10 août 2018
Sans surprise, les autorités birmanes ont marqué leur refus de coopérer avec la Cour Pénale Internationale et rejeté sa compétence dans un communiqué officiel du bureau de la Secrétaire d’Etat Aung Saun Suu Kyi daté du 9 août 2018[1].
La position de la Birmanie ne préjuge pas de la compétence de la CPI, mais force est de constater qu’elle soulève de sérieuses inquiétudes face à l’impératif criant de justice en réponse à la campagne de nettoyage ethnique perpétrée à l’encontre de la minorité Rohingya.
La signature d’un accord avec le Bangladesh le 23 novembre 2017 pour le rapatriement des réfugiés arrivés depuis octobre 2016, puis d’un accord tripartite avec le PNUD et le HCR le 6 juin 2018 sur le retour des Rohingya dans l’état d’Arakan ne peut être instrumentalisée par les autorités birmanes aux fins d’écarter l’allégation de déportation examinée par la CPI.
A ce jour, les conditions d’un retour volontaire, digne et sécurisé des réfugiés Rohingya ne sont par ailleurs absolument pas réunies, tandis que les autorités birmanes ont jusqu’à présent freiné la mise en œuvre de l’accord tripartite, n’autorisant une équipe des Nations Unies à se rendre dans le nord de l’état d’Arakan que le 9 août 2018, après que l’ONU leur ait enjoint de coopérer.
Quant aux réfugiés Rohingya questionnés sur les conditions de leur retour volontaire en Birmanie, ils mettent en avant les conditions suivantes : la reconnaissance de leur citoyenneté, de leur identité en tant que Rohingya, la liberté de mouvement, la justice pour les crimes commis à leur encontre, la restitution de leurs terres et de leurs biens, ainsi que la restauration de leurs droits[2].
C’est à l’aune de ces conditions que la volonté des autorités birmanes de mettre un terme à sa politique à l’encontre de la minorité Rohingya sera évaluée.
Les autorités birmanes ne peuvent davantage se prévaloir de la mise en place d’une énième commission nationale d’investigation le 30 juillet 2018, dont l’indépendance et l’effectivité sont sérieusement mises en cause. Nous pouvons raisonnablement douter de ce que cette commission nationale accomplira dans la perspective de rendre justice, dans la mesure où les rapports documentés des Nations Unies et des ONG relatives au nettoyage ethnique subi par les Rohingya sont d’emblée rejetés en bloc par les autorités birmanes, qui jusqu’à présent n’ont jamais fait la lumière sur les crimes perpétrés. A plusieurs reprises, la société civile birmane a appelé le gouvernement à coopérer avec la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, ce qu’il n’a jamais fait jusqu’à ce jour.
Nous réitérons l’importance de l’exigence d’une justice effective face à la gravité et à l’ampleur des crimes commis en Birmanie, tels que documentés depuis de nombreuses années par la communauté internationale.
Contact presse :
Camille Cuisset, coordinatrice d’Info Birmanie
camille@info-birmanie.org / 0762806133
[1] Le 9 avril 2018, la procureure de la Cour pénale internationale avait demandé aux juges de statuer sur la compétence de la Cour concernant la déportation et le transfert forcé des Rohingya au Bangladesh. Bien que la Birmanie ne soit pas partie au Statut de Rome, traité fondateur de cette juridiction internationale, le Bangladesh l'est, et c'est au titre des crimes commis sur son territoire que la CPI ouvrirait une enquête. « Dans la mesure où le crime d'expulsion aurait commencé sur le territoire birman, la chambre estime qu'il y a lieu de solliciter les observations des autorités compétentes de Birmanie à la demande de la procureure." Le 21 juin 2018, la CPI avait annoncé donner à la Birmanie jusqu’au 27 juillet 2018, pour répondre à ses interrogations sur la situation dans l’état d’Arakan et à sa volonté d’exercer sa juridiction. [2] HRW, « Bangladesh is not my country / the plight of Rohingya refugees from Myanmar » August 2018