Confiscation des terres, travail forcé, travail des enfants, conditions non décentes, supériorité judiciaire des militaires et entreprises, risques environnementaux etc.
LIENS DIRECTS ENTRE DEVELOPPEMENT D’INFRASTRUCTURES, EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES ET VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME ET DE L’ENVIRONNEMENT
Plus de vingt projets de barrages hydroélectriques de grande envergure sont en cours de construction à travers le pays, et une quarantaine de blocs pétroliers et gaziers sont en phase d’exploration.
Tous ces projets ont en commun d’être financés et construits par des pays voisins (principalement la Chine et la Thaïlande) et l’énergie produite sera intégralement exportée vers ces mêmes pays, alors qu’environ 50% de la population de Birmanie n’a pas accès à l’électricité. Le mécontentement populaire grandit contre les projets de grande envergure menés aux quatre coins du pays par les voisins asiatiques. Ces investissements n’ont généré que peu d’emplois, tout en imposant aux populations locales un fardeau social et environnemental considérable.
Le projet Shwe Gas, comprend la construction d’un port maritime en eaux profondes, d’un terminal gazier, et d’une infrastructure d’acheminement pétrolier dans l’Etat de l’Arakan, ainsi que la pose de près de 800 km de conduits d’acheminement. Un gazoduc acheminera les réserves de gaz naturel pompées au large des côtes birmanes – parmi les plus importantes au monde -, et un oléoduc acheminera à travers le pays les réserves pétrolières provenant du Moyen Orient et d’Afrique, afin de satisfaire les besoins énergétiques de la Chine. Ce projet a engendré une confiscation généralisée des terres pour laisser place au pipeline. Les paysans se retrouvent sans emploi et spoliés de leurs moyens de subsistance, et les zones de pêche leur sont désormais inaccessibles, renforçant une migration interne déjà très forte. La construction de barrages va affecter directement pas moins de 100 000 personnes[1], contraints de quitter leurs terres pour laisser place aux zones de retenues des eaux. Le projet industriel dans la ville de Dawei (entre autres un port en eau profonde, une usine pétrochimique, une raffinerie pétrolière) implique le déplacement de 20 000 résidents.
L’exploitation de ressources naturelles se fait essentiellement dans les régions où vivent les minorités ethniques. Depuis plus d’un demi-siècle, l’accès à ces ressources est la principale cause des conflits qui opposent les autorités militaires aux groupes armés issus de ces minorités. Les conséquences sont dramatiques : nombreux déplacements de populations, la destruction de plus de 3700 villages depuis 1996, la fuite d’un demi-million de civils qui se réfugient dans la jungle pour fuir les combats, et la perpétration d’exactions graves, telles que des viols, des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et l’utilisation de civils comme boucliers humains. Dans ce contexte où exploitation des ressources naturelles rime souvent avec violences, il est primordial que l’afflux d’investisseurs européens ne contribue pas à attiser d’avantage ces tensions.
Ces inquiétudes sont partagées par l’envoyé spécial des Nations unies, M. Quintana, qui déclarait lors de son audition devant le conseil des droits de l’Homme le 12 mars dernier qu’ « étant donné la vague de privatisations l’an dernier, l’augmentation attendue des investissements étrangers et l’ambition du gouvernement d’accélérer le développement économique, il est à craindre un accroissement des confiscations de terres, des déplacements forcés et diverses violations des droits économiques, sociaux et culturels ».
D’un point de vue environnemental, Les forêts sont surexploitées en raison de la grande valeur commerciale du teck qui est exporté, la plupart du temps clandestinement, vers la Chine et la Thaïlande, avec la complicité des autorités et des responsables locaux. La déforestation engendre des dommages irréversibles sur la faune et la flore, et l’exploitation déraisonnée des gisements de minerais et de jade, sans aucun respect des normes internationales de protection de l’environnement, ont causé dans plusieurs régions du pays des dommages environnementaux colossaux.
La violation continue des droits de l’homme par les autorités locales et l’armée demeurent des obstacles majeurs à un développement économique responsable. La mise en œuvre de réformes institutionnelles d’envergure, tant au niveau national que régional et local, est donc indispensable afin de minimiser les risques sociaux et environnementaux et s’assurer que le développement économique du pays se fasse au profit de l’ensemble de la population et non à son détriment.
