Birmanie : la politique de l’Union Européenne doit changer de paradigme

Birmanie : la politique de l’Union Européenne doit changer de paradigme

Communiqué de membres de l’EBN (European Burma Network)

CP 21 mars 2019 – Alors que l’Union Européenne s’apprête à renouveler sa Position Commune sur la Birmanie en avril prochain et que les discussions en son sein se poursuivent s’agissant de sa réponse à la crise Rohingya, des membres de l’EBN en appellent à une réforme fondamentale de son approche vis-à-vis de la Birmanie. La politique européenne actuelle est toujours fondée sur un postulat énoncé en 2012/2013 selon lequel la Birmanie serait engagée dans un processus de transition démocratique. Or ce postulat n’est pas seulement daté, il est aussi biaisé.

L’influence potentielle de l’UE dans la promotion des droits humains et de la démocratie en Birmanie a toujours été minée par une division ternaire au sein de l’UE. Certains Etats membres ont marqué leur préférence pour une approche plus ferme en matière de respect des droits humains et d’autres ont privilégié une politique dictée par les échanges commerciaux et les intérêts géostratégiques. Tandis que la Commission Européenne/le Service pour l’action extérieure a largement suivi son propre agenda, parfois en contradiction directe avec ce que les Etats membres de l’UE avaient convenu. Ces divisions au sein de l’UE minent les efforts tant de l’UE que de la communauté internationale en vue de défendre les droits humains et la démocratie en Birmanie.

Les priorités fixées par l’UE sont la paix, la démocratie ainsi que le développement et les échanges commerciaux. Or à l’issue d’une évaluation raisonnable, nous ne pouvons que constater que le progrès dans ces trois domaines est soit à l’arrêt soit en état de “sous-performance”. Cela justifie un changement fondamental de politique. Car les problèmes ne relèvent pas simplement d’un contexte lourd de défis ou de difficultés profondément enracinées. Le manque de progrès dans les priorités de l’UE procède également d’une lecture complètement erronée de la situation du pays, qui a entraîné des prises de décision biaisées et engendré des politiques inefficaces.

Les hypothèses, contenues dans le “Cadre logique pour la politique de l’UE et son soutien à la Birmanie” défini en 2013 et dans la “Communication conjointe au Parlement Européen et au Conseil / Eléments pour une stratégie de l’UE vis-à-vis de la Birmanie : un partenariat spécial pour la démocratie, la paix et la prospérité” de 2016, se sont avérées fausses.

  • Il n’y a jamais eu de véritable transition démocratique. La Constitution de 2008 n’est pas démocratique et les militaires n’ont aucunement l’intention d’autoriser des changements à la Constitution qui diminueraient leur contrôle
  • Les militaires commettent davantage de violations des droits humains par rapport à la période antérieure aux réformes. Dans le cadre d’un processus de réforme qui devait, selon les suppositions de l’UE, mener à une amélioration des droits humains, les violations de ces droits ont connu une escalade allant jusqu’au génocide
  • Le gouvernement civil dirigé par Aung San Suu Kyi ne respecte pas les droits humains. La libérté d’expression et la liberté des médias sont en déclin. Le gouvernement civil prend la défense des militaires, niant qu’ils aient commis les violations des droits humains documentés par les Nations Unies. Des lois répressives continuent d’être utilisées au lieu d’être abolies et le nombre de prisonniers politiques est de nouveau en augmentation.
  • Le processus de paix est à l’arrêt et se trouve miné à tous les niveaux par les militaires, qui opposeront probablement leur veto aux changements constitutionnels requis. Les conflits ont augmenté depuis que le processus de paix a débuté et tant le gouvernement que les militaires continuent de restreindre l’accès à l’aide humanitaire dans les zones ethniques.

Dans le cadre d’une réforme de sa politique, nous appelons l’Union Européenne à prendre en considération les approches suivantes :

  • Établir une politique fondée sur la réalité actuelle du terrain, et non pas sur de fausses hypothèses passées, des espoirs ou des promesses non tenues
  • Appuyer officiellement les conclusions et les recommandations de la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur la Birmanie
  • Imposer des sanctions ciblées afin d’interdire aux entreprises européennes de s’engager dans toute forme de relation d’affaires avec des entreprises détenues ou contrôlées par des militaires
  • Appuyer le renvoi de la situation en Birmanie devant la Cour Pénale Internationale (CPI) ou la mise en place d’un tribunal ad hoc
  • Cesser de soutenir la mise en oeuvre du programme dit des “cartes de vérification nationale” (NVC), une soi-disant étape vers la citoyenneté, et autres tactiques de report, et soutenir en lieu et place l’abolition ou la réforme immédiate de la loi de 1982 sur la citoyenneté et l’attribution immédiate de la citoyenneté aux Rohingya
  • Nommer les Rohingya en tant que Rohingya lorsqu’il est question d’eux. Car ne pas appeler les Rohingya par leur nom revient à faire droit aux exigences d’individus racistes et à leur donner davantage de pouvoir
  • Revenir sur les réductions d’aide aux réfugiés à la frontière birmano-thaïlandaise et faire de l’aide humanitaire aux réfugiés et aux personnes déplacées une priorité pour s’assurer que leurs besoins soient couverts
  • Cesser tout projet de rapatriement des réfugiés basés dans des camps en Thaïlande jusqu’à ce que les conditions permettent leur retour sécurisé et qu’un soutien adéquat soit fourni à ceux qui rentrent
  • Adopter des interdictions de visa à l’encontre de tous les militaires, sauf s’il s’agit pour eux de se déplacer pour assister à des réunions sur les droits humains et la démocratie
  • Définir des conditions spécifiques pour le retour sécurisé des réfugiés Rohingya sur la base de ce que ces réfugiés demandent, notamment la citoyenneté et la justice
  • Passer en revue et évaluer de manière indépendante le soutien apporté au processus de paix actuel
  • Mettre un terme au manque de transparence susceptible de permettre à un Etat membre de continuer à former des militaires birmans, et imposer une interdiction totale de toute formation aux militaires
  • Interdire la fourniture de tout équipement aux militaires, en sus des armes et des équipements de télécommunications
  • Mettre un terme au programme MYPOL de formation de la police sous contrôle militaire
  • Mettre de nouveau la libération de tous les prisonniers politiques en Birmanie à l’agenda
  • Fixer des conditions en matière d’amélioration de la situation des droits humains, tels que la libération des prisonniers politiques et la réforme des lois répressives, en retour d’un soutien au gouvernement
  • S’atteler à la lutte contre les discours de haine et l’intolérance religieuse en fondant l’action de l’UE sur la mise en oeuvre du Plan d’action de Rabat
  • Soutenir un embargo onusien sur les armes à l’encontre la Birmanie et oeuvrer à ce que chaque pays mette en oeuvre son propre embargo unilatéral jusqu’à ce qu’un embargo mandaté par l’ONU soit imposé
  • Fournir un soutien financier additionnel significatif afin de répondre aux besoins des réfugiés au Bangladesh

Signataires :

ASB (Swiss Burma Association)

Burma Action Ireland

Burma Campaign UK

Burmese Rohingya Organisation UK

Christian Solidarity Worldwide

Civil Rights Defenders

Info Birmanie (France)

Olof Palme International Center

Society for Threatened Peoples – Germany

Swedish Burma Committee

Contact Presse : Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org