure dans cette région.
A la fin des années 80, La junte militaire décida la libéralisation de l’économie birmane, mais cela ne permis pas l’arrivée de capitaux occidentaux. La communauté internationale ayant adopté des sanctions économiques contre le pays, suite à la répression de la révolte étudiante de 1988 et à l’annulation des élections de 1990 remportées par la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND).
La Chine, soumise aux mêmes sanctions économiques à cette période, abandonna son soutien au Parti Communiste Birman alors en lutte contre le pouvoir central birman pour se rapprocher de Rangoun, faisant passer la Birmanie d’une position d’État-tampon à une zone d’influence chinoise. Cette percée géostratégique en Birmanie fit de la Chine le premier client et fournisseur de la junte, grâce à des investissements massifs dans les infrastructures, l’énergie, le commerce transfrontalier, à des prêts à taux préférentiels, et au soutien militaire de la Tatmadaw, l’armée birmane. Cette dépendance à Pékin continua malgré l’entrée de la Birmanie dans l’ASEAN en 1997, et fut perçue comme une menace à l’équilibre régional par ses voisins. Consciente des dangers de la mainmise chinoise, la junte décida d’ouvrir le pays économiquement en 2011 pour élargir ses partenariats, en se tournant notamment vers l’Occident.
La Birmanie, un enjeu énergétique considérable pour la stratégie de résurrection des routes de la soie chinoises
Avec une économie reposant très largement sur les hydrocarbures, la Chine importe une part importante de son pétrole du Golfe persique et de l’Afrique. 80% de ces importations transitent par le détroit de Malacca, l’une des voies les plus fréquentées et véritable goulet d’étranglement qui pourrait fragiliser leur acheminement en cas de conflit.
L’ouverture de la Birmanie sur l’Océan Indien représente donc un réel enjeu pour la Chine, qui souhaite réduire sa vulnérabilité et sa dépendance au détroit de Malacca, et avoir un accès plus direct sur le marché européen. Le pipeline mis en service en 2014, long de 1 200 km sur le territoire birman, permet aujourd’hui de transporter 400 000 barils par jour. Cette « conquête de l’ouest », passe par la création de corridors économiques – les « nouvelles routes de la soie »-, et positionne la Birmanie comme un enjeu géostratégique pour la Chine dans son besoin de sécurisation de ses approvisionnements.
L’enjeu birman dans la politique de désenclavement et de développement de la province du Yunnan
La province chinoise frontalière de la Birmanie, le Yunnan, est l’une des plus pauvres de Chine, enclavée et excentrée du pouvoir central. La stratégie de désenclavement de ses marges frontalières, coïncidant avec l’essor des relations que Pékin entretient avec ses voisins, passe par le débouché birman pour le Yunnan.
Depuis l’ouverture de la frontière en 1988, la Birmanie est devenue le premier débouché économique des entreprises du Yunnan et des multinationales chinoises. Le PIB de cette province a doublé depuis 2000 pour atteindre 200 milliards en 2014, soit trois fois le PIB de la Birmanie presque aussi peuplée.
De plus, le potentiel hydro-électrique birman, attise les convoitises des investisseurs chinois pour la construction de barrages, afin d’alimenter les villes champignons comme Kumming. La Chine a une vingtaine de projets de barrages en Birmanie sur les principaux fleuves du pays. Mais 80% de l’électricité produite sera destinée à alimenter la Chine et notamment le Yunnan alors que seulement 30% de la population birmane a accès à l’électricité.
L’enjeu sécuritaire de la zone transfrontalière sino-birmane : le rôle trouble de la Chine dans les processus transfrontaliers
Les États Shan et Kachin, frontaliers du Yunnan, sont le théâtre de conflits entre les groupes armés ethniques et le gouvernement central depuis l’indépendance. L’enjeu sécuritaire de cette zone transfrontalière est l’un des aspects le plus complexe des relations sino-birmanes.
Ces régions, très riches en ressources naturelles, attisent les convoitises pour leur contrôle. La Chine soutiendrait indirectement certains groupes armés ethniques comme les Wa (vivant des deux côtés de la frontière : 400 000 en Birmanie, et 600 000 dans le Yunnan) en leur fournissant des armes, pour maintenir son influence dans le nord du pays et sur la frontière, afin de garder le contrôle sur le trafic illicite qui rapportent des milliards de dollars aux groupes ethniques et à la Chine).
Cette instrumentalisation des conflits ethniques par la Chine est toutefois contrebalancée par son besoin de coopérer avec le gouvernement birman pour faire diminuer le niveau de criminalité transfrontalière, lié aux trafics, qui porte préjudice au développement économique et à la stabilité sociale du Yunnan. La Chine a également besoin de sécuriser son oléoduc qui traverse des zones instables. Les projets routiers qu’elle finance sont aussi un moyen pour la Tatmadaw d’accéder plus rapidement et facilement à certaines zones rebelles, et d’apporter à la Chine ce besoin de garantie sécuritaire autour de ses projets. D’autant plus qu’au cours des dernières années, les conflits armés ont conduit à des tensions le long de la frontière et à des bombardements en territoire chinois. La Chine a dû faire face à l’arrivée massive de minorités birmanes fuyant les conflits, sur son territoire, provoquant une hausse des prix de la zone frontalière et un mécontentement fort de la population chinoise.