En novembre dernier, les premières élections générales libres se sont déroulées après des décennies de dictature. Le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), a remporté 78% des voix. La transition démocratique est en cours, mais le défi est de taille. La Birmanie a vu une nette amélioration des lois de création d’association et de rassemblements pacifiques, mais des évolutions profondes sont encore nécessaires. Cela a néanmoins permis à la société civile birmane de formaliser sa présence et d’être reconnue en tant que telle.
Récemment, de nombreuses associations se sont mobilisées, notamment via les médias birmans, contre l’impact des projets économiques sur les communautés locales et sur l’environnement.
Plusieurs associations Karens de protection de l’environnement et des droits humains ont par exemple publié un rapport sur un gigantesque projet d’autoroute devant relier Bangkok à Rangoun, la capitale économique du pays, puis à Dawei, ville proche d’un important port en construction. Il s’agit d’un tronçon du corridor économique Est-Ouest qui devrait relier le Vietnam et l’Inde. Le projet, présenté comme bénéfique aux populations locales, a été approuvé sans aucune consultation de celles-ci. Les associations auteures de ce rapport dénoncent les impacts sociaux environnementaux du projet. Elles rappellent les déplacements de populations – des villages entiers – qui ont lieu pour sa mise en place et l’accaparement de terres de nombreux paysans – spoliations totales ou ventes au rabais. Elles dénoncent l’intensification des conflits armés en raison de ce projet. En effet, l’autoroute prévoit de traverser une partie de l’État Karen, alors même que cet Etat revendique son autonomie et qu’une partie du territoire est sous le contrôle de différents groupes armés Karen. Bien que la plupart de ces groupes a signé l’accord de cessez-le-feu avec le gouvernement en 2015, les combats continuent dans certaines zones. Elles évoquent également les problèmes environnementaux résultants des chantiers de l’autoroute ainsi que la contamination de l’eau potable dans de nombreux villages.
Ce projet est loin d’être un cas unique. Huit projets signés sous la junte militaire doivent voir le jour dans les Etats Kachin, Shan, Karen et Mon, et la direction économique prise par le nouveau gouvernement en promet d’autres. Dans la plupart des cas, les Études d’Impacts Environnementales n’ont pas été réalisées ou ne sont pas conformes aux normes internationales. Les impacts socio-environnementaux seront pourtant considérables dans la plupart des cas.
Pour répondre aux mobilisations de la société civile contre les projets économiques, la Banque Mondiale avait mis en place un projet de responsabilisation des communautés locales en 2012. L’objectif était d’améliorer leurs capacités à identifier les besoins d’investissements les plus urgents au niveau des infrastructures (routes, ponts, cliniques, écoles…). Ce programme concerne aujourd’hui 62 communes pour un budget total de 540 millions de dollars. Cependant, l’Association de surveillance des activités des institutions financières internationales a remis en question l’efficacité du processus, la juste utilisation des fonds et le manque de considération des besoins des différentes communautés locales qui ne se sont pas suffisamment formées ni informées. D’autre part, les autorités ont souvent fait pression sur les organisations de la société civile, ce qui illustre le manque de transparence et de contrôle dans la conception même du projet.
Le nouveau gouvernement birman affiche clairement sa volonté d’ouverture économique à travers de nouvelles lois facilitant l’investissement étranger, et la levée des sanctions économiques des Etats-Unis, le retrait de la résolution sur les droits de l’Homme de l’Union Européenne et la négociation d’accords bilatéraux vont dans ce sens. Les entreprises étrangères risquent d’arriver massivement dans le pays alors qu’il n’existe aucun cadre de protection de droits humains et environnementaux.
Les amendements des lois répressives utilisées par la junte militaire pour arrêter les activistes ne sont pas suffisants, des réformes profondes doivent être mises en place en Birmanie. Le gouvernement doit cesser de privilégier le développement économique au détriment des droits humains et il doit oeuvrer pour son peuple avant d’agir pour les investisseurs étrangers.