LES PRINCIPAUX RISQUES :
- Confiscation des terres :
De nouvelles lois (la Loi sur les Terres Agricoles, la Loi sur la Gestion des Terres Vacantes, en Jachère ou Vierges) ont légalisé la confiscation de terres par le gouvernement, pour tout projet considéré d’ «intérêt national», permettant au gouvernement d’utiliser tout terrain désigné comme «vacant». L’application de ces lois est en contradiction manifeste avec les normes internationales relatives au droit à un logement décent et aux évictions forcées. Les entrepreneurs ayant des relations étroites avec les autorités profitent déjà d’une telle situation, en faisant inscrire des terrains en leur nom. Les organisations de la société civile ont, de source confirmée, déposé de nombreuses plaintes devant une commission parlementaire mise en place le 26 juillet 2012 pour enquêter à propos des confiscations de terres. Toutefois, la commission n’a pu traiter ces cas de manière efficace, ni faire avancer les réformes de manière à en prévenir d’autres. Tandis que les investisseurs étrangers peuvent, de bonne foi, louer des terres pour développer leurs activités, il leur sera difficile de s’assurer que ces terres n’ont pas été confisquées de manière illégale à des familles qui n’ont aucun moyen de recours
- Travail forcé, travail des enfants, conditions non décentes
Bien que les autorités birmanes aient signé un accord avec l’OIT pour mettre un terme au travail forcé d’ici 2015, de nouveaux cas continuent d’être signalés, particulièrement dans des régions à majorité ethnique. Cette pratique reste utilisée par les autorités, y compris l’armée, dans le cadre de projets d’infrastructure. De nombreux secteurs, notamment ceux de l’électronique et du textile, sont marqués par de mauvaises conditions de travail dont des heures des travail excessives, des salaires trop bas, des conditions sanitaires et de sécurité médiocres, le travail des enfants et des sanctions arbitraires à l’encontre des travailleurs. Le droit national du travail n’est pas suffisamment ni correctement appliqué.
- Menace des syndicalistes et de la protection des salariés
En octobre 2011, la Loi sur l’Organisation du Travail a été promulguée pour permettre la formation de syndicats. Cela représente un énorme pas en avant. Toutefois, la Birmanie n’a pas encore ratifié la plupart des Conventions Fondamentales de l’OIT. En outre, malgré la Loi sur l’Organisation du Travail, les syndicalistes continuent à être menacés par les autorités et leur liberté d’association continue de se voir très limitée. Des efforts supplémentaires et plus de temps sont nécessaires pour mieux organiser les travailleurs et rendre effective leur représentation sur le lieu de travail. Dans ce contexte, les entreprises internationales qui effectuent un audit social de leurs chaînes d’approvisionnement, y compris de leurs usines placées en Birmanie, pourraient difficilement vérifier si les droits des travailleurs ont été en effet respectés, à moins que les travailleurs n’aient été capables de s’organiser et que la transparence de la chaîne d’approvisionnement soit garantie.
- Supériorité judiciaire des militaires et entreprises sur les citoyens
En règle générale, en Birmanie, les recours pour ceux dont les droits ont été violés se révèlent inefficaces. L’impunité pour les violations des droits de l’Homme prévaut à travers l’article 445 de la Constitution du 2008, qui accorde au personnel militaire et aux représentants du gouvernement l’immunité à l’encontre de toute poursuite. Lorsque les représentants de la société civile se sont servi de la presse et/ou des voies judiciaires pour dénoncer les abus commis par les entreprises locales, il est arrivé que ces défenseurs des droits de l’Homme aient été accusés de diffamation et menacés avec violence.
- La consultation des communautés limitée voir impossible
Le manque de transparence ainsi que l’absence de consultation des communautés affectées continue à être la norme dans le cadre des projets d’infrastructure menés par les autorités. Dans un tel environnement – où les populations, étouffées par l’arbitraire et l’oppression, restent apeurées, il sera difficile pour tout investisseur étranger de consulter les communautés affectées de manière adéquate, comme requis par les Principes Directeurs des Nations Unies.
[1] Source : Burma Rivers Network www.burmariversnetwork.